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EAN : 978B003X1WX12
Eric LOSFELD Le Terrain Vague (01/01/1973)
4.5/5   6 notes
Résumé :
« Au retour d’un de ces voyages dont on a peu de chances de revenir et qu’elle a relaté dans En bas avec une précision bouleversante, Leonora Carrington a gardé la nostalgie des rivages qu’elle a abordés et n’a pas désespéré de les atteindre à nouveau, cette fois sans coup férir et comme munie d’un permis de circuler à volonté dans les deux sens. » André Breton

67 pages.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« En Bas » est un récit de Leonora Carrington (1945, Fontaine, 88 p.), avec une couverture illustrée par Gisèle Prassinos, puis réédité dans la collection « L'Age d'Or » dirigée par Henri Parisot (1973, Eric Losfeld, le Terrain Vague, 67 p.). le texte fait partie de l'« Oeuvre Ecrit » en tant que « Récits », soit le tome II (2022, Fage, 432 p.).
Ce deuxième volume des oeuvres complètes écrites est consacré aux récits écrits entre 1940 et 1974. Ils sont introduits par une préface de Jacqueline Chénieux-Gendron. A mon avis, il manque, dans les trois tomes de ces oeuvres, une partie bibliographique qui resitue les différents écrits. le tout comporte « Histoire du Petit Francis », « En bas », « La Porte de Pierre » et « le Cornet Acoustique ». Ce sont donc des univers stupéfiants de magie, truffés de passages où s'engouffrent toutes les autres réalités. Certains étaient encore inédits, par la suite de tribulations diverses des divers manuscrits. C'est particulièrement le cas pour l'« Histoire du Petit Francis ». On peut signaler que l'édition anglaise « Down Below » a été récemment rééditée par le « New York Review of Books » (NYRB) en 2017.
« En Bas » diffère quelque peu des trois autres récits, tout d'abord parce qu'il est en partie autobiographique, et donc exprime les sentiments et états d'âme de Leonora Carrington lors de sa profonde dépression, qui débute lors de l'arrestation à Saint Martin d'Ardèche, de Max Ernst, citoyen allemand en 1940, emmené les poignets liés par les gendarmes français. Par la suite, Leonora sera exfiltrée en Espagne, puis dans un asile psychiatrique de Covadonga en Espagne. Pour plus de détail sur sa vie, on peut consulter l'excellent « Leonora », en espagnol, de Elena Poniatowska (2011, Seix Barral, 512 p.), et traduit par Claude Fell (2012, Actes Sud, 448 p.).
Je recommande également de lire « En Bas » avec la première pièce de théâtre « Bon Appétit ». La pièce est écrite (1939) en trois actes, et le manuscrit original de 115 pages manuscrites est orné de six dessins originaux à pleine page, à la plume et encre noire. La pièce était destinée à son compagnon Max Ernst arrêté en tant que citoyen allemand. Il est représenté sous les traits du « Vent » ou du « Liebe Vogel » (Oiseau Aimé); Leonora apparaît comme « L'Amoureuse du Vent » et la « Femme-Cheval » ou « Salonique ». le texte et les dessins allient humour cruel et terreur, inventions hallucinantes et images fantastiques.
C'est cette période, entre les arrestations de Max Ernst et le désespoir de Leonora Carrington de ne pouvoir le rencontrer qui font que la pièce est d'un ton grinçant. « Max est dans un camp de concentration. On m'interdit de le voir, et je ne parle presque avec personne. Je suis en train de devenir sénile. J'essaie de dessiner, mais il n'en sort que des chevaux c'est devenu une obsession ». Qu'on ne s'étonne donc pas que la pièce mette en scène des prisonniers, sous les ordres d'un lieutenant tyrannique et de soldats plutôt bon enfant. Ces prisonniers tricotent. Un pyjama « de couleur jaune offensive aux rayons pourpres » pour le lieutenant. C'est une occupation, plutôt que de voir « les prisonniers |qui] ne font rien – il leur manque des bonbons et ils causent dans une langue étrangère ». Liebe Vogel s'exécute donc, pour le pyjama du lieutenant, même s'il trouve des paons qui tricotent pour lui. C'est lui « le Vent et un homme, un coq et un amant : mélange magique. Vous êtes un homme, et vous n'êtes pas un homme, belle chimère. Malheureuse créature ensorcelée par votre propre beauté ».

