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Citations sur Le Disciple (86)

La première fut, me semble-t-il, l’application à mon confesseur de ce terrible esprit critique, faculté destructive de la confiance, qui m’avait dès mon enfance séparé de ma mère. Je continuais à pousser jusqu’aux plus fines, aux plus ténues délicatesses mes examens de conscience, et l’abbé Martel continuait à ne pas même apercevoir ce travail de torture secrète qui m’anatomisait toute l’âme. Mes scrupules lui paraissaient, ce qu’ils étaient en fait, des enfantillages. Mais c’étaient les enfantillages d’un garçon très complexe et qui ne pouvait être dirigé que si on lui donnait la sensation d’être compris. J’en arrivai bientôt à éprouver, dans mes entretiens avec ce prêtre rude et primitif, la sensation contraire, celle de l’inintelligence. Ce n’était pas de quoi empêcher que je ne remplisse mes devoirs religieux. C’était assez pour enlever à ce directeur de ma première jeunesse toute véritable autorité sur ma pensée.

Chapitre IV. Confession de d'un homme
&. II. Mon milieu
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Le grand événement de mon adolescence, qui fut la perte de ma foi, ne date pourtant pas de cette déception. Les causes qui déterminèrent cette perte furent nombreuses, et je ne les comprends nettement qu’aujourd’hui. Il y en eut d’abord de lentes, de progressives, qui agirent sur mon âme comme le ver sur le fruit, dévorant l’intérieur sans que le dehors garde un autre signe de ce ravage qu’une petite tache presque invisible sur la pourpre de la belle écorce.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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La peur de l’enfer s’exaltait en moi jusqu’à la folie. D’autre part l’abbé Martel déployait la même éloquence à nous célébrer l’importance décisive qu’aurait pour notre salut cette approche de la sainte table, et, par suite, ma crainte des supplices éternels aboutissait à des examens de conscience d’un scrupule infini. Bientôt ces reploiements intimes, ce regard jeté à la loupe sur mes moindres détours de pensée, cette scrutation continue de mon être le plus caché, m’intéressèrent à un degré tel que l’attrait de n’importe quel jeu devint nul à côté. J’avais trouvé, pour la première fois depuis la disparition de mon père, un emploi à ce pouvoir d’analyse déjà définitif, presque constitutif en moi.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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Il s’y joignait une singulière impression d’effroi qui dérivait de l’enseignement donné par l’abbé Martel, le prêtre chargé de nous préparer à cette première communion. C’était un homme petit et court, de mine apoplectique, avec un regard sombre et d’un bleu dur dans un large et rouge visage. Il avait été élevé dans un séminaire de province, encore pénétré de jansénisme. Ses yeux, quand il nous parlait de l’enfer, dans la tribune des Minimes où il nous réunissait, dardaient des prunelles brillantes et soudain fixes, où passaient des visions d’épouvante, et cette épouvante, il nous la communiquait.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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Je croyais, et par suite mes petits péchés m’apparaissaient comme de vrais crimes, et de les avouer me faisait honte. Je me repentais, et j’avais la certitude que je me relèverais pardonné, avec le délice d’une conscience lavée de ses taches. J’étais un enfant imaginatif et nerveux, il y avait donc pour moi, dans le décor du sacrement, dans le silence froid de l’église, dans cette odeur de caveau et d’encens qui la remplissait, dans le balbutiement de ma propre voix disant « mon père », dans le chuchotement de la voix du prêtre répondant « mon fils », par derrière le grillage, une poésie de mystère que je percevais sans la comprendre encore.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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J’étais, à cette époque déjà, passionné de lecture, et le hasard m’avait mis entre les mains des volumes très différents de ceux qui se donnaient en prix dans les distributions. Voici comment : quoique mon père, en sa qualité de mathématicien, eût peu de lettres, il aimait quelques auteurs, qu’il comprenait à sa manière ; (...) Entre autres ouvrages, mon père possédait dans sa bibliothèque une traduction de Shakespeare en deux volumes sur lesquels on m’asseyait pour hausser ma chaise devant la table quand le temps fut venu de quitter mon siège de bébé. On me laissait ensuite, et sans y prendre garde, manier ces volumes, illustrés de gravures qui incitèrent bientôt ma curiosité à lire des morceaux du texte. C’était une lady Macbeth se frottant les doigts sous le regard terrifié du médecin et d’une servante, un Othello entrant le poignard à la main dans la chambre de Desdémone et penchant sa face noire sur la blanche forme endormie, un roi Lear déchirant ses vêtements sous les zigzags des éclairs, un Richard III couché dans sa tente et environné de spectres. Et, du texte qui accompagnait ces gravures, je lus tant et tant de fragments que je finis par me familiariser avant ma dixième année avec ces drames qui exaltaient mon imagination dans ce que j’en pouvais saisir, sans doute parce qu’ils ont été composés pour des spectateurs populaires et qu’ils comportent un élément de poésie primitive et un grossissement enfantin.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
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C’est aujourd’hui que je regrette vraiment mon père, que je comprends ce que j’ai perdu en le perdant. Je crois vous avoir nettement marqué ce que je lui dois : le goût et la facilité de l’abstraction, l’amour de la vie intellectuelle, la foi dans la science, le précoce maniement de la bonne méthode : voilà pour l’esprit (...).

