A mesure que se fait cette reconnaissance nous sentons en nous-mêmes un plaisir qui croit par degrés, nous retient en la présence du bel objet qui le produit, nous charme et nous fait goûter enfin la plus pénétrante volupté. Le désir naît ensuite car, entraînés dans le mouvement du temps, nous ne pouvons demeurer toujours dans cette bienheureuse contemplation de l'objet aimé: présent, sa vue suffit à notre plaisir; absent, son souvenir nous suit; mais notre amour, détourné à toute heure de son objet, désire de s'en rendre maître et de se l'attacher pour toujours.
C'est ici qu'il faut montrer comment le temps l'espace et le mouvement, les trois conditions inévitables des êtres finis, soutiennent contre la beauté une lutte dans laquelle elle succombe presque toujours il faut voir comment ils la limitent, la resserrent, la diminuent dans les individus et dans les choses individuelles, et combien on est voisin de l'erreur quand on dit qu'il se trouve en eux quelque beauté.
Ainsi l'être vivant échappe à l'art par la seule vertu de son individualité chaque moment de son existence emporte de lui quelque chose et apporte en lui quelque nouvel élément; de telle sorte qu'il ne reste jamais le même et qu'il fuit de nos mains au moment où nous croyons le saisir.
Si l'on voulait représenter la laideur, on la chercherait dans l'individuel, parce que là seulement se peuvent rencontrer ces images difformes, ces défauts et ces vices monstrueux que Platon attribuait justement à la prédominance et aux aberrations de la matière.
Quand l'homme aperçoit la beauté ici-bas, comme si elle ne lui était pas tout à fait étrangère, mais aussi comme s'il avait cessé de la voir depuis un long temps, il la considère d'abord avec étonnement et fait effort pour la reconnaître.