[...] et, dans la salle comme dans la grande chambre, la bamboche continua, sous la surveillance du pâtre qui, renfrogné et sourcilleux, regardait avec mépris ces animaux soi-disant supérieurs brailler et se contorsionner, soûls de joie, de victuailles mal digérées, d'attouchements et aussi d'une bonne quantité de vin : toutes choses dont ne s'enivrent pas les autres bêtes, dites inférieures.
Le venin de la solitude s'était cristallisé dans son destin.
(Excipit)
Alors oui, Mila les ferma bien vite, de nouveau éblouie par un fulgurant et subit scintillement de miroir. Qu'était-ce que ce rai de lumière, long et blessant, qui séparait si nettement ciel et terre en deux parties ? Le pâtre le lui dit d'un seul mot, d'un mot magique :
- La mer !
Et on dirait que c'est une voix qui me révèle ces histoires ; je m'imagine alors tout ce qui a dû s'y passer, dans ces parages...
Le philtre de la parole humaine agit si puissamment sur l'esprit des hommes que, lorsqu'elle s'interrompt, ils en ressentent une nostalgie pleine d'angoisse.
Il était immobile, comme aveuglé par la contemplation de cette grande féerie de lumière. Et, dans le recueillement de cet obscur endroit, en sentant le long de son bras la chaleur tiède du corps de l'homme, en contemplant l'expression extatique de ce visage glabre et la blancheur dorée de son front, gonflé par de longues méditations rêveuses, Mila comprit une nouvelle fois qu'il était loin, bien loin, infiniment loin d'elle... en de mystérieux parages.
De chaque recoin, de chaque rocher, de chaque branche elle voyait sourdre une légende ; et le sentiment du merveilleux s'éveilla en elle comme une nouvelle conscience, une conscience supérieure.
- Tout est beau dans le monde, ermitane, pourvu qu'on le regarde avec les yeux qu'il faut !
À pas menus et réguliers, elle dévalait le sentier, lisse comme l'ornière d'une roue colossale, toute distraite, rêvant vaguement à des choses imprécises, nuages de la pensée.
En effet, sous ce ciel bleu très pur d'yeux de vierge, le coteau, nuancé de verts printaniers, couvert de maisonnettes blanches et ceint du ruban de gaze de la plaine rosée, ressemblait plutôt à une féerie de peintre impressionniste qu'à quelque chose de réel, de véritable.