Quatrième et dernière visite des oeuvres de
Charlotte Brontë et je tiens enfin le titre qui aura su me convaincre en dehors de son chef d'oeuvre
Jane Eyre. Ouf, je n'y croyais plus !
Dernier titre paru du vivant de l'autrice, il est également l'un des plus autobiographique, puisque comme
Le Professeur, qui en est la genèse, il s'inspire de ses mois passés à Bruxelles comme élève, puis enseignante, où elle avait développé une passion amoureuse non réciproque pour l'un de ses enseignants. Mais là où
Le Professeur avait été long et sombre,
Villette est long et lumineux. La plume de l'autrice est également bien plus assurée et cette fois, contrairement à
Shirley, elle ne faiblit pas mais fait preuve d'une constance fort agréable. Il ne manque que la profondeur et l'originalité gothique de
Jane Eyre pour en faire un chef d'oeuvre.
Villette est le nom du village où l'héroïne, Lucy Snowe, une jeune anglaise, va trouver un poste d'enseignante après quelques déboires. Celle-ci, fille toute simple, a quitté son pays natal pour se trouver une situation et ne pas dépendre de sa famille.
Villette est donc le récit du désir d'indépendance d'une femme protestante en pays catholique à une époque où on n'envisage pas d'autre destin pour les femmes que celui d'épouse ou vieille fille à la charge de sa famille.
Charlotte Brontë y fait donc preuve de beaucoup d'originalité. Elle ose dénoncer la situation des femmes mais ne s'arrête pas à ce constat et propose des solutions : ici, le travail comme enseignante et le désir d'ouvrir sa propre école pour en être directrice. Merci madame !
Cette ambition d'offrir autre chose que juste un simple récit, on le retrouve tout du long de l'histoire. Ses personnages sont tout sauf simples et linéaires. Chacun est complexe et change au fil des ans. Les situations sont aussi porteuses, dans un premier temps vues comme de banals clichés de l'époque, mais petit à petit fortes de messages féministes et universalistes, jusque dans la religion. L'autrice invoque pour chacun qu'il doit travailler pour réaliser ses rêves et ne pas laisser la situation d'étioler sans rien faire. J'aime.
Mais c'est aussi mon âme de fleur bleue qui a tant aimé ce looong texte, car oui, il y a encore des longueurs coupables et de nos jours un travail d'édition serait à faire pour supprimer les passages faibles et/ou inutiles. Cependant, j'ai beaucoup aimé suivre la destinée de Lucy Snowe, que ce soit dans un premier temps chez sa marraine où elle rencontre la singulière Polly (6 ans) et assiste à l'éclosion de son amitié avec l'amusant Graham (16 ans), puis lors de ses années comme enseignantes où elle peine à trouver sa place et la reconnaissance qu'elle souhaiterait, jusqu'à ses retrouvailles avec sa marraine et son fils qui vont lui ouvrir tout un tas de portes dans la vie sans s'en rendre compte et la changer du tout au tout ! Lucy est une jeune fille à qui le destin a réservé plein de surprises et le lecteur sera ravi de les suivre.
Il faut dire que
Charlotte Brontë a fait d'énormes progrès pour conter ce genre d'aventures. Autrefois quand elle racontait les heures moroses de son héros comme professeur, c'était à se tirer une tirer une balle tant c'était ennuyeux. Ici, c'est bien plus fin, elle décrit réellement le quotidien de celle-ci, son rapport à ses élèves, à sa directrice, à ses collègues, ses ambitions et ses désillusions, mais surtout elle n'en reste pas là. L'héroïne est bien plus active dès qu'on lui en offre l'occasion, son destin est plus lumineux, elle se vautre moins dans le désespoir. En plus, l'autrice ajoute une petite pointe mystérieusement gothique avec un fantôme que l'héroïne croiserait à plusieurs reprises, ce qui rend la lecture frétillante.
Charlotte Brontë a aussi appris à affiner ses personnages. Ils ne sont plus aussi monolithiques qu'avant et vivent de belles évolutions. J'ai été charmée ici, en particulier, par le collègue de Lucy : M. Paul Emmanuel, que l'autrice nous révèle au fur et à mesure que Lucy elle-même le découvre derrière la première impression un peu froide et guindée qu'elle s'était faite de lui. Elle va découvrir un homme à multiples facettes bien plus généreux et ouverts qu'elle le croyait.
Enfin, l'autrice propose ici une double, voire triple, romance qui m'a beaucoup séduite et il en va de même pour les relations amicales qu'elle fait naître au cours du récit pour lutter contre la solitude de son héroïne. Dans sa propre vie, Charlotte a connu l'importance des sentiments et elle en rend compte dans ce récit. Elle aussi avait de grandes amies avec qui elle échangeait des lettres, il en sera de même pour Lucy quand elle trouvera chaussure à son pied. Charlotte a fini par se marier, elle donnera également des compagnons de vie à ses héroïnes. J'ai beaucoup aimé la subtilité de l'écriture des romances dans ce roman où jusqu'au bout il y a eu mystère et hésitations pour certaines. L'autrice prend le temps de faire éclore les sentiments amoureux et se base souvent sur une amitié préexistante, ce que j'adore. Même si les sentiments sont forts, ce ne sont pas des passions qui feraient tout oublier et perdre tout sens commun, on a des couples qui tiennent compte de leur entourage, ce que j'ai apprécié et qui m'a touchée. Chaque couple est à la fin exactement tel que j'aurais voulu qu'il soit, avec une belle entente, de beaux sentiments éloquents, et une situation peut-être banale, simple, mais dans laquelle ils connaissent le bonheur. Ça me touche.
Loin du coup d'éclat très sombre de
Jane Eyre, c'est la simplicité et le cheminement vers la lumière des héros de
Villette qui m'ont touchée dans ce dernier roman. J'ai aimé le portrait réaliste et cru d'une enseignante sur qui la solitude pèse. J'ai aimé la finesse d'écriture des relations qui se nouent et permettent à tous de trouver leur voie dans la vie. L'autrice a fait de sacrés progrès dans l'écriture d'un long récit, de personnages et situations crédibles et dans la délivrance de messages, ici féministes et universalistes, importants depuis
Le Professeur et
Shirley. J'ai enfin ma 3e oeuvre préférée des soeurs Brontë après Les Hauts de Hurlevent et
Jane Eyre.
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