Citations sur Otages (166)
Les petites phrases de Victor Andrieu résonnaient comme le refrain d'une chanson. Au début, je n'y ai pas prêté attention. Je connaissais par cœur sa façon de faire, de resserrer l'étau. Ce n'était plus un patron, mais un artisan de la cruauté. Il avait du talent pour ça. Il n'était pas question pour moi de choisir un camp. Je veillais au bon fonctionnement de la Cagex tout en restant sous l'autorité de mon patron, comme l'ombre du corps de mon mari qui restait sous le poids de mon corps la nuit. Je respectais les hiérarchies.
Quand je rentrais le silence me recouvrait comme de la soie. Je m'y vautrais, seule dans mon lit, occupant la place vide. La violence me pénetrait. Je n'entendais plus mes fils, ni les mots ni les voix. La violence poussait, poussait, poussait. Et elle a éclos d'un coup quand un beau matin, Victor Andrieux m'a convoqué dans son bureau.
J'ai cherché la joie comme une folle, parfois je l'ai trouvée et puis elle s'est envolée tel un oiseau, alors j'ai fait avec, j'ai continué, sans trop me plaindre ou si peu.
C'est encombrant la plainte, pour soi, pour les autres. C'est vulgaire aussi et ça prend du temps.
J'ai résisté. Je suis forte, les femmes sont fortes, davantage que les hommes, elles intègrent la souffrance. C'est normal pour nous de souffrir. C'est dans notre histoire ; notre histoire de femmes. Et ça restera longtemps ainsi. Je ne dis pas que c'est bien, mais je ne dis pas que c'est mal non plus. C'est aussi un avantage : pas le temps de se répandre. Et quand on n'a pas le temps de se répandre, on passe à autre chose. Vite fait bien fait : on n'ennuie personne.
On ne se parlait pas vraiment à la maison, pas de choses importantes, intimes, on se regardait à peine sauf cet été-là où ma mère me mettait en garde quand je partais à la rivière - elle disait que j'étais à un âge dangereux. Trop jeune pour m'apercevoir du danger, trop vieille pour y renoncer.
On n'est pas libre sans amour, sans désir, pas du tout. On est prisonnier de son corps. On est prisonnier des autres, de l'entourage. On est prisonnier du monde. L'amour c'est la liberté.
Mes fils sont comme moi, un peu étranges, un peu absents. Je les aime pour ça mes garçons. Ils ne seront jamais dans le moule, ils sont à part, mais pas trop non plus, ce ne serait pas bon pour eux. On le sait ça. Notre époque déteste la différence. Tout doit rester bien lisse, en ordre, sinon c'est mort, pas de chance de réussir, d'être accepté. (p; 46)
J'aime la nature. Je crois en elle comme certains croient en Dieu. C'est le même sentiment, de plénitude, la même sensation, de grandeur, le même étonnement à chaque fois : le mystère des saisons qui se succèdent, la profondeur des océans, la force des montagnes, la couleur du sable et de la neige, le parfum des fleurs et des mousses en forêts.
Il y a deux sortes d'individus. Ceux qui gagnent et ceux qui perdent. J'ai parfois cru gagner pour endormir ma conscience, mais j'ai perdu beaucoup et le peu qu'il me restait, je l'ai détruit.
Je parle de la grande peur, celle qui ne nous quitte pas, nous les femmes, dès l'enfance : la peur du viol. La peur de cette salissure-là. Elle est dans notre histoire de femmes. Elle nous relie les unes aux autres, quel que soit le pays, le milieu social. Les femmes sont sœurs dans la peur du viol.