De plus, il faut replacer l'état moral de Leonora Carrington dans l'histoire de sa famille, qui va jouer un rôle important durant son traitement. Née le 6 Avril 1917 à Clayton Green, Lancashire, pas très loin de Blackpool, en Angleterre. Elle est la fille de Harold Carrington et Maurie Moorhead, seule enfant de ce couple qui compte trois enfants antérieurs. Sa mère est irlandaise. Son père, Harold Wylde Carrington, est le fils de Arthur Walter Carrington, génial inventeur d'une machine qui permet le mélange et tissage d'un nouveau tissu « Viyella ». Ce mélange de 55 % de laine mérinos et 45 % de coton à longues fibres, est à l'origine des chemises de la marque « Tattersallcheck », et surtout fonde la « Carrington Cottons Company ». La famille est immensément riche et la cession de cette firme à « Imperial Chemicals Industries » (ICI) en fait un homme très puissant et à l'emprise internationale. Cela sera utile pour l'attribution des visas qui permettront à Leonora Carrington de s'échapper vers l'Espagne, puis vers le Mexique.
De fait, « ce fut un curé qui apporta un papier […] de je ne sais quel agent du I.C.I. qui devait nous permettre de continuer notre voyage ». Puis à Madrid ils descendent « à l'Hôtel International », où ils sont contactés par un juif Hollandais van Ghent, agent nazi, dont un fils travaillait à « l'Imperial Chemicals ». Par la suite, « j'allais chaque jour voir M. Gilliland, chef de la I.C.I. à Madrid ». Elle reconnait avoir habité « un grand hôtel plutôt cher […] car l'Imperial Chemicals était capable de faire toute sorte de choses » et de là elle part au Portugal « à Lisbonne et fus reçue par un comité de l'Imperial Chemicals » qui lui propose « de vivre dans une charmante maison à Estoril ».
Le récit de sa dépression est assez terrifiant. Tout commence, donc, quand « Max fut emmené pour la deuxième fois dans un camp de concentration, les fers aux poignets, à côté d'un gendarme armé d'un fusil ». Il sera interné au Camp des Milles, à côté d'Aix-en-Provence, en compagnie de Hans Bellmer, dont il dessine un portrait durant leur captivité. Avec l'aide du journaliste américain Varian Fry, fondateur du Comité américain de secours à Marseille en août 1940, il quitte le pays en compagnie de Peggy Guggenheim. Arrivés aux États-Unis en 1941, ils sont accueillis par Jimmy, le fils de Max Ernst. Il vivra à New York, aux côtés de Marcel Duchamp et d'André Breton.
Puis Leonora part en voiture, une petite Fiat, avec une amie anglaise Catherine Yarrow et Michel Lucas pour Bourg-Saint-Andéol, puis Andorre. Là, en montagne, elle se rend compte qu'elle ne peut plus marcher. « ll me suffisait de monter une petite pente pour me recoincer ». Incapable de bouger « je me couchai alors à plat ventre sur la pente avec la sensation d'être entièrement absorbée par la terre ». elle va ensuite subir des traitements plus ou moins sérieux ou médicaux, avec des périodes où elle est « gênée par des courroies de cuir », ou bien ligotée nue sur son lit « à Villa Covadonga (pavillon des fous dangereux ou des cas désespérés ». elle va de pavillon en pavillon jusqu'à un, « très luxueux : on l'appelait « Abajo » (En Bas) » qui va donner le titre au récit. Elle ira « comme troisième personne de la Trinité. Je sentais que, par le soleil, j'étais androgyne, la lune, le Saint-Esprit, une Gitane, une acrobate, Leonora Carrington et une femme ».
Il y a un « Post-Scriptum », rajouté en 1987 et traduit par Karla Segura Pantoja. Dans cet entretien Leonora Carrington revient brièvement comment elle réussit à quitter Madrid, sa famille voulant l'envoyer en Afrique du Sud, via Lisbonne, toujours par l'entremise de I.C.I. Elle y rencontrera Renato Leduc, poète et diplomate qui lui propose d'aller au Mexique. Brève rencontre avec Max Ernst, qui est alors avec Peggy Guggenheim. « C'était une chose très étrange, avec les enfants, les ex-maris et les ex-femmes ». Mais apparemment sa dépression est terminée. Elle a compris que le mariage de Max Ernst avec Peggy Guggenheim ne marcherait jamais. Elle l'écrit dans le « Post-Scriptum » qui termine « En Bas ». « Je ressentais qu'il y avait quelque chose de faux dans la relation de Max et Peggy. Je savais qu'il n'aimait pas Peggy, et j'ai encore ce côté puritain, on ne doit pas être avec quelqu'un qu'on n'aime pas ». Elle revit, et va encore plus revivre à Mexico où elle finira ses jours, non sans avoir retravaillé.
