À François et Suzanne de Fortis
II
J’ai la nostalgie d’un horizon calme
D’une prairie verte et d’un champ de blé,
De rentrées le soir des lentes campagnes,
Des vieilles maisons et des toits groupés
Et des pluies d’hiver sur l’horizon calme.
Les pieds bien calés dans la grasse terre,
Le corps bien roulé dans le vent des hauts,
Regarder le ciel comme un partenaire,
Vouloir du soleil et vouloir de l’eau,
Etre malheureux du mal de la terre.
Les livres, le feu, le fusil, les pipes,
L’eau-de-vie qu’on chauffe au creux de la main,
Le tour des saisons qui viennent et quittent,
L’odeur de la grange et l’odeur du vin,
Le soc fou de joie dans la grande vigne,
Me parlent encor entre deux villages,
Du fond d’un tombeau où dorment des vieux
Qui marchaient jadis sur les routes blanches,
Me parlent tout bas, me parlent plus fort,
Me touchent le bras, mais moi, je me hâte
Et je fais celui qui ne comprend pas.
À François et Suzanne de Fortis
I
J’ai la nostalgie d’une plaine d’herbes,
Je regrette confusément de petits chevaux,
Des camps levés dans de tristes matins glaciaires,
Des fleuves traversés qui n’avaient pas de noms,
Les marches forcées vers des villes à coupoles,
Et des villages blancs défendus par des pieux.
Je regrette mes voisins, les compagnons de la horde,
Et plus que tout celui qui vivait près de moi,
Celui dont le genou touchait mon genou nu,
Celui dont j’entendais le souffle et dont l’odeur
Se mêle à mon regret de cette plaine d’herbes.
Je regrette l’Europe et ses vastes espaces,
Voici les villes noires et les rues prisonnières,
Voici les corridors des souterrains poisseux,
Voici l’hiver malsain avec ses faux parages,
Et voici mes amis, les hommes de mon âge,
Qui ont perdu le goût et la règle du jeu.
Je regrette l’Europe et ses vastes espaces,
Quand tout était pur, neuf, inconnu et désert.
Quand le printemps viendra nous reprendrons la mer
À François et Suzanne de Fortis
IV
‒ Mais non, je sais ce qui m’appelle,
C’est le geste des hommes nus
Dans les escales tropicales
Debout sur les panneaux ouverts.
C’est le geste aux trois doigts levés
Qui mène la marche des treuils,
Le signal sur l’horizon vide
Où passe une infime pirogue
Qui évoque la certitude
D’autres îles qu’on ne voit pas.
(....)
Deux poètes marins, deux revenants, se retrouvent lors d'une escale imaginaire. Un siècle sépare la date de leur départ. Tristan Corbière est breton, il chante la marine en bois, la mer taillée à coups de hache. Louis Brauquier est provençal, il chante la marine en fer, les grands cargos des messageries maritimes. Enrichis de leur différence et complices dans leur amour de la mer, ils nous entraînent dans un voyage de vie, de rêve, de fureur et d'amitié. Dans un décor de voile sublimant la poésie des textes, Bernard Meulien et Gérard Pierron jouent les rôles de Corbière et de Brauquier. Ils sont accompagnés de leur équipage musical : Marie Mazille (violon, clarinette, chant...), Patrick Reboud(accordéon,dulcitone...) et Yves Perrin (guitares).
Spectacle créé au Théâtre de St Barthélémy d'Anjou en septembre 2011.
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