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EAN : 9782707144850
336 pages
La Découverte (18/05/2006)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :

Au cours des dernières décennies, l'extension sans frein de la mondialisation s'est accompagnée de la multiplication des violations, directes ou indirectes, des droits humains de la part de ses acteurs principaux, multinationales et grandes institutions financières. Les atteintes à la santé publique et à l'environnement, notamment, sont de plus en plus graves, sans que les victimes aient les moyens d'obtenir des rép... >Voir plus
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William Bourdon est l'anti-Jacques Vergès. Vergès, « l'avocat de la terreur » - comme Barbet Schroeder l'a surnommé dans l'excellent documentaire qu'il lui a consacré en 2007 – défend l'indéfendable, de Barbie à Carlos, de Garaudy à Tarek Aziz. Bourdon, lui, est l'avocat des nobles causes. Ex-secrétaire général de la Fédération internationale des Droits de l'Homme (FIDH), il a défendu des victimes du génocide rwandais, des opposants chinois, des détenus français à Guantanamo ... Avocat de Transparency International, de l'association Survie et de la Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD), il est proche d'associations d'aide aux étrangers irréguliers, notamment la Cimade. On l'a vu à Cannes en 2006 dans le film militant Bamako de Abderrahmane Sissako où il défend les parties civiles dans un faux procès intenté par la société africaine contre la Banque mondiale et le FMI.
En 2001, il a fondé l'association Sherpa dont l'objet est de « défendre les victimes de crimes commis par des opérateurs économiques ». En s'appuyant sur les actions concrètes menées par cette association, qui a notamment défendu les travailleurs forcés de Total en Birmanie, il expose dans son dernier livre les obstacles que rencontrent les victimes de la mondialisation pour obtenir réparation des dommages qu'ils ont subis et a fortiori pour faire sanctionner les responsables.

La lutte contre l'impunité économique s'assimile à un véritable « parcours du combattant » (p. 65).
Premièrement, les « crimes d'inhumanité » perpétrés par les multinationales qui portent atteinte à la santé publique et à l'environnement ou violent le droit des travailleurs semblent à tort ou à raison moins graves que les « crimes contre l'humanité » dont les génocidaires et les criminels de guerre se sont rendus coupables. Même si l'opinion publique internationale s'émeut plus aujourd'hui qu'hier, leur moindre réprobation a eu pour conséquence une impunité persistante. La situation est d'autant plus préoccupante que, comme le montre William Bourdon, la lutte contre l'impunité pénale, après avoir avancé à pas de géants dans les années 90, semblent marquer le pas. L'auteur rappelle le combat auquel les ONG ont pris leur part pour la création d'une Cour pénale internationale qui a abouti au Traité de Rome du 17 juillet 1998. Mais il souligne ses limites. D'une part certains Etats, et non des moindres, n'ont pas encore ratifié le Traité : les Etats-Unis, la Russie, la Chine, Israël … D'autre part, les premières actions engagées par la Cour – au premier rang desquelles le mandat d'arrêt lancé en mars 2009 contre le chef d'Etat soudanais – ont accrédité la perception d'une cour « pour l'Afrique » (p. 124) prétendant faire respecter aux Etats les plus faibles les standards d'un droit international qu'ils n'osent pas imposer aux plus forts. Cette crise de légitimité hypothèque les progrès de la lutte contre la criminalité financière transnationale.
Deuxièmement, ces crimes sont souvent commis avec la complicité des Etats qui les abritent et des populations qui y collaborent. Pour ceux-ci comme pour celles-là, les atteintes à l'environnement ou à la santé dont les grandes entreprises multinationales se rendent responsables, souvent perceptibles à très long terme, ont moins de poids que le nombre d'emplois créés et l'enrichissement immédiat : « Pour les Etats pauvres et les Etats émergents, l'urgence de nourrir le plus grand nombre relativise l'exigence écologique : certes, il est important de sauver la planète, mais pas en sacrifiant ceux qui crient famine » (p. 235). Si William Bourdon a raison de dénoncer ce « chantage à l'emploi » (p. 74), il reconnaît lucidement qu'il n'y existe pas encore de réponse satisfaisante. Plaider en faveur d'une conscience publique internationale, certes souhaitable mais un brin irénique, ne suffit pas. La lutte contre les « crimes du marché » suppose un minimum d'universalité qui est encore loin d'être réalisée. Sans doute la mondialisation de l'information via Internet a-t-elle contribué à l'éveil des consciences. L'affaire du Probo Koala en Côte d'Ivoire en 2006 (un pétrolier décharge au port d'Abidjan 581 tonnes de déchets toxiques provoquant la mort de dix personnes et l'hospitalisation de centaines d'autres) n'aurait pas eu un tel retentissement dix ans plus tôt seulement. Ce serait cependant se méprendre sur l'état d'embourgeoisement et de barbarie de la planète – pour reprendre le vocabulaire de Pierre Hassner – que d'imaginer que nous vivons dans un monde isonome où la protection de l'environnement et des droits sociaux a la même valeur à Stockholm ou à Lagos, à Toronto ou à Wuhan.
Troisièmement, la responsabilité des entreprises multinationales dont les services juridiques, redoutablement outillés, excellent à créer un rideau de fumée avec leurs lointaines filiales, est difficile sinon impossible à mettre en cause. Les paradis fiscaux, qui malgré les annonces tonitruantes du G20 au lendemain de la crise financière ne se sont jamais aussi bien portés selon William Bourdon, permettent aux multinationales de diluer leurs responsabilités et d'égarer les enquêteurs. Quelques organismes publics essaient de traquer la criminalité en col blanc : par exemple le GAFI . L'OCDE promeut des instruments juridiques de lute contre la corruption. Mais, ces tentatives semblent bien vaines face à l'ampleur des défis. Dans ce combat de David contre Goliath, l'expertise manque aux ONG aussi militantes soient-elles pour s'attaquer aux mastodontes de la finance internationale.

