« Leonora » de Elena Poniatowska paru tout d'abord en espagnol (2011, Seix Barral, 512 p.), puis traduit par Claude Fell (2012, Actes Sud, 448 p.) illustre abondamment la biographie de Leonora Carrington. Une seconde biographie, plus récente, prend plus en compte l'histoire mexicaine dans « The Surreal Life of Leonora Carrington » de Joanna Moorhead, en anglais (2019, Virago, 336 p.).
La première, dans « Leonora », illustre l'amitié entre les deux auteurs. Leonora Carrington illustrera « Lilus Kikus », un roman de Poniatowska en espagnol (2012, Editorial Trifolium, 54 p.) sur une petite fille, Lilus Kikus grandie trop vite, qui remet le monde à l'endroit dans son esprit en colimaçon.
Pourquoi parler de biographie à propos de la sortie des trois tomes de l'« Oeuvre Ecrit » en tant que « Contes », « Récits », et « Théâtre » (2021-2022, Fage, 208, 432, et 376 p.) respectivement. Pour plusieurs raisons. La première est que cette édition, à laquelle il faut ajouter « le Lait des Rêves » (2018, Ypsilon, 56 p.), rassemble des textes introuvables ou inédits, comme « Bon Appétit » ou l « Histoire du Petit Francis ». Ensuite parce que ces textes ont tous une connotation qui ne peut s'expliquer que par la vie même de Leonora Carrington, dans les épisodes successifs de sa vie et les circonstances mêmes de ces moments. Ce qui fait qu'un tome, par exemple de ses récits, comporte des textes écrits à différentes époques, en contexte ayant fortement varié, et donc incompréhensibles si on n'en connait pas la raison profonde.
Il faut tout d'abord distinguer trois grandes périodes. La première est sa jeunesse en Angleterre, jusqu'à une vingtaine d'années. Elle est sous la domination de son père, Harold Wylde Carrington, homme très puissant et à l'emprise internationale grâce à la société « Imperial Chemicals Industries » (ICI). La seconde période est celle d'une première tentative d'émancipation, après la rencontre avec Max Ernst, qui a 26 ans de plus qu'elle. Ils partent vivre à Saint-Martin d'Ardèche. Mais la guerre va les rattraper, qui verra les arrestations successives de Max Ernst, dont la seconde, « les fers aux poignets avec un gendarme armé d'un fusil ». Ce sera le début d'une forte dépression, qui verra l'écriture tout d'abord de contes surréalistes, puis de « Bon Appétit », longue pièce de théâtre, et surtout du récit « En Bas » de sa dépression et retour à la vie. La troisième période se passe au Mexique, où elle retrouve une certaine stabilité, se marie avec le photographe hongrois Imre « Chiqui » Weisz, qui a gardé des bobines de la Guerre d'Espagne de Robert Capa. Elle travaille avec Remedios Varo, en qui elle trouve « une intensité du pouvoir de l'imagination qu'(elle) n'avait pas rencontré ailleurs ». Les deux femmes ont commencé à étudier la Kabbale, l'alchimie et les écrits mystiques des Mayas post-classiques. Elles commencent aussi un travail sur l'émancipation de la femme
Leonora Carrington est née le 6 Avril 1917 à Clayton Green, Lancashire, pas très loin de Blackpool, en Angleterre. Elle est la fille de Harold Carrington et Maurie Moorhead, seule enfant de ce couple qui compte trois enfants antérieurs. Sa mère est irlandaise. Son père, Harold Wylde Carrington, est le fils de Arthur Walter Carrington, génial inventeur d'une machine qui permet le mélange et tissage d'un nouveau tissu, mélange de 55 % de laine mérinos et 45 % de coton à longues fibres. le grand-père est à l'origine des chemises de la marque « Tattersallcheck », et surtout fonde la « Carrington Cottons Company ». La famille est immensément riche et la cession de cette firme à « Imperial Chemicals Industries » (ICI) en fait un homme très puissant et à l'emprise internationale. Il faut ajouter Mary Cavanaugh, la nurse irlandaise, au couple de parents. C'est elle aussi qui racontera les contes et légendes d'Irlande, en particulier celles des « sidhes », petits êtres que l'on ne voit pas.
