Citations sur Nos vies suspendues (10)
Lui, ce n'est pas le viol, qu'il risquait avec son attitude. Mais le lynchage public. Coupable d'être lui-même.
Et nous, on était coupables de quoi, déjà ? Ah, oui : d'être jeunes, jolies, heureuses de profiter d'un début d'été, de vacances ensoleillées, de la musique ringarde du 14 juillet et d'avoir trop dansé, trop bu.
Et eux, ne sont coupables de rien. Ni de viol ni d'abus. Ni même de lâcheté.
Vivre, c'est accepter les douleurs, les échecs et les décès, mais c'est aussi plein de bonheur, on va le trouver en insistant, et pour ça faut du coeur, et un mental de résistant...
Selon les jurés, le non-consentement n'était pas avéré, trois des accusés étaient mineures, sous l'influence de stupéfiants ; les victimes étaient en état d'ébriété, court vêtues, elles ne se sont pas assez débattues ; des filles délurées en quête d'amours de vacances qui l'ont quand même un peu cherché, des témoins les ont vues se trémousser sur la piste de danse, après tout.
La honte et la peur te sont tombées dessus, tu t'es engouffrée dans la bouffe pour éviter de te noyer et peu à peu, ta bouée de sauvetage a montré son vrai visage, celui d'une prison, avec ta chair en guise de barreaux.
Quand le couple se sépare, presque à regret, un bâtard gris, plus hardi que les autres, tente de s'approcher. Grondement. Il s'éloigne, soumis. Alors, avec un drôle de soupir, la femelle qui le parc en trottinant. Assis sur son arrière-train, son compagnon l'observe avant de se fondre, pareil à un fantôme, dans la brume.
C'est la différence entre les chiens et les hommes.
Les uns savent s'arrêter.
Les autres, non.
Lâche. Tricheur. Menteur.
Ces mots résonnent comme un appel.
Lâche. Tricheur. Menteur.
Ces mots résonnent comme une invocation.
Lâche. Tricheur. Menteur.
De leurs ténèbres, quelques chose émerge. Lentement.
Lâche.
Tricheur.
Menteur.
Je connais tes secrets.
Je connais tes peurs.
Lâche. Tricheur. Menteur. Lorsque Steven a croisé le regard froid d’Anis, ces mots l’ont transpercé comme des lames. Il a reculé, le souffle court. Quand il a repris ses esprits, elle avait disparu. Impossible de savoir s’il avait imaginé son visage ou si elle se trouvait bien là, séparée de lui par une nasse humaine. Cette rencontre l’a hanté toute la soirée.
Mon petit coin d’espoir bleu comme un ciel d’été s’est voilé de gris, gris orage, gris plomb, gris pollution quand ils ont décidé que les criminels ne l’étaient pas tant que cela, que Nora et moi nous n’étions peut-être pas si innocentes qu’on voulait le faire croire. On avait bu, après tout. On avait pris des trucs.
On était court vêtues. Ben oui, c’était l’été.
On l’avait sans doute cherché.
On ne cherche jamais. Ni à être battu. Ni à être violé.
C’est n’importe quoi.
« Nora ne se réveille pas ». Lapidaire. Rageur. Impuissant. Une rage que je me prends de plein fouet, parce que je suis consciente, moi, et combative, une rage qui se communique, de l’écran à ma peau, ma chair, mon coeur. Procès en cours d’assises ou non, ils paieront. Je veux que la peur les fige. Je veux qu’ils tremblent, mais soient incapables de crier. Je veux qu’ils ressentent notre terreur – et qu’ils demandent pardon.