Pour les oiseaux : Entretiens avec Daniel Charles

Pratiquer l'entretien est un exercice qui nécessite de la part des deux protagonistes plus que l'alternance questions/réponses et il semble que ce livre "Pour les oiseaux" en soit une belle démonstration. Dans ce livre, publié pour la première fois en 1976, John Cage (1912-1992) s'entretient avec Daniel Charles (1935-2008) et développe sur plus de 330 pages son esthétique, ses influences musicales et intellectuelles.

Le gros du livre est constitué de dix entretiens qui se sont déroulés à la fin de l'année 1970 sur lesquels revient - pour affiner ou corriger ses idées - quelquefois John Cage dix ans plus tard, par le biais de notes de bas de page. Ces dix entretiens sont précédés d'un avant propos, d'une préface de Cage, d'un dialogue suivi d'un débat ainsi que d'une “mise en typographie” de soixante réponses à trente questions et constitue ainsi la part créative de ce travail d'interview qui n'est pas sans rappeler le travail de Mallarmé ou l'esthétique de la poésie lettriste pour l'agencement du texte et la plasticité visuelle du résultat.

Il est difficile de résumer un tel livre basé sur la parole et la pensée en train de se faire mais, pour orienter le lecteur, il est utile de signaler que chaque entretien est précédé d'une liste des sujets et thématiques abordés dans les pages à suivre. le titre de ce livre procède d'un jeu de mot à partir du nom de Cage.

On retiendra ainsi l'importance du hasard et de l'accident dans le travail du musicien par l'utilisation entre autre du I Ching, la participation de la séquence silence-son-silence dans laquelle Cage dit s'être essayé “de faire comme Satie ou comme Webern : clarifier la structure soit avec des sons, soit avec les silences”. Non négligeable également est la part du Zen plus précisément les notions jointes de non-obstruction et d'interpénétrations évoquées par Suzuki qui permettent au son ou au silence de ne plus être ni un obstacle ni un écran l'un pour l'autre. C'est ainsi du côté des philosophies non-occidentales que Cage puise un nouveau modèle, d'où, outre le zen, la philosophie orientale qu'il introduit dans sa musique. Il y est également question de personnalités marquantes, influences ou compagnons de route de Cage, que ce soit Artaud, Duchamp, Morton Feldman ou Christian Wolff. En quelques mots j'invite celui ou celle qui voudrait se familiariser avec la pensée complexe mais stimulante de Cage de prendre ce livre comme une porte d'entrée à l'oeuvre aussi bien musicale qu'écrite de John Cage, l'une des personnalités les plus marquantes de l'histoire de l'art du XXième siècle.

On sait que John Cage est un grand maître de la musique bizarre, on connaît moins le parcours intellectuel qui l'a mené à cette déconstruction de la musique. C'est ce que l'on découvre au fil de ces entretiens. On sera d'autant moins étonné de lire ici pas seulement un musicien, mais aussi un intellectuel et érudit que les dits entretiens sont réalisés par Daniel Charles, musicien lui-même et surtout philosophe.
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