Contrairement à ses frères ainés, Patrick, Gerard et Arthur, Leonora est une enfant rebelle et indisciplinée. Mais elle adore « les yeux verts de ses frères ». Elle en parlera dans ses poèmes. A la fratrie, il faut ajouter deux scotch-terriers, Rab et Toby. Ajouter aussi les chevaux, dont Leonora fait partie. « Je sais que je suis un cheval, maman, à l'intérieur de moi, je suis un cheval ». Et elle insiste. « Je suis un cheval déguisé en petite fille ». Déjà les masques qui seront en vogue chez les surréalistes, dans « La Débutante » avec la hyène qui met un masque humain.
Entre 12 et 14 ans elle est placée et renvoyée de plusieurs collèges catholiques anglais, dont le pensionnat de New Hall à Chelmsford et de celui de St Mary d'Ascot où elle sème un peu la zizanie. Elle voyage avec sa mère à Florence où elle découvre l'art de la Renaissance italienne, puis à Paris, où les deux femmes font les boutiques de luxe. Avant le retour à Hazelwood, en Angleterre. Cela confirme très tôt le désir de Leonora de se consacrer à la peinture. Elle montre des aptitudes pour le dessin, écrit à l'envers, peint et écrit des deux mains, s'intéresse au monde surnaturel. Mais son rêve c'est d'être un cheval. D'où les nombreuses figures de cet animal dans ses toiles. Son père n'apprécie pas trop, qui pense que le métier d'artiste doit être réservé aux incapables et homosexuels. Elle se passionne pour les animaux et particulièrement les chevaux, s'imprègne de la mythologie celte et irlandaise, des contes de Lewis Caroll, transmis par sa mère, sa grand-mère et une nurse, toutes irlandaises. Toutes la bercent de légendes et d'histoires que l'on n'appelle pas encore fantastiques. Elle adore celles où il est question d'Epona, la déesse cheval. Elle est associée au cheval, animal emblématique de l'aristocratie militaire gauloise, de par son nom qui signifie « Grande jument » en gaulois. Son culte cavalier a été accepté globalement par la civilisation romaine où elle est représentée par une jument et une corne d'abondance. « Comme il était misogyne, Fulvius Stellus eut commerce avec une jument, celle-ci, arrivée à son terme, mit au monde une belle petite fille et la nomma Épona ; et c'est elle, la déesse qui prend soin des chevaux ».
Ce désir de peindre est, pour elle, plus important que le reste. Y compris être présentée au roi George V à Buckingham Palace. « Quelle chance ce serait de me changer en hyène et de pouvoir grogner, baver, changer de sexe et éclater de rire comme elle face au trône ». On reconnait là les prémices de « La Débutante » qui sera publié par André Breton dans son « Anthologie de l'Humour Noir » (1966, Jean Jacques Pauvert, 446 p.). Sa conclusion sur la présentation au roi : « Les sandwiches laissent à désirer ».
Leonora Carrington part à 18 ans, malgré l'avis de son père, étudier dans une école d'art à Londres, puis s'inscrit à l'Académie d'Amédée Ozenfant, où elle s'initie au mouvement baptisé « purisme ». En 1936, elle est enthousiasmée par les collages de Max Ernst, coupures de papier journal fixées par de la colle de pâte. Il est plus âgé qu'elle de 26 ans. Son oeuvre la plus scandaleuse est alors « La Vierge corrigeant l'enfant Jésus devant trois témoins » huile sur toile de 1926, avec dans une fenêtre les visages d'André Breton, de Paul Eluard et du peintre, Max Ernst. Ursula, l'héritière des confitures Cross and Blackwell, lui fait découvrir Max Ernst. La rencontre se fait à l'« International Surrealist Exhibit », à Londres. C'est le coup de foudre réciproque qui changera le cours de sa vie. Il lui dit « Moi je suis Loplop, l'oiseau supérieur, et tu es mon obsession, Leonora ». Loplop, l'oiseau supérieur, éblouit aussi André Breton. « Nous sommes les témoins d'une nouvelle forme d'art ». Bel hommage de l'auteur du « Manifeste du surréalisme » (1924) avec Benjamin Péret et Pierre Naville. Ceci avant la rupture avec Aragon (1933), puis avec Éluard (1935) et avant que la censure de Vichy n'interdise la publication de l'« Anthologie de l'humour noir ». Elle rencontre également Hans Arp qui affirme que « le hasard est le grand stimulateur de la créativité »
Leonora Carrington l'accompagne ensuite à Paris en 1937. Elle avait déjà vu la reproduction d'un des tableaux de Max Ernst, « Deux enfants menacés par un rossignol » (1924) dans un livre de Herbert Read « Art and Society » (1937, Heineman, 282 p.) traduit en « le Sens de l'Art » (1987, Sylvie Messinger, 250 p.) qui l'avait fortement impressionnée. C'est sa mère qui, incidemment lui a acheté. Ils partent vivre ensemble à Saint-Martin d'Ardèche, où ils redécorent une maison, aujourd'hui monument classé.