L'indignation légitime suscitée par les crimes de la mondialisation peut conduire à un moralisme radical dont William Bourdon a raison de dénoncer les excès. Il faut lui reconnaître beaucoup de lucidité dans le regard qu'il porte sur l'évolution du mouvement altermondialiste et sa radicalisation : tout en reconnaissant sa capacité à déchiffrer la mondialisation, à en dénoncer les excès et à créer une vaste mobilisation internationale – dont témoignent les Forums sociaux mondiaux depuis celui de Porto Alegre de 2001 – il critique son enfermement insidieux dans une posture victimaire (il n'a pas de mots assez dur contre l'amateurisme des ONG qui considèrent « trop souvent qu'être mandataire des souffrances est une compétence en soit ») et nihiliste (« Proposer de supprimer la Banque mondiale ou le FMI mobilise certes les banderoles mais ne sert strictement à rien » p. 233). le président de Sherpa n'est pas de ceux qui estiment que « la victoire ne résiderait qu'à obtenir le scalp d'un dirigeant du CAC 40 » (p. 230) et qui proposent par exemple la création d'un tribunal pénal international pour les crimes économiques et sociaux sur le modèle de la Cour pénale internationale. Au « radicalisme moraliste d'opposants dont la bonne conscience s'accommode trop souvent de l'inefficacité des actions qu'ils promeuvent » (p. 270), William Bourdon oppose 39 propositions argumentées certes plus modestes mais plus réalistes allant de la création d'indicateurs lisibles des performances sociales et environnementales des multinationales à la réforme des législations répressives des atteintes aux droits humains .

Soucieux de collaborer avec le marché sans être son dupe, William Bourdon estime que le dialogue avec les multinationales n'est pas en soi condamnable. C'est avec elles dit-il que le capitalisme se moralisera. Mais, pour autant il ne croit pas en sa capacité de s'auto-réformer en douceur et reste persuadé que le capitalisme n'évoluera pas sans pression extérieure de l'opinion publique, ni crainte d'être mis en cause devant un juge : « Il n'y aura pas de nouveau modèle de développement sans de nouveaux systèmes normatifs nationaux et internationaux » affirme-t-il avec force (p. 271). Cette position modérée permet à William Bourdon à la fois de justifier l'accord obtenu avec Total en Birmanie qui a permis, sans procès, la création d'un fonds d'indemnisation doté de 5,2 M€ et d'exprimer son scepticisme à l'égard des instruments de soft law, ce « droit mou » dont la mise en oeuvre n'est guère contrôlée et la violation encore moins sanctionnée : « principes directeurs » de l'OCDE, Global Compact de l'ONU, charte de 2006 de l'investissement « socialement responsable ». William Bourdon montre que la rédaction de codes de bonne conduite par les compagnies ou la création de labels verts ou bleus sans validation par un « tiers de confiance » sont plus souvent le produit de stratégies cyniques de greenwashing ou de fairwashing par les entreprises que la manifestation de leur intention de modifier en profondeur leurs pratiques.
Il dénonce aussi les dangers de l'entrisme que ces multinationales pratiquent dans les ONG notamment américaines. Yves Dezalay et Bryant Garth avaient déjà mis en lumière la pratique des revolving doors dans le monde des ONG, ces allers-retours des militants qui passent de la direction des ONG à des postes prestigieux de « directeurs du développement durable » dans les grandes multinationales dont ils combattaient jusqu'alors les pratiques. Cette circulation des élites n'est pas sans rappeler, dans un tout autre domaine, l'évolution des jeunes militants de la lutte antiraciste passés du syndicalisme contestataire à des responsabilités politiques (Harlem Desir, Fodé Sylla, Fadela Amara …). Cette circulation des individus entraîne une progressive uniformisation des discours qui peut laisser craindre l'émergence d'une nouvelle pensée unique : « ces think tanks vous ont un petit air d'humanisme et, en même temps, ils tentent de tout absorber, de ‘‘pasteuriser'' les idées progressistes portées par une partie des ONG du Sud » (p. 81). Illustrant la reconversion des mouvements contestataires, William Bourdon cite non sans humour cette ONG américaine qui a renoncé dans les années 2000 à son slogan Sue the bastards pour lui préférer un plus acceptable Finding the ways that work.

Publié dans une maison d'édition militante, le livre de William Bourdon n'enfonce pas les portes ouvertes d'un sujet propice à toutes les démagogies. Il n'oppose pas les « méchantes » multinationales aux « gentilles » ONG et, dénonçant tour à tour les risques de la radicalisation et ceux de la connivence, prône une approche responsable.
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Vidéo de William Bourdon
Un air devenu irrespirable, des champs et des forêts ravagés par les obus, des nappes phréatiques et des rivières contaminées par l'arsenic, le plomb ou le mercure issus de la dégradation des munitions : le bilan de la guerre en Ukraine est aussi une catastrophe environnementale. Peut-on pour autant parler d'écocide ? Pour évoquer cette question, Quentin Lafay reçoit l'avocat William Bourdon.
#guerreenukraine #ecocide #environnement ____________ Découvrez les précédentes émissions ici https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDroktda4TPaXZ4gsax_geIeE ou sur le site https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour
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