Avant ce « Post-Scriptum » qui termine l'épisode avec, ou sans, Max Ernst, il convient de rappeler le rôle qu'a joué la lecture du livre de Pierre Mabille « le miroir du merveilleux » dans la guérison de sa maladie mentale. Tout d'abord, c'est en 1943 qu'elle commence à écrire, du 23 au 26 aout 1943, selon ses dates, soit 3 ans après l'épisode de l'arrestation de Max Ernst à Saint-Martin-d'Ardèche. Elle écrit directement en français, à la demande de Jeanne et Pierre Mabille, de passage à Mexico. Les premières phrases du texte sont claires sur ce point et forment une dédicace discrète. « Depuis ma rencontre fortuite avec vous, que je considère comme le pus clairvoyant ». du français, le texte est traduit en anglais, puis retraduit par Henri Parisot en français après la guerre en 1945, l'original ayant été perdu. Surtout, une phrase donne la clé de l'ouvrage. C'est un « pouvoir éventuel de délivrance par le langage ». Leonora est encore à Madrid et cherche « les yeux verts, les yeux de mes frères qui me délivreraient enfin de mon père ». Souvenir aussi d'un poème attribué à Federico Garcia Lorca « Los Ojos Verde » dans lequel il est question de « la lubricité de leurs yeux verts et le givre de leur regard de marronniers ». En fait ce ne serait pas de Garcia Lorca, mais une chanson populaire espagnole qui a pour refrain « Yeux vert / vert comme le basilic / Vert comme le blé vert, / et le vert, vert citron ». La chanson a été composée par Manuel Quiroga sur des paroles de Rafael de León et Miguel de Molina, créée en 1937 au théâtre « Infanta Isabel » de Madrid. le poète homosexuel Rafael de León fait alors référence à la rencontre entre Federico Lorca et Miguel de Molina et à la liaison entre les deux hommes. La chanson est naturellement censurée par le régime de Franco.
Leonora Carrington travaille son expérience à la lumière de la lecture du livre de Mabille. Elle interprète les correspondances complexes qu'elle a perçues pendant sa maladie à travers l'imagerie de l'alchimie. Cela lui a permis de trouver une similitude entre son expérience et les épreuves décrites dans de nombreux mythes.
« le miroir du merveilleux » de Pierre Mabille (1940, Editions du Sagittaire, 328 p.), réédité ensuite (1962, Editions de Minuit, 327 p.), chacun avec une gravure originale de Max Ernst, Victor Brauner, Hérold, Wilfredo Lam et Matta. Avec une préface d'André Breton, c'est en quelque sorte une anthologie surréaliste, non pas un recueil de textes, mais un « classique » pour la compréhension du mouvement surréaliste. C'est plutôt « une collection de cartes allant du Tendre au planisphère céleste, en passant par les schémas que les corsaires laissent après eux pour désigner l'emplacement de leurs trésors enfouis ».
Originellement médecin, Pierre Mabille (1904-1952) est l'inventeur, en médecine, du « Test du village », consiste à composer un village, avec des modèles réduits de commerces, une église, des ponts, des maisons, des arbres et des personnages et enfin des éléments annexes tels barrières et murs. Pierre Mabille devient membre du groupe surréaliste en 1934 et collabore à la revue « Minotaure ». En juillet 1940, il accueille André Breton, démobilisé, à Salon-de-Provence. Il fut un adepte de l'hermétisme et défenseur de l'imaginaire. Par la suite, conseiller culturel de l'ambassade de France à Port-au-Prince, Haïti, il a l'occasion d'assister à des cérémonies vaudoues. Il publiera aussi « Thérèse de Lisieux » en 1937, réédité (1996, Allia, 144 p.). C'est une étude médico-psychologique de la sainte « dont l'évolution tout entière est dessinée par la pathologie6 ».
