Citations sur La Peste (1100)
Le docteur ouvrit la fenêtre et le bruit de la ville s'enfla d'un coup. D'un atelier voisin montait le sifflement bref et répété d'une scie mécanique. Rieux se secoua. Là était la certitude, dans le travail de tous les jours. Le reste tenait à des fils et à des mouvements insignifiants, on ne pouvait s'y arrêter. L'essentiel étair de bien faire son métier.
(p.53)
Dès le quatrième jour, les rats commencèrent à sortir pour mourir en groupes. Des réduits, des sous-sols, des caves, des égouts, ils montaient en longues files titubantes pour venir vaciller à la lumière, tourner sur eux-mêmes et mourir près des humains.
(p.24)
"Vous n'avez pas de coeur", lui avait-on dit un jour. Mais si , il en avait un. Il lui servait à supporter les vingt-heures par jour où il voyait mourir des hommes qui étaient faits pour vivre. Il lui servait à recommencer tous les jours. Désormais, il avait juste assez de coeur pour ça. Comment ce coeur aurait-il suffi à donner la vie ? (p. 176)
J'ai téléphoné à Richard qu'il fallait des mesures complètes, non des phrases, et qu'il fallait élever contre l'épidémie une vraie barrière ou rien du tout.
Beaucoup cependant, espéraient toujours que l'épidémie allait s'arrêter et qu'ils seraient épargnés avec leur famille. En conséquence, ils ne se sentaient encore obligés à rien.
ils éprouvaient ainsi la souffrance profonde de tous les prisonniers et de tous les exilés qui est de vivre avec une mémoire qui ne sert à rien.
En donnant trop d'importance aux belles actions, on rend finalement un hommage indirect et puissant au mal. Car on laisse supposer alors que ces belles actions n'ont tant de prix que parce qu'elles sont rares et que la méchanceté et l'indifférence sont des moteurs bien plus fréquents dans les actions des hommes. C'est là une idée que le narrateur ne partage pas. Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée.
Écoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.
La grande cité silencieuse n'était plus alors qu'un assemblage de cubes massifs et inertes, entre lesquels les effigies taciturnes de bienfaiteurs oubliés ou d'anciens grands hommes étouffés dans le bronze s'essayaient seules, avec leur faux visages de pierre ou de fer, à évoquer une image dégradée de ce qui avait été l'homme.
(p.200)
C'est cela qui peut soulager les hommes et, sinon les sauver, du moins leur faire le moins de mal possible et même parfois un peu de bien. Et c'est pourquoi j'ai décidé de refuser tout ce qui peut, de près ou de loin, et pour de bonnes ou de mauvaises raisons, faire mourir ou justifie qu'on fasse mourir. ( la confession de Tarrou)
(p.290)
D'ici là, je sais que je ne vaux plus rien pour ce monde lui-même et qu'à partir du moment où j'ai renoncé à tuer, je me suis condamné à un exil définitif. Ce seront les autres qui feront l'histoire. (...) Je dis seulement que sur cette terre il y a des fléaux et des victimes et qu'il faut, autant que possible, refuser d'être avec le fléau. (idem)
(p.291)
(...) il pensait comme lui, que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu'il vient toujours une heure où l'on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d'un être et le coeur émerveillé de la tendresse. ( la confession de Rieux)
(p.301)
La bêtise insiste toujours, on s’en apercevrait si l’on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens à cet égard étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions. […] Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux.