Le secret de Lady Audley

Il oubliait que l’amour, qui est une folie, un fléau, une illusion, un piège, est aussi un mystère que ne peuvent déchiffrer ceux qui n’en subissent pas les tortures.

Songez à ce qu'a été ma vie, songez seulement à cela. Dès ma plus tendre enfance je n'ai vu que pauvreté. Mon père était un gentilhomme, instruit, accompli, généreux, beau, mais pauvre. Ma mère... mais ne parlons pas d'elle. Je n'ai éprouvé que misère, pauvreté, épreuves, vexations, humiliations, privations de toute sorte. Vous ne pouvez savoir, vous qui vivez parmi ceux dont la vie est si douce et si facile, vous ne pouvez pas vous figurer tout ce que nous avons à endurer, nous autres, pauvres êtres.

George Talboys est très heureux auprès de sa sœur et de son ami. Il est jeune encore, et il n’y aurait rien d’impossible à ce qu’il trouvât quelque jour une autre femme qui le consolerait du passé. Cette sombre histoire s’efface un peu chaque jour et un temps viendra où le voile de deuil jeté sur la vie du jeune homme par la cruauté de sa femme aura complètement disparu.

Chapitre 42

Le gérant de l’auberge du Château n’avait subi aucune transformation morale sur son lit de souffrances, qui avaient été trop rapides et trop cruelles. Peut-être quelques faibles rayons de lumière, qui n’avaient jamais éclairé sa vie, s’efforçaient-ils de percer faiblement les sombres obscurités de l’ignorance qui remplissaient son âme ? Peut-être quelque demi-rancune, quelque demi-repentir obstiné le portaient-ils à faire quelques rudes efforts pour racheter une vie égoïste passée à boire et à faire le mal ?

Chapitre 39

Il faisait presque nuit. Les brumes bleutées du soir s’élevaient lentement du sol. Au-dessus des prairies flottait une vapeur grise, et un étranger aurait pu imaginer que le château d’Audley se dressait au bord de la mer. Sous l’arche, les ombres du soir rôdaient comme des conspirateurs attendant une occasion de se glisser furtivement dans la cour. On distinguait à peine, de l’autre côté de l’arche, la faible lueur d’un coin de ciel bleu strié de vives traînées rouges, éclairé par le léger scintillement d’une étoile d’hiver. Il n’y avait personne dans la cour, excepté cette femme inquiète, qui faisait les cent pas dans le sentier, guettant le pas qui frapperait son âme de terreur.

Chapitre 34

Depuis quelques mois je lutte avec des doutes et des soupçons qui ont assombri ma vie et sont devenus plus forts chaque jour. Ils ne se calmeront pas au moyen des sophismes ordinaires et des arguments superficiels dont les hommes usent pour tenter de se leurrer, plutôt que de croire ce que, entre toutes choses, ils craignent le plus. 

Chapitre 26

Je pense et je crois que je ne reverrai plus la figure de mon ami, et qu’aucune tentative de ma part ne pourra jamais être d’aucun avantage pour lui. En un mot, le plus cruel des mots, je crois qu’il est mort.

Chapitre 20

Les mêmes feuilles se décomposaient lentement dans le fonds tranquille de l’étang, mêlées aux herbes entrelacées qui coloraient la surface de l’eau. Tous les jardiniers que sir Michael aurait pu employer ne pouvaient empêcher la main destructrice de l’automne de s’imprimer sur les terres autour du château.

— Comme je déteste ce mois désolé, dit milady, en se promenant dans le jardin toute grelottante sous sa cape de zibeline. Tout tombe en ruine et se flétrit, et le soleil froid et vacillant éclaire la laideur de la terre, comme la clarté d’une lampe éclaire les rides d’une vieille femme. Deviendrai-je jamais vieille, Phoebe ? Ma chevelure tombera-t-elle un jour comme les feuilles qui tombent de ces arbres, et me laisserat-elle défaite et dépouillée comme eux ? Que deviendrai-je, lorsque je serai vieille ?

Chapitre 14

Il sortit sans détour, ce vieux fou, parce qu’une vive émotion s’était emparée de son cœur ; ce n’était ni la joie, ni le triomphe, mais quelque chose ressemblant presque à du désappointement, une espèce d’aspiration étouffée et déçue qui pesait lourdement sur son cœur, comme s’il avait porté un cadavre dans son sein. C’était le cadavre de son espoir qui venait d’expirer à la voix de Lucy. Tous ses doutes, toutes ses craintes, toutes ses aspirations timides venaient de finir. Il devait se contenter, comme les hommes de son âge, de se marier pour sa fortune et sa position.

Chapitre 1

Il oubliait que l’amour, qui est une folie, un fléau, une illusion, un piège, est aussi un mystère que ne peuvent déchiffrer ceux qui n’en subissent pas les tortures