Le livre offre un récit continu en sept chapitres passant de « La Création » à « La destruction du Monde », « Au travers des éléments », « le voyage merveilleux », « La prédestination » et « La quête du Graal ». C'est donc tout un cheminement de l'amour tel que la révolution devrait le rendre possible à tous. « Deux êtres, joints pour un instant et pour toujours dans la communion de l'amour, peuvent-ils faire autre chose que ressentir la profondeur du mystère qu'ils officient et se taire ? Il est un point, limite merveilleuse, où le Verbe s'arrête vaincu et où l'acte pur triomphe. Au-delà du seuil, pas un mot qui dise… […] Jetons un dernier et fraternel regard aux amants qui continuent, eux, le chemin de l'aventure, réunis maintenant dans la force qu'ils se communiquent. L'ennemie qu'ils ont déjà maintes fois rencontrée pour la vaincre se dresse comme l'unique et ultime obstacle : la mort. »
L'auteur utilise des textes souvent inédits de Lewis Carroll, de William Blake, de de Julien Gracq, mais aussi de Kafka, Rimbaud, Goethe, Ovide ou Platon. Il raconte aussi des légendes indiennes et finnoises, des contes australiens. Tous se présentent comme autant de témoignages d'un monde merveilleux qui existe en chacun de nous. Il cherche à saisir totalement l'univers, en le débarrassant « du barème des valeurs morales », en dépassant les interdits et les tabous, pour atteindre l'inconscient, tel qu'il s'exprime à travers toutes les aspirations du désir.
Lors de la réédition du « Miroir du merveilleux » (1962, Editions de Minuit, 327 p.), André Breton écrit une longue préface intitulée « Pont-Levis » dans laquelle il évoque les moments les plus marquants de son amitié avec Pierre Mabille. En particulier, du jour où ils reçurent ensemble « la nouvelle de l'assassinat de Léon Trotsky » à Mexico, ou ces soirées à Haïti où Breton vit Mabille déployer « sa faculté, par-delà tous les obstacles de rang, d'origine, de culture, d'être de plainpied avec des ensembles ethniques si foncièrement différents de celui auquel il appartenait, de communier d'emblée avec leurs aspirations », révélant «son trait le plus hautement distinctif », celui d'être « par excellence […] l'homme des grandes fraternités humaines ».
On découvre aussi l'attirance de Leonora Carrington pour le Mexique. « Qu'est-ce qui au Mexique l'a attirée au point qu'elle y ait élu résidence ? Est-ce cette façon particulière d'appréhender le monde, où le fantastique et le réel se conjuguent au quotidien, où l'inattendu peut surgir à tout instant, où le temps est non pas linéaire mais fragmenté, et se dilue dans une réalité qui elle-même se dissout ? ». C'était, au départ une destination assez imprévue, mais imposée en partie par son mariage arrangé avec Renato Leduc, diplomate et poète, retrouvé à Lisbonne. Ce mariage de convenance, il a 20 ans de plus qu'elle, leur permet de quitter l'Europe. Leonora Carrington passera ensuite la majeure partie de son temps à Mexico. le mariage de convenance ne durera pas. A Mexico, elle rencontre le photographe hongrois Imre « Chiqui » Weisz (1911-2007) ancien compagnon de route de Robert Capa. Elle l'épouse et dont elle a deux enfants, Pablo et Gabriel. Elle entre dans une période de créativité intense. Avec Remedios Varo, elle trouve « une intensité du pouvoir de l'imagination qu'(elle) n'avait pas rencontré ailleurs ».
Ce mariage arrangé avec Renato Leduc n'est pas le premier avec une personne plus âgée qu'elle. Déjà Max Ernst comptait 26 ans de plus. Quand ils se sont connus. Par la suite en Espagne, lorsqu'elle est en contact avec van Ghent, elle pense et espère pouvoir le manipuler. « van Ghent était mon père, mon ennemi et l'ennemi des hommes ; j'étais seule à pouvoir le vaincre ; pour le vaincre, il me fallait le comprendre ». de fait van Ghent a un fils, qui est souvent avec lui, et qui est du même âge ou presque que Leonora. Il essayera d'ailleurs de profiter de la situation morale de Leonora. To
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La jeunesse de la peintre surréaliste Leonora Carrington est striée de fuites.

