L'espoir est un bon petit déjeuner, mais c'est un méchant souper.
(Francis Bacon)
La larme est l'anticipation par l'oeil de l'avenir qui l'attend.
En général, l'amour arrive à la vitesse de la lumière ; la séparation, à celle du son. C'est le passage d'une vitesse à l'autre, la déperdition, qui rend l'oeil humide.
Je suppose toutefois que lorsque l'on revient au lieu de son amour année après année, à la mauvaise saison, sans garantie d'être aimé de retour, on démontre une certaine fidélité. Car comme toute vertu, la fidélité n'a de valeur que tant qu'elle relève plus de l'instinct ou de la manie que de la raison. En outre, à un certain âge, et dans un certain genre d'activité, être aimé de retour n'est pas vraiment indispensable. L'amour est un sentiment désintéressé, une rue à sens unique. C'est pourquoi il est possible d'aimer les villes, l'architecture "per se", la musique, les poètes disparus ou, si on a des dispositions pour cela, une divinité. Car l'amour est une relation entre la réflexion et son objet. C'est cela, finalement, qui vous attire sans cesse dans cette ville. Les objets, en tout cas, ne posent pas de questions : tant que l'élément existe, leur réflexion est assurée - sous la forme d'un voyageur qui revient ou sous la forme d'un rêve, car les rêves sont la fidélité des yeux clos.
Voyager sur l'eau, même pour de courts trajets, a quelque chose d'essentiel. Vous savez que vous ne devriez pas vous trouver là, tant par les yeux, les oreilles, le nez, le palais ou la paume que par les pieds qui trouvent étrange de fonctionner comme un organe des sens. L'eau remet en question le principe d'horizontalité, surtout la nuit, quand sa surface ressemble à une chaussée... Sur l'eau, votre sens de l'autre se fait plus subtil, comme s'il était affiné par un danger que vous courez l'un et l'autre et aussi bien que l'un par l'autre. Perdre le cap est une notion aussi bien psychologique que nautique.
C'est avec les rêves que commencent les responsabilités.
Un objet, après tout, est ce qui rend l'infini intime.
L'espoir, disait Bacon, fait un excellent petit déjeuner mais un souper exécrable.
Les soirs d’hiver, la mer, gonflée par un vent d’est contraire remplit à ras bord les canaux et parfois les fait déborder. La ville se retrouve dans l'eau à la cheville et les bateaux, attachés comme des animaux aux murs, pour citer Cassiodore, piaffent. Ayant goûté de l'eau, le soulier du pèlerin sèche sur le radiateur de la chambre d'hôtel; l'indigène plonge dans son placard pour y pêcher sa paire de bottes en caoutchouc. Acqua alta dit une voix à la radio, et le trafic humain descend au-dessous de l'étiage.
Les rues se vident; boutiques, bars, restaurants et trattorias baissent leur rideau. Seules les enseignes restent allumées, s’autorisant enfin un peu de narcissisme tandis que le pavé fait un instant, superficiellement, concurrence aux canaux.
La mort c'est l'infini des plaines, la vie la fuite des collines