Le premier principe - Le second principe

Les mauvais garçons ont une aura indéniable; c'est un vice de l'esprit sr quoi les chercheurs devraient se pencher.

« … je me demande raisonnablement, pourquoi l’éternité future dont je serai exclu serait plus effroyable que les siècles innombrables qui ont précédés ma naissance. Je n’y apparais pas davantage. Il est moins odieux, murmurent cependant mes démons, de ne pas exister que de n’exister plus, d’être inconscient du monde que d’y être jeté pour une durée qu’on sait infinitésimale. C’est aussi injuste, cruel, que de vous priver d’une chose sitôt que vous y prenez goût.

Au Château, où planait l'ombre de la mort, le président se murait dans ses mensonges. Rongé par la maladie, sentant venir le terme, il détournait les yeux du présent pour mieux se mirer dans sa gloire posthume. Son visage était devenu un masque cireux, ses prunelles évoquaient la dureté hypnotique d'une mante religieuse. L'angoisse le rendait impatient; l'impatience le faisait lucide; la lucidité, brillant, intransigeant, odieux. Il laissait tomber ses ordres comme on accorde une faveur. La déroute électorale imposait des démissions, un remaniement ministériel...le navire prenait eau de toute part, et, tel Saturne dévorant ses fils, il avait brisé un à un tous ses capitaines. Le chef de l'Etat chercha alors autour de lui l'homme dont la cote de popularité semblait la moins entamée, le serviteur fidèle, malléable et intègre qui lui permettrait de se maintenir à flot, de tenir, et son choix s'arrêta sur son ancien ministre des Finances, cet enfant du terroir normand qui n'avait pas son bac, ce paysan mal dégrossi que certains de ses subordonnés surnommaient le Boeuf et qui ne lui inspirait pas davantage d'estime. "Puisqu'il s'agit d'administrer des veaux", aurait-il murmuré.

Qu'un corps froid nous refroidisse, que nous ayons besoin de chaleur pour nous réchauffer, sont des vérités que n'importe qui peut constater chaque jour, en sport, au bureau, en politique aussi bien que dans sa vie de couple ; sur le plan pratique, l'axiome permet d'anticiper bien des situations conflictuelles, de prévenir bien des déconfitures.

"Et pour M. le sénateur ?
_ Des asperges. Et le suprême de volaille.
_ La même chose.
_ J'hésite", soupirait l'Italien, tandis que Jean-Luc Massard admirait la façon dont ces hommes ne disaient jamais au personnel ni s'il vous plaît ni merci, sans pour autant paraître impolis. Cela tenait à quelques nuances d'expression, un regard, l'ombre d'un sourire, qui les dispensaient des frais ordinaires; mais quand il s'y essaya à son tour, il se trouva si peu convaincant qu'il se rattrapa par un merci bien qui lui fit sentir combien de chemin il lui restait à parcourir.

Le ministre adorait le président, disait-il, il avait le souci de son parti, mais il plaçait l'intérêt de la France au-dessus, même si ça sonne un peu bête. Il estimait le système pourri, il affirmait qu'on ne devait plus entériner les mensonges, qu'ils perpétuaient des pratiques délétères. La débâcle des législatives lui avait ouvert les yeux et il avait arrêté sa décision, en leader responsable. Ses anciens collaborateurs lui rappelaient cependant qu'il y a les choses que l'on peut dire et celles qu'on ne doit pas dire, et à leurs voix se joignaient d'anciens membres de son gouvernement et celles, plus discrètes mais plus fermes, du lobby militaire. Et les pressions ont commencé. Les avis amicaux, les conseils dans ton bien, les pense à ta famille, le chantage, les menaces. Le hasard a voulu que j'en enregistre quelques unes, m'a expliqué Jameson; c'était des messages sans ambiguïté. Ils bluffent, se défendait le ministre, ils n'oseront jamais.

Je n'y suis pas spécialement sensible, mais l'intervention du bistouri saute aux yeux. La paupière gauche de Sonia Massard s'étire vers la tempe, quand la droite a tendance à tomber en rideau. Une coloration impure cerne le cou. Les lèvres surtout débordent jusque sous les narines, dans les moments où l'indignation l'emporte, comme si les substances dont on les avait gonflées se répandaient sous la peau. J'aperçois en même temps, par-delà les traits remodelés, le fantôme d'une harmonie perdue, un reste de la personne charmante, intelligente et gauche qu'elle était autrefois et imaginant ce qu'elle a du traverser, l'humiliation, les insomnies, les solutions de désespoir, j'éprouve une de ces peines qui vous donnent envie de fuir.

Le regard des chats ne m'a jamais fasciné. Personnellement, je comprends mal le mystère qu'on lui prête, sa prétendue profondeur sibylline me semble le produit d'une effarante vacuité. S'il avait la prunelle en amande, le mouton aussi paraîtrait dépositaire de la sagesse des pyramides.

Reprendre le chemin de l'université, rabâcher des thèses auxquelles il ne croyait plus, "pour des clopinettes", quand il avait connu les ors de la République, les voitures avec chauffeur, les voyages officiels, le frisson du pouvoir, lui paraissait inenvisageable, personne ne revient en arrière.
Pourquoi n'était-il pas entré dans le privé quand il en était encore temps ? On lui avait fait des propositions et il avait laissé passer sa chance. Julie Wassermann dirigeait un florissant cabinet de conseil en investissement, Lavauzelle, un ancien subordonné, se la coulait douce à Air Inter, "la planque en or" selon ses termes; Erik Sadoun, le copain de fac, avec qui il avait dîné l'autre soir, trotskiste enragé dans sa jeunesse, faisait fortune dans l'achat d'espaces publicitaires, il roulait en Porsche et sortait avec une Brésilienne qui n'avait pas la moitié de son âge. Cette Sud-Américaine blonde et siliconée, réfutation vivante de leurs idéaux d'autrefois, lui restait spécialement en travers de la gorge...Il se doutait bien que, dans la déroute qui allait survenir, les petits soldats comme lui seraient oubliés sur le bas-côté.

N'était-ce pas là qu'il avait toujours souhaité en arriver ? Pas de rapport, plus de conflit. Une de ces bonnes vieilles unions anglo-saxonnes où mari et femme se satisfont d'une poignée de main à chaque Noël. Le sexe au-dehors, le pudding à la maison, et le couvercle des convenances par-dessus.