Solitude

Dans ce désert bleuâtre, Mila chercha la tache gaie d'une fumée, d'une masure, d'une forme humaine... Elle ne découvrit rien, rien qui vînt trahir la présence et la compagnie des hommes.
- Quelle solitude ! murmura-t-elle, atterrée, en sentant son âme surprise se remplir d'ombre autant, peut-être davantage, que ces abîmes.

À voir cette misérable chose ainsi, toute nue, élongée, efflanquée, les pattes de devant repliées, celles de derrière longuement étirées, Mila se disait dans un frisson qu'elle avait l'air d'un homme, d'un homme qui n'aurait pas pu grandir, mais qui, jusque dans la mort, sentait ce qu'on lui faisait et éclatait d'un rire exaspéré, ce rictus crânien qui fait grimacer cyniquement le visage des suppliciés.

Matias n'avait de regard d'aucune sorte ; maintenant, pour la première fois de sa vie, elle en prenait conscience. Il n'avait de regard d'aucune sorte, parce qu'en lui régnait la paix, la paix de la bête, d'une bête anormale, plus bête que les autres, car il était une bête sans rut...

Tout ce qui pouvait s'allumer dans la chapelle, torches, flambeaux et cierges, brasillait. Sur une trame d'or étincelant, des brins de feu vacillaient dans l'obscurité, comme si le retable avait été un tapis magique, agité par des mains invisibles.

La grisaille givrée du matin semblait pleine d'aiguilles qui vous piquaient la peau.

Son récit avait la concision et la netteté d'une inscription lapidaire, et dans ses grands yeux verts régnait le calme mystérieux des gouffres sans fond.

Il lui sembla que tout ce qui était arrivé devait laisser sa trace ; et, s'il en était ainsi, combien devait-il y en avoir, de ces traces invisibles, partout ?...

Enveloppée de ce grand silence, Mila se sentit bien. Elle avait conscience que le moindre bruit l'aurait alors blessée d'une douleur presque physique ; et elle sut gré au grillon obstiné de s'être tu.

Dans la solitude enchantée de la nuit, cette porte ouverte glaçait d'horreur.

C'était l'heure entre chien et loup.