D'abord, la fuite hors d'un cadre familial hostile à sa velléités artistiques, pour trouver un refuge en France, et un épanouissement aux côtés des surréalistes et de Max Ernst, dont elle partage l'intimité dans une ferme de Saint-Martin d'Ardèche.

Puis une fuite hors de ce cadre paisible en 1940, alors que la France est envahie et que Max Ernst est arrêté en tant que citoyen allemand. Dans « En-Bas », Carrington reprend son histoire à ce stade de sa vie, et évoque à la première personne le périple qui la mène depuis l'Ardèche jusqu'à l'asile d'aliénés de Covadonga en Espagne. D'emblée, le choc de la séparation avec Ernst se fait ressentir : très dépendante de leur relation, Carrington avait laissé le peintre devenir l'étoile autour duquel tournait son monde. Sans lui, tout se dérobe, elle dérive dans le vide, et perd pied, jusqu'à oublier brièvement comment marcher lors de son passage des Pyrénées.

Afin de contrer son vertige, Carrington recompose ses propres galaxies idiosyncratiques. Elle s'appuie sur son goût pour le symbolisme, et brode des mondes inspirés notamment du christianisme, du tarot et de l'alchimie, où ses angoisses s'incarnent dans des forces hypnotiques dirigées contre elle par des figures paternelles inquiétantes et fortement sexualisées, reflétant aussi bien la haine suggérée de Carrington envers son père que son amour contrarié pour Ernst.

Son excentricité naturelle bascule ainsi dans une irrationalité qui la rend pareille à un personnage de fiction. Nous finissons d'ailleurs par entrer de plein pied dans l'imaginaire, puisqu'un avertissement de Carrington au milieu du texte nous signale un glissement autofictionnel, alors que la folie prend le dessus et brouille la mémoire.

Dans le cadre de l'Asile de Covadonga, le monde intérieur de Carrington s'épanouit pour lui masquer l'horrible réalité de son internement. En passant d'un pavillon à l'autre, elle s'imagine voyager entre l'Égypte, la Chine et Jérusalem, tandis que les pièces et les fenêtres incarnent directement les astres, dont elle tente de recomposer l'harmonie en attribuant des valeurs à des objets tels que son nécessaire de toilette. Bien sûr, ces circonvolutions ne l'aident pas à guérir, au contraire. La multiplication des symboles lui fait perdre contact avec la réalité. Loin d'être la terre promise espérée, le pavillon d'En-Bas n'est qu'une cellule plus dorée, où les rites alchimiques se parent de la poudre d'or mise à sa disposition.

Elle est cependant encouragée dans son délire par le maître des lieux, le docteur Don Luis Morales, qui l'utilise au moins autant comme cobaye que comme patiente. La folie de Carrington reflète celle de Covadonga, mais son erreur est de croire que cet asile est un monde qui tourne autour d'elle. Ce n'est qu'en saisissant la petitesse de ce docteur et de ses méthodes qu'elle peut revenir à elle-même, à échelle humaine.