Les premières années se passent bien, ils reçoivent volontiers, Breton, Artaud, Picasso, Duchamp, Péret qui vient avec Remedios Varo, la rousse. Y compris Peggy Guggenheim, qui lui achète « le Repas de Lord Candelstick » (1938), une huile de 46 x 61 cm. le tableau représente en réalité, le père de Leonora, caricaturé par sa fille, avec des têtes de cheval phalliques, des assiettes en hosties, et des branches sortant de l'anus du sanglier. Elle règle ses comptes avec le milieu catholique et strict dont elle provient, qui lui promettait mariage et enfants. Ils retournent à Saint-Martin d'Ardèche et explorent la région avec leurs vélos, rouge « ‘Darling little Mabel » pour Max, et orange « Roger of Kildare » pour elle. Leur installation en Ardèche est reprise dans « Histoire du petit Francis », avec l'arrivée à une auberge au village de Saint Roc, au bord d'une jolie rivière, et près des montagnes de Lozère. On retrouve les draps qui ont déjà servis cinq fois, les conjugaisons et tables de multiplication scandées sur l'air de « Rule Britania » et de « En avant, soldat du Christ ». Ils s'imaginent « déguisès en évêques, vêtus de violet, portant de gigantesques mitres et tenant de sceptres décorés avec lesquels ils évoqueraient les démons du rocher ». Comme quoi l'air pur de la campagne et les promenades en vélo mènent à la philosophie. Sans doute, était-ce « le parfum tenace des Miraldalok », petites plantes piquantes, qui leur avait tourné les sens. Il y a des scènes champêtres, en attendant le jour de la fête, qui promet. « Il y aura du remue-ménage dans les buissons ce soir […] Claire prend cinq franc la séance ». Comme quoi jour de fête et commerce local peuvent très bien cohabiter à la campagne.
Mais la guerre les rattrape. Elle est anglaise et lui allemand. Une première arrestation le conduit à la prison de Largentière, à côté d'Aubenas. C'est l'épisode de « Bon Appétit » dans le tome III du théâtre de l'« Oeuvre Ecrit », avec déjà des animaux tels que la hyène, le cheval. Et surtout, le Vent et l'Amoureuse du Vent. Il est libéré six semaines après, puis « Max fut emmené pour la deuxième fois dans un camp de concentration, les fers aux poignets, à côté d'un gendarme armé d'un fusil ». Il sera interné au Camp des Milles, à côté d'Aix-en-Provence, en compagnie de Hans Bellmer, dont il dessine un portrait durant leur captivité. Avec l'aide du journaliste américain Varian Fry, il quitte le pays en compagnie de Peggy Guggenheim en août 1940. Arrivés aux États-Unis en 1941, ils sont accueillis par Jimmy, le fils de Max Ernst. Il vivra à New York, aux côtés de Marcel Duchamp et d'André Breton.
