Est-ce que tu meurs du sida , Luke , ou bien est-ce que tu vis avec lui?
À l'époque, j'étais pour la première fois à deux doigts du repentir. On eût dit que j'avais vécu dans un rêve durant onze ans et que je venais de me réveiller dans un monde à peine reconnaissable. Comment avais-je pu commettre vingt-trois meurtres ? Qu'est-ce qui m'y avait poussé ? J'ai tenté d'explorer avec des mots les profondeurs de mon âme.
"Durant son enfance, alors qu'il se promenait dans les marais familiaux, il avait glissé une main dans un trou prometteur, entre les racines d'un chêne vert, et quelque chose avait planté des dents acérées dans sa chair. Jay s'était emparé de la créature (un mulot ou un campagnol) et l'avait broyée entre ses doigts. Puis, fasciné par le bruit que faisaient les os ense brisant, il avait déchiré le petit cadavre en menus morceaux."
Il a tendu sa main vers la mienne par-dessus la table. Son étreinte était fraîche, sèche et languide. Quand je serrais la main à un compagnon potentiel, j'avais pour habitude de coller ma paume à la sienne et, l'espace d'un instant, de lui enserrer le poignet, guettant la réaction qu'allait susciter en lui ce geste intime, ce signe de domination.
Et j'ai été fort surpris de constater que Jay faisait de même. Nous nous sommes vivement écartés l'un de l'autre, interloqués.
Je m’appelle Andrew Compton. Entre 1977 et 1988, j’ai tué à Londres vingt-trois jeunes hommes et adolescents. J’avais dix-sept ans lorsque j’ai commencé, vingt-huit lorsque l’on m’a capturé. Durant mon séjour en prison, j’ai toujours su que je me remettrais à tuer des garçons si on me libérait. Mais je savais aussi qu’on ne me libérerait jamais.
Ta vie est entrée en collision avec la mienne et tu n'as pas survécu au choc, tout simplement.
"Notre aspect est souvent neutre, terne ; personne n'a croisé l’Éventreur dans la rue en pensant : Ce type a la tête de quelqu'un qui a mangé des reins de fille pour dîner."
Les fêtards pouvaient beugler tout leur soûl dans la rue, le Vieux Carré ne leur appartenait pas. Demain, la semaine prochaine, l'année prochaine, ils auraient disparu, aussi éphémères que le sillage d'un navire descendant le fleuve. Jay serait toujours là. Le Carré était à lui, ses rues nocturnes éclairées au gaz, ses ruelles sordides et ses passages illuminés de néons, ses cours secrètes baignées d'ombre et de feuillage, l'immense lune pourpre accrochée dans le ciel tel un oeil chassieux. Le Carré lui apportait ses offrandes, et il les acceptait avec reconnaissance, avec appétit. Le bruit des fêtards ne dérangeait pas Jay.
«La chanson suivante, dit-il dans le micro, est dédiée à mon amour perdu, ou qu'il se trouve. Est-ce que tu es là, est-ce que tu m'écoutes, est-ce que tu détestes toujours le son de ma voix? Je ne le saurai sans doute jamais. En voilà une autre pour toi, mon petit ver qui me ronge le cœur.»
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Tu veux bien m'emmener chez toi ? demanda-t-il à Jay. Je voudrais être ton chien. Je ne mange pas beaucoup et je suis très affectueux.
Jay sirota son café, arqua un sourcil. Tu risquerais d'uriner ou de deféquer sur le parquet. Je serais alors obligé de te faire piquer.
-Je suis bien dressé, lui assura le garçon.