Citations sur Maruzza Musumeci (10)
En retrait tel qu'il était, il pouvait contempler Maruzza nue, de dos, accoudée à la rambarde du balcon, ses cheveux blonds tombant jusqu'à ses pieds.
La nuit précédente, affamé de sa chair comme il l'était, il n'avait pas su où donner de la tête, à quelle urgence satisfaire : la caresser centimètre par centimètre ou la respirer pouce par pouce, parcourir tout son corps de sa langue ou regarder chacun des pores de sa peau, ou bien l'écouter respirer, l'oreille posée sur elle, et compter les battements de son coeur...
Maintenant qu'il pouvait la contempler, son désir un peu calmé, enfin juste un peu... il la regardait comme on regarde un paysage envoûtant : la courbe douce de ses hanches, les deux collines jumelles séparées par une mince et étroite vallée, son dos qui était une plaine à ensemencer été comme hiver, l'arrière des jambes, droites comme de jeunes arbres.
Le lendemain qui était dimanche, un compatriote lui donna l'adresse d'une institutrice, tout près de l'endroit où il habitait avec Tano, une certaine demoiselle Caruso qui donnait des cours à domicile. Le jour même Gnazio se présenta chez Melle Consolina Caruso, une créature de soixante- dix ans sèche comme un picarlat, avec un minois de tête de mort à lunettes, aussi avenante qu'une porte de prison. Ils fixèrent la rétribution et les horaires. L'institutrice lui donnait un cours tous les soirs de huit à neuf, en même temps qu'à un miaillon de sept ans, qui apprenait plus vite que lui et pouffait quand Gnazio se trompait.
Il sortit pour aller s'asseoir sous l'olivier et là, il découvrit un chien. L'animal était couché à l'endroit exact où Ulysse avait défunté et geignait doucement. Gnazio le regarda de plus près. c'était bien le chien d'Ulysse ! Il s'appelait Argos. Le pauvre chien pleurait la mort de son maître.
Gnazio en fut tout sensipoté. Il alla chercher le taillon de viande qu'il avait voulu cuire, pour le jeter à l'animal. Mais celui-ci ne le dégroba pas d'un centimètre. Alors Gnazio ramassa le morceau de viande et l'agita sous le museau d'Argos.
Monter sur un bateau ? Aller se bambaner sur la mer ? Au milieu des tempêtes ? Se faire sarabouler par des vagues hautes comme une maison de trois étages ? Quand la mer est cafie de poulpes gros comme des chars à bancs et que c’est bien rare si une de ces bestioles ne réussit pas à vous agraper, vous attirer par le fond et vous noyer proprement ?
Un soir, l’ancienne arriva, s’assit sur la pierre au pied de l’olivier et réclama, non pas le verre d’eau habituel, mais un gorgeon de vin. « Cette fois, je crois que j’ai tiré le gros lot », dit-elle. Gnazio apporta une fiasque pleine et deux verres. Ils burent en silence. La mère Pina glissa une main dans sa poitrine et en tira un rectangle de carton, mais sans le montrer à Gnazio. « Quel âge a-t-elle ? »
-Vous vous mariez pour avoir des enfants?
-Pardine!
-Alors déballez la marchandise.
Gnazio comprit et baissa pantalon.
"A première vue, l'outillage est bon", dit-elle et elle s'en assura au toucher.
"La mère Pina, soixante-dix ans, teint cireux, et corps recrénillé comme un vieux sarment, était toujours gaunée avec la même robe, noire autrefois, qui tirait sur le verdâtre, d'un grand châle qui lui arrivait aux chevilles et d'un foulard couleur crotte de chien malade, sous lequel elle cachait ses cheveux blancs. Elle coltinait toujours sur son dos un sac rempli d'une bardouflée de plantes. Elle partait à pied de Gallotta, un village sur la montagne, avant le lever du soleil, pour faire sa tournée à Vigàta. Car la mère Pina savait des plantes pour tout, chez l'homme comme chez la femme.
Mal de tête ? Mal de ventre ? Mal à la poitrine ? Mal aux yeux ? Mauvais sort ? Manque d'appétit ? Manque de vigueur dans la troisième jambe ? Sang du mois trop abondant ? Grossesse qui ne venait pas ? Fluxions qui ne passaient pas ? Difficulté à caquer ? Rhume rebelle ? Amour malheureux ? Tromperie conjugale, masculine ou féminine ? Brouilles familiales ? Vieillards qui rechignaient à défunter ? Jeunettes qui avaient mis au levain et ne voulaient pas l'enfant ? Mal de dents ? Etourdissements ?
Les plantes de la mère Pina soignaient tout cela et le reste. Mais, en cas de besoin, l'ancienne pratiquait un autre métier. A force de courater par monts et par vaux, elle connaissait son monde comme personne, c'est pourquoi, à ses moments perdus, elle acceptait d'arranger des mariages." (Fayard - p.28-29)
-Quel âge avez-vous? demanda l'ancienne.
-Quarante-sept.
-En état de marche?
Gnazio n'y était pas.
-Si je marche?
-Votre troisième jambe,oui.
Se marier aux Amériques signifiait mourir aux Amériques, et lui ne voulait pas mourir aux Amériques,il voulait mourir en Sicile,fermer les yeux pour toujours devant un olivier de chez lui.
un vocabulaire particulier :
il a détrancancané/il a défunt/,vous gardoisez?/il se marcoura le menillon/ il se sentit la gargande nouée,coincée par sampilleries d'enreinières/il fut tout sensipoté/