Maman a l’air d’une enfant comme moi quand elle l’écoute. Et lui, d’une plaque de marbre froid qui se fend quand il la regarde. Souvent, elle baisse les yeux le temps de se réchauffer sur une image plus douce, mes pieds, mes mains croisées ensemble comme deux lapins chauds.
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Avant, quand on s’en allait toutes les deux, après l’avoir croisé entre l’escrime et l’art plastique, maman essayait d’être joviale mais ça se voyait qu’elle avait le corps triste à cause de leurs âmes comme des chiffons mouillés trop lourds. Il la déchirait en disparaissant, il la déchirait en oubliant d’apparaître.
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C’est comme si maman me kidnappait. Il faut à présent le retirer de nos oreilles, de nos yeux. Sa présence est insupportable. Notre mémoire est un film d’horreur.
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Rien ne change jamais. Depuis qu’il est là, maman essaie de l’apprivoiser mais elle n’y arrive pas. Il l’aspire. Je ne sais pas si elle est encore capable de fuir. Je me dis que ça fait des siècles que les chevaux ne sont plus chassés. Pourtant, ils ont le réflexe de courir.
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Mais il ne se tait pas. Sa voix n’est pas forte d’ailleurs, il continue à cracher des phrases, elles sortent de sa bouche comme d’une photocopieuse. C’est son cerveau qui suinte.
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Quand on rentre à la maison, il est toujours assis de dos dans la cuisine. Cubique dans le décor comme un bloc de foie gras froid. Aujourd’hui, je me dis qu’il a dû faire des selfies pour calculer l’effet qu’il nous ferait, si brutalement assis, lourd, de dos.
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Je découvre alors qu’il déteste les mots d’enfant quand il est fâché. Il m’envoie un sourire sec comme une banane. J’ai envie de me retrouver seule avec maman.
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Au début, il ne dit jamais "ta fille". Il m'appelle par mon prénom, et j'aime quand il le prononce. Sa voix ne parle qu'à moi. Il ne fait pas comme les adultes avec les enfants. Ni semblant, ni forcé. Quand il me parle, il m'ouvre. Je crois qu'il voit dedans. Il joue avec moi très longtemps. Il ne compte pas son temps. Il ne négocie pas. Il joue, c'est tout.
« Mais il ne se tait pas.
Sa voix n’est pas forte d’ailleurs , il continue à cracher des phrases, elles sortent de sa bouche comme d’une photocopieuse ..
C’est son cerveau qui suinte.
« Qu’est - ce qui ne veut rien dire ? Insiste - t- il .
Tu n’aimes pas que j’évoque la guerre ou bien c’est l’intellect qui te rebute?
Tu Sais , la pensée est la seule chose qui nous sauvera quand nous devrons fuir . Je t’aide à l’alimenter . Mange ça au lieu de préparer à dîner. Et donne à manger à ta fille » .
Il regarde vers moi mais c’est comme s’il voyait en transparence l’armoire devant laquelle je me tiens ,et même ce qu’il y a dedans » .
Depuis le déjeuner de moules, elle répète . qu'on est bien tranquilles toutes les J'ai réintégré son univers. Elle a froid, mais qu'elle respire mieux quand il n'est pas là. « Tu devrais lui dire que tu en as marre qu'il te dispute, lui dis-je. Il ne me dispute pas, se défend-elle, il m'explique des choses intéressantes.. II n'a pas toujours la façon de les dire, c'est tout.» Quand elle lit l'interrogation dans mes yeux, elle se rappelle qu'elle doit aussi m'apprendre à rester libre alors elle conclut : « Tu as raison.Te concernant en tout cas, il n'a pas de conseils à me donner. Alors viens, on a faire le grand chelem! Je te propose la fin du Corniaud puis La Grande Vadrouille, t'en dis quoi? » Je crois que je lui réponds que je ne le répéterai pas, que c'est notre secret.