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
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Il en était de même des fleurs qu’il me dressait à ranger dans un herbier, des cailloux que je cassais sous sa direction avec un petit marteau en fer, des insectes que je nourrissais ou que je piquais, suivant les cas. Bien avant que l’on ne pratiquât dans les collèges les leçons de choses, mon père appliquait à mon éducation première sa grande maxime : « Ne rien rencontrer que l’on ne s’en rende compte scientifiquement, » conciliant ainsi la paysannerie de ses premières impressions avec la précision acquise dans ses études mathématiques. J’attribue à cet enseignement le précoce esprit d’analyse qui se développa en moi dès cette première adolescence, et qui se serait sans doute tourné vers les études positives, si mon père avait vécu.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
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Mon père aimait la campagne, naturellement, parce qu’il avait été élevé dans un village, que tout petit il avait passé des journées entières au bord des ruisseaux, parmi les insectes et les fleurs. Au lieu de s’abandonner à ses goûts d’une manière simple, il y mélangeait ses préoccupations actuelles de savant. Il ne se serait point pardonné d’aller dans la montagne sans y étudier la formation du terrain ; de regarder une fleur sans en déterminer les caractères et sans en découvrir le nom ; de ramasser un insecte sans se rappeler sa famille et ses mœurs. Grâce à la rigueur de sa méthode en tout travail, il était arrivé ainsi à une connaissance très complète de la contrée ; et, quand nous marchions ensemble, cette connaissance faisait la matière unique de notre entretien. Le paysage des montagnes lui devenait un prétexte pour m’expliquer les révolutions de la terre. Il passait de là, sans efforts, avec une clarté de parole qui me rendait de telles idées perceptibles, à l’hypothèse de Laplace sur la nébuleuse, et j’apercevais distinctement en imagination les protubérances planétaires s’échappant du noyau enflammé, de ce torride soleil en rotation. Le ciel de la nuit, par les beaux mois d’été, devenait une espèce de carte qu’il déchiffrait pour mes yeux de dix ans, et où je distinguais l’Étoile polaire, les sept étoiles du Chariot, Véga de la Lyre, Sirius, tous ces univers inaccessibles et formidables dont la science connaît le volume, la position et jusqu’aux métaux.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
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J’ai constamment éprouvé, par exemple, une horreur singulière pour l’action, si faible fût-elle, au point que de faire une simple visite me causait autrefois un battement de cœur, que les plus légers exercices physiques m’étaient intolérables, que d’entrer en lutte ouverte avec une autre personne, même pour discuter mes idées les plus chères, m’apparaît, encore aujourd’hui, chose presque impossible. Cette horreur d’agir s’explique par l’excès du travail cérébral qui, trop poussé, isole l’homme au milieu des réalités.

Chapitre IV. Confession d'un jeune homme
&. I. Mes hérédités
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