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Critique de Siladola


Cette critique concerne uniquement la version initiale du tome I, publiée trop vite en 1944. Céline s'en explique en quelques pages de postface : « il a fallu imprimer vite because les circonstances si graves… » ; l'écrivain avait en projet trois volumes mais seul le tome I fut publié de son vivant, tandis que le tome II serait exhumé vingt ans après par Gallimard sous le titre « Le pont de Londres ». La genèse de l'oeuvre est mieux connue aujourd'hui grâce à l'édition Pléiade des romans.
Un chapitre inaugural en forme de prologue sans rapport apparent avec l'histoire d'après, et l'on entre dans le récit comme par une porte dérobée. Dans le Voyage au bout de la nuit, le lecteur suivait les aventures de Bardamu qui s'était engagé sur un coup de tête dans l'armée et par conséquent la Grande Guerre, tandis qu'ici le héros/narrateur se débat dans l'Exode de 1940 à Orléans, essaie de traverser la Loire sous les attaques aériennes, et puis sans transition nous emmène à Londres pour conter des épisodes picaresques datés (explicitement) de 1916/1917, autour d'un proxénète réformé du service armé, d'un pianiste anarchisant, et d'une bande de prostituées hystériques, tous poursuivis par les Bobbies. J'avoue ne pas avoir retrouvé là le charme du Voyage, et du coup réapprécie la place de Céline dans mon Panthéon personnel : quoique généralement jugé un auteur majeur de la littérature contemporaine, cette suite d'incartades et d'échauffourées servies dans une langue jaculatoire tendrait plutôt à me faire resituer le romancier dans une honnête moyenne expérimentale de l'entre-deux-guerres, du côté de Queneau (celui de Zazie et de Sally Mara) et du Gombrowicz de Ferdyduke. de là à en faire le troisième pilier de la littérature au XXeme siècle avec Proust et Joyce, il y a un pas que je ne franchirai pas : aucune perspective philosophique, de la faconde c'est entendu, mais depuis Rabelais était-ce si novateur ? La vision politique reste obstinément négative, hostile à tout engagement - bien dans l'esprit d'une France à L'Etrange Défaite (Marc Bloch), qui a réduit ses capacités combatives à une agressivité de roquet, et ses héros littéraires à de sympathiques mais plutôt minables exclus.
Le mode narratif est certes intéressant, une ligne fantaisiste à la Sterne, mais plutôt quelques coudées au-dessous en ce qui concerne l'intérêt des épisodes : franchement ces bagarres de comptoir de pub anglais, ces échanges salaces ne mènent pas très loin. On rit toujours bien sûr, mais ce qui à mon sens sauve le roman, ce sont les descriptions sans pareilles de Londres : de véritables tableautins de la Tamise et des docks embrumés. Un extraordinaire passage avec l'anarchiste Boro au piano montre aussi combien le fameux style célinien parvient à mimer tous les rythmes et pourrait toucher juste s'il s'élevait tant soit peu au-dessus de ses pochades, jusqu'à l'essence de la musique. Mais comme le sentiment poétique se trouve rejeté a priori par l'auteur, qui devait mépriser ces faiblesses « de gonzesse » et se pique absolument de cynisme, il s'agit donc seulement d'aspects accessoires à ses yeux et l'on peut le regretter. A propos de féminité, le statut de la femme dans ce livre me paraît déplorable : il est difficile d'accepter aujourd'hui de voir la vocation féminine réduite au commerce du corps et les meilleures espérances sociales de ces dames à celles d'une promotion en tant que souteneuse (« mère maquerelle »).
Ayant recherché un peu les circonstances de publication, je suis tombé sur ces lignes de François Nourrissier, que je fais miennes bien qu'elles visent exclusivement le tome II, paru posthumément :
« Le lyrisme de l'écrivain, son invention, ses explosions, sa fureur, employés au simple déroulement d'une intrigue, donnent l'impression d'une énorme machine qui patine, s'emballe, ronfle en vain, sans que le livre, immobile, embourbé, avance d'un pouce. de ce torrent encore prodigieux, soudain, c'est une certaine pauvreté qui nous frappe. Nous remarquons les tics d'écriture, dénombrons les mots inlassablement répétés. La préciosité nous gêne. Ce n'est plus toujours éblouissant, et c'est gratuit. Au fond, l'histoire nous ennuie, et le style célinien, quand il n'est plus sous-tendu par la révolte ou l'émotion, tourne à l'autopastiche. »
François Nourissier, "Le Pont de Londres de LF Céline", in Les nouvelles littéraires, 9 avril 1964. 
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