La langue de Carrington dans ce récit, simple et directe, permet de prendre une distance critique vis à vis de sa paranoïa, afin de pouvoir canaliser celle-ci dans un processus créatif cohérent. Pour le dire selon les mots de sa lettre introductive en français (retranscrits tel quel) :

« je cherche de vider les images qui m'ont rendus aveugle »
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Lettre à Henri Parisot
Cher Henri, merci de votre lettre – Je suis d’accord qu’on publie En Bas MAIS croyez moi qu’il n’y a eut aucune « mal entendu » entre nous – Vous n’avez peut-être pas compris mon irritation que je ressent encore, Je ne suis plus la jeune fille Ravissante qui a passér par Paris, amoureuse -

Je suis une vieille dame qui a vecue beaucoup et j’ai changée – si ma vie vaut quelque chose je suis le resultat du temps – Donc je ne reproduirais plus l’image d’avant – Je ne serait jamais petrifiée dans une « jeunesse » qui n’existe plus – J’accepte L’Honorable Décrépide actuelle – ce que j’ai à dire maintenant est dévoilé autant que possible – Voir à travers Le monstre – Vous comprenez ça? Non? Tant pis. En tout cas faites ce que vous voulez avec cette fantôme -

avec le condition
que vous publiez
cette lettre comme préface -

Comme une vieille Taupe qui nages sous les cimetières je me rends compte que j’ai toujours étais aveugle – je cherche à connaître Le Mort pour avoire moins peur, je cherche de vider les images qui m’ont rendus aveugle -

Je vous envoie encore beaucoup d’affection et je vous embrasse à travers mon Ratelier (que je garde a côté de moi la nuit dans une petite boite bleu ciel en plastique)

JE N’A PLUS UNE SEUL DENT

Leonora

P.S. Si les jeunes me disent maintenant qui j’ai l’esprit jeune je m’offence -

J’ai l’ESPRIT VIEILLE

Tachez de comprendre ça -
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Three days perhaps after my second Cardiazol injection, I was given back the objects which had been confiscated on my entering the sanatorium, and a few others besides. I realised that with the aid of these objects I had to set to work, combining solar systems to regulate the conduct of the World. I had a few French coins, which represented the downfall of men through their passion for money; those coins were supposed to enter into the planetary system as units and not as particular elements; should they join with other objects, wealth would no longer beget misfortune. My red-and-black refill pencil (leadless) was Intelligence. (…) A box of Tabu powder with a lid, half grey and half black, meant eclipse, complex, vanity, taboo, love. Two jars of face cream: the one with a black lid was night, the left side, the moon, woman, destruction; the other, with a green lid, was man, the brother, green eyes, the Sun, construction. My nail buff, shaped like a boat, evoked for me a journey into the Unknown, and also the talisman protecting that journey: the song ‘El barco velero’. My little mirror was to win over the Whole. As for my Tangee lipstick, I have but a vague memory of its significance; it probably was the meeting with colour and speech, painting and literature: Art.

Happy with my discovery, I would group these objects around each other; they wandered together on the celestial path, helping each other along and forming a complete rhythm. I gave an alchemical life to the objects according to their position and their contents. (My face cream Night, in the black-lidded jar, contained the lemon, which was an antidote to the seizure induced by Cardiazol).

Lucid and gay, I waited impatiently for Don Luis. I said to myself: ‘I have solved the problems he set before me. I shall certainly be led Down Below.’ So I was horrified when, far from appreciating my labour, he gave me a second injection of Cardiazol.
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"Je n'accepte pas votre force, à tous, contre moi ; je veux ma liberté d'agir et de penser"
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I knew that Christ was dead and done for, and that I had to take His place, because the Trinity, minus a woman and microscopic knowledge, had become dry and incomplete.
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Video de Leonora Carrington (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Leonora Carrington
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