Je me suis attachée au poteau du lit et je me suis endormie, rêvant prudemment de ma robe turquoise, de tourtes à la myrtille, de cheveux poudrés de farine et de rien d'autre. Le trouillovent a chanté à pleins poumons cette nuit-là.
Katharine Tulman n'était pas ce genre de fille. Tulman était une horloge, une horloge qui avait perdu sa clé, marquant son décompte dans le noir, une mécanique qui tournait à vide dans l'obscurité. Le temps qui lui était imparti touchait à sa fin, et elle avait intérêt à en profiter au maximum.
- Un trouillovent, c'est rien que... du vent, mam'zelle ! Ça arrive quand il y a un fort vent du nord, et par ici c'est souvent. Diablement fort, même. Mon père dit que c'est un vieux mot parce que le vent doit mugir sur les collines depuis bine longtemps, mais, avec le tunnel de M. Tully, c'est comme si Dieu soufflet dans une canette de bière vide, qu'y dit, mon père...
J'ai fermé les yeux. Le vent. J'avais trombé comme une fillette à cause du vent. Mary s'est mise à arpenter la pièce sans cesser de parler, ouvrant les rideaux et les portes de l'armoire.
- Il a même dit que c'est de là que vient le nom de la maison... « Darkwind », ça viendrait de « dark winds », les « vents sombres », ou quelque chose comme ça.
-Comment avez-vous su qu’ils ne voulaient pas êtres vus, mon oncle ?
-Parce qu’ils se cachaient derrière les horloges. Les gens qui se cachent derrière les horloges ne veulent pas être vus.
Nous vivons une époque formidable, mademoiselle. Nous sommes à l’orée d’une ère où plus rien ne pourra échapper à notre contrôle, pas même la lune, les étoiles ou la vie !
Juin 1852
Un soleil éclatant et un ciel bleu azur n’étaient pas les conditions idéales pour envoyer un oncle à l’asile.
J'ai relevé la tête. J'avais raté le chemin menant au potager. Darkwind se dressait face à moi, dans toute son immensité, ses pierres ocre me renvoyaient les rayons du soleil en plein visage. Une brise violente soulevait mes cheveux dans mon dos.
Il a dit que parfois les gens s'en vont et parfois ils reviennent.
- Vous êtes allé à Cambridge ?
- J'en suis diplômé.
J'ai dû paraître surprise, parce qu'il a ajouté :
- C'est navrant que personne ne me croie quand je dis ça. J'ai eu beau me laisser pousser les favoris, ça n'a rien changé.
J'ai contemplé les rideaux du lit, agités par des brises fantômes, jusqu'à ce que le sommeil emporte ces visions.