Je lui ai expliqué que j'avais une nature telle que mes besoins physiques dérangeaient souvent mes sentiments. [...] Je voyais que je le mettais mal à l'aise. Il ne me comprenait pas et il m'en voulait un peu. J'avais le désir de lui affirmer que j'étais comme tout le monde. Mais tout cela, au fond, n'avait pas grande utilité et j'y ai renoncé par paresse.
"En tout cas, je n'étais peut-être pas sûr de ce qui m'intéressait réellement, mais j'étais tout à fait sur de ce qui ne m'intéressait pas. Et justement, ce dont il me parlait ne m'intéressait pas."
J’ai été assailli des souvenirs d’une vie qui ne m’appartenais plus, mais où j’avais trouvé les plus pauvres et les plus tenaces de mes joies : des odeurs d’été, le quartier que j’aimais, un certain ciel du soir, le rire et les robes de Marie.
Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage.
J'avais remarqué que l'essentiel était de donner une chance au condamné. Une seule sur mille, cela suffisait pour arranger bien des choses. Ainsi, il me semblait qu'on pouvait trouver une combinaison chimique dont l'absorption tuerait le patient (je pensais : le patient) neuf fois sur dix. Lui le saurait, c'était la condition. Car en réfléchissant bien, en considérant les choses avec calme, je constatais que ce qui est défectueux avec le couperet, c'est qu'il n'y avait aucune chance, absolument aucune.
J'ai souvent pensé alors que si l'on m'avait fait vivre dans un tronc d'arbre sec, sans autre occupation que de regarder la fleur du ciel au-dessus de ma tête, je m'y serais peu à peu habitué. J'aurais attendu des passages d'oiseaux ou des rencontres de nuages (...). Or, à bien y réfléchir, je n'étais pas dans un arbre sec. Il y avait plus malheureux que moi.
Ils ont l'air de la même race et pourtant ils se détestent.
Ainsi, plus je réfléchissais et plus de choses méconnues et oubliées je sortais de ma mémoire. J'ai compris alors qu'un homme qui n'aurait vécu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs pour ne pas s'ennuyer. Dans un sens, c'était un avantage.
Du moment qu'on meurt, comment et quand, cela n'importe pas, c'était évident.
Il avait demandé un chien à un camarade d'atelier et il avait eu celui-là très jeune. Il avait fallu le nourrir au biberon. Mais comme un chien vit moins qu'un homme, ils avaient fini par être vieux ensemble. " Il avait mauvais caractère, m'a dit Salamano. De temps en temps, on avait des prises de bec. Mais c'était un bon chien quand même. " J'ai dit qu'il était de belle race et Salamano a eu l'air content. " Et encore, a-t-il ajouté, vous ne l'avez pas connu avant sa maladie. C'était le poil qu'il avait de plus beau. " Tous les soirs et tous les matins, depuis que le chien avait eu cette maladie de peau, Salamano le passait à la pommade. Mais selon lui, sa vraie maladie, c'était la vieillesse, et la vieillesse ne se guérit pas.