Le gras du ciel libère d’épais flocons qui nappent peu à peu la nature endormie. Perchée sur le rebord de la fenêtre, une mésange bleue, que l’on dirait ornée d’un loup de carnaval, observe son reflet.
(Incipit)
Différentes nuances de pénombre tapissent les encoignures, et partout sur les poutres, des araignées aux allures de petites méduses demeurent suspendues à leur fil invisible, les sens aiguisés par l’attente de voir approcher un insecte imprudent.
Caleb tendit le bouquet, un bouquet de fleurs cueillies dans leur jardin. Elle ne fit aucun geste pour s'en saisir.
- Ils t'ont laissé monter avec ?
- Je les ai planquées sous ma veste.
- J'ai jamais aimé couper les fleurs.
- Je voulais te faire plaisir...
- Ce qu'elles doivent penser, à se retrouver ici, alors qu'elles étaient à l'air libre, plantées dans de la bonne terre. Tu réfléchis, des fois ?
- Il en reste plein d'autres.
(page 70)
Les mots seuls ne fabriquent pas d’émotion sincère, c’est l’émotion qui doit précéder l’apparition des mots.
Les grands livres ont ce pouvoir-là, de modifier la trajectoire du lecteur à chaque lecture, de maîtriser le temps en déployant l'espace, de faire en sorte que rien ne s'est véritablement produit, qu'à tout moment peuvent surgir de nouvelles montagnes et de nouveaux abysses.
Les derniers nuages de foin perdirent de l'altitude au contact de l'air plus frais montant de la vallée et certains s'accrochèrent à la cime des arbres surplombant la rivière, semblables à des nids abandonnés.
Caleb se souvient du temps où sa mère lui préparait le grog dans un mazagran. Elle se servait ensuite un bol de chicorée mélangée à du lait. Ils buvaient ensemble, dans ce grand silence paysan qui finit par avoir raison de presque toutes les présences. Les lèvres fines et blêmes de sa mère effleuraient la faïence en soufflant doucement, ces mêmes lèvres qui filaient si peu de mots.
Caleb pense que ce qui peut arriver de mieux à la planète, c'est que les humains disparaissent le plus rapidement possible, peu importe comment. Pour que tout soit parfait, il faudrait qu'il n'y ait aucun survivant, sinon un jour ou l'autre, on recommencerait les mêmes erreurs. L'homme a toujours réussi à faire mieux, en pire.
Un épicéa solitaire, assis à mi-pente du versant opposé, déroule sur le sol une flaque d'obscurité supplémentaire en forme de pointe de flèche crantée.
Les esprits voyagent après la mort, plus libres que les corps.