Puis Leonora part d'Ardèche en voiture, une petite Fiat, avec une amie anglaise Catherine Yarrow et Michel Lucas pour Bourg-Saint-Andéol, puis Andorre. Ce sera la confession de « En Bas » dans le tome II « Récits ». Là, en montagne, elle se rend compte qu'elle ne peut plus marcher. « ll me suffisait de monter une petite pente pour me recoincer ». Incapable de bouger « je me couchai alors à plat ventre sur la pente avec la sensation d'être entièrement absorbée par la terre ». Elle va ensuite subir des traitements plus ou moins sérieux ou médicaux, avec des périodes où elle est « gênée par des courroies de cuir », ou bien ligotée nue sur son lit « à Villa Covadonga (pavillon des fous dangereux ou des cas désespérés ». Elle va de pavillon en pavillon jusqu'à un, « très luxueux. On l'appelait « Abajo » (En Bas) » qui va donner le titre au récit. Elle ira « comme troisième personne de la Trinité. Je sentais que, par le soleil, j'étais androgyne, la lune, le Saint-Esprit, une Gitane, une acrobate, Leonora Carrington et une femme ».
Il y a un « Post-Scriptum », rajouté en 1987 et traduit par Karla Segura Pantoja dans le Tome II des « Récits ». Leonora Carrington revient brièvement sur sa réussite à quitter Madrid, sa famille voulant l'envoyer en Afrique du Sud, via Lisbonne, toujours par l'entremise de I.C.I. Elle y rencontrera Renato Leduc, poète et diplomate qui lui propose d'aller au Mexique. Brève rencontre avec Max Ernst, qui est alors avec Peggy Guggenheim. « C'était une chose très étrange, avec les enfants, les ex-maris et les ex-femmes ». Mais apparemment sa dépression est terminée. Elle a compris que le mariage de Max Ernst avec Peggy Guggenheim ne marcherait jamais. Elle l'écrit dans le « Post-Scriptum » qui termine « En Bas ». « Je ressentais qu'il y avait quelque chose de faux dans la relation de Max et Peggy. Je savais qu'il n'aimait pas Peggy, et j'ai encore ce côté puritain, on ne doit pas être avec quelqu'un qu'on n'aime pas ». Elle revit.
Avant le « Post-Scriptum » qui termine l'épisode avec, ou sans, Max Ernst, il convient de rappeler le rôle qu'a joué la lecture du livre de Pierre Mabille « le miroir du merveilleux » dans la guérison de sa maladie mentale. Tout d'abord, c'est en 1943 qu'elle commence à écrire, du 23 au 26 aout 1943, selon ses dates, soit 3 ans après l'épisode de l'arrestation de Max Ernst à Saint-Martin-d'Ardèche. Elle écrit directement en français, à la demande de Jeanne et Pierre Mabille, de passage à Mexico. Les premières phrases du texte sont claires sur ce point et forment une dédicace discrète. « Depuis ma rencontre fortuite avec vous, que je considère comme le pus clairvoyant ». du français, le texte est traduit en anglais, puis retraduit par Henri Parisot en français après la guerre en 1945, l'original ayant été perdu. Surtout, une phrase donne la clé de l'ouvrage. C'est un « pouvoir éventuel de délivrance par le langage ». Leonora est encore à Madrid et cherche « les yeux verts, les yeux de mes frères qui me délivreraient enfin de mon père ». Souvenir aussi d'un poème attribué à Federico Garcia Lorca « Los Ojos Verde » dans lequel il est question de « la lubricité de leurs yeux verts et le givre de leur regard de marronniers ». En fait ce ne serait pas de Garcia Lorca, mais une chanson populaire espagnole qui a pour refrain « Yeux vert / vert comme le basilic / Vert comme le blé vert, / et le vert, vert citron ». La chanson a été composée par Manuel Quiroga sur des paroles de Rafael de León et Miguel de Molina, créée en 1937 au théâtre « Infanta Isabel » de Madrid. le poète homosexuel Rafael de León fait alors référence à la rencontre entre Federico Lorca et Miguel de Molina et à la liaison entre les deux hommes. La chanson est naturellement censurée par le régime de Franco.
Leonora Carrington travaille son expérience à la lumière de la lecture du livre de Mabille. Elle interprète les correspondances complexes qu'ell
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