AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


L'Église (quel étrange titre au vu de la pièce !) est une sorte de premier jet, de premier façonnage de la matière première qui deviendra, six ans plus tard, l'inénarrable Voyage au bout de la nuit.

C'est une sorte d'argile brute quant au fond. D'ailleurs, j'ai déjà eu l'occasion d'écrire que ce n'est peut-être guère différent, même pour le mémorable Voyage au bout de la nuit, car, quand j'écoute les interviews de Céline, quand j'écoute ce que les lecteurs conquis par l'oeuvre m'en disent, je ne peux m'empêcher d'y percevoir une espèce de dissonance, le sentiment général d'un grand « Je t'aime/Moi non plus », presque comme si le sens profond, la substance véritable semblait échapper tant à son auteur qu'à ses lecteurs. Très bizarre, pour moi, cette impression…

Ce que l'auteur, d'après moi et je peux évidemment me tromper, semble avoir eu à coeur d'écrire dans Voyage au bout de la nuit (finalement que tout dans la vie est incroyablement déprimant partout et quoi qu'on fasse) ne me semble pas être, toujours d'après moi, dans ses grandes lignes et en moyenne avec le biais subjectif que cela suppose, ce que les lecteurs me disent apprécier le plus dans ce roman (les propos anarchiste antimilitariste, anticolonialiste et anticapitaliste, par exemple).

À ce titre, Voyage au bout de la nuit constitue peut-être un bel exemple de malentendu réciproque dans la littérature française, entre un auteur et ses lecteurs, mais ce serait encore à démontrer, à quantifier, à théoriser, et vous vous doutez bien que je n'ai ni la carrure ni les moyens d'investigation pour creuser cela bien davantage. J'avais déjà abondamment développé cet aspect étonnant et paradoxal (selon moi, j'insiste encore une fois) de la relation auteur/lecteurs à propos de Mort à crédit et vous y renvoie si la question vous intéresse moindrement.

Pour faire très, très bref, Louis-Ferdinand Céline considérait qu'en littérature, comme en peinture, ça n'était pas le motif ou le sujet qui était important, mais le traitement. En peinture, je suis entièrement d'accord avec lui : si je considère, par exemple, l'église d'Auvers-sur-Oise à laquelle j'ai rendu visite il y a quelques années, force est de constater qu'elle n'a rien, mais alors rien de chez rien d'intéressant. Ce qui est intéressant, c'est le traitement pictural particulier qu'en fit Vincent van Gogh dans son tableau fameux.

Mais qu'en est-il du roman ? Est-ce que le style seul suffit à faire une grande oeuvre ? Selon moi, absolument pas : le style doit être une sorte d'exhausteur de goût, d'amplificateur, de bronchodilatateur, si l'on veut, mais il ne saurait, en aucun cas, se substituer au fond. Je dirais même que le style doit RÉSONNER avec le fond, en générer des harmoniques, mais jamais, jamais il ne doit chanter seul sa propre partition indépendamment du fond, sous peine de cacophonie ou de dissonance, voire, de vacuité. Et le fond d'un roman, qu'on le veuille ou non, c'est l'émotion, la décharge brute d'émotion qu'on subit, nous lecteurs, au contact des personnages et de leur trajectoire particulière. Et donc, s'il n'y a pas de fond, c'est-à-dire si le destin propre des personnages nous indiffère, il n'y aura pas non plus d'émotion, quel que soit le style mis en oeuvre. Mais bon, nul besoin de s'enliser plus avant dans ces considérations, car le roman c'est un autre débat et qui n'a que peu de rapport avec la pièce de théâtre qui nous occupe ici.

L'auteur, hormis le fait d'intituler mystérieusement sa pièce, nous précise qu'il s'agit d'une comédie en cinq actes. Je défie quiconque de se payer une franche partie de rigolade à la lecture ou à la représentation de L'Église. S'il s'agit bien d'une farce douce-amère — ce qui n'est pas sûr du tout — m'accordera-t-on qu'elle est plus amère que douce ?

Chaque acte est un épisode distinct sans grand rapport avec les autres. On y retrouve, comme dans Voyage au bout de la nuit un certain docteur Bardamu qui évolue : 1) dans une colonie africaine, 2) aux États-Unis et 3) en banlieue parisienne. Mais, différences notoires avec le Voyage, on a ici droit à un épisode au siège de la Société des Nations (SDN) à Genève et l'on est privé d'épisode en rapport avec la Grande Guerre, ceux-là mêmes qui semblent au coeur de l'ouvrage d'outre-tombe fraîchement sorti chez Gallimard.

Les liens avec la biographie effective de Louis-Ferdinand Céline sont encore plus évidents que dans Voyage au bout de la nuit. Les références à Elisabeth Craig (à qui était dédié le Voyage) sont beaucoup plus marquées. En fait, c'est un peu comme une suite de désillusions, dans les colonies, dans le monde de la danse, dans les hautes sphères de la SDN, dans les sphères plus intimes de l'amour et enfin, désillusion jusque dans l'aide qu'on espère apporter au peuple prolétaire, qui, décidément, ne mérite pas toute la peine qu'on se donne pour lui…

On y retrouve quantité de situations qui seront plus tard reprises, développées et enrichies dans le grand roman ultérieur. On sent bien que Céline n'est pas tout à fait à l'aise avec l'art théâtral : il patauge un peu, et nous avec, malgré, il serait malhonnête de le nier, quelques fulgurances intéressantes qui annoncent, certes timidement mais qui annoncent tout de même, la dynamite que sera Voyage au bout de la nuit.

Bref, c'est un tableau franchement plus déprimant que comique : c'est la panade partout et avec tous. Mais, au-delà de cela, je ne vois pas vraiment ce que l'auteur a souhaité nous dire de plus. L'église ? Est-ce à entendre comme le lieu où l'on vient chercher des soupçons d'espoirs quand il n'en reste plus beaucoup ? L'église ? Est-ce à entendre comme un regroupement de gens liés par une même foi illusoire ? L'église ? Est-ce à entendre comme le déroulé de la passion, c'est-à-dire une suite d'embûches et de calvaires qui se succèdent dans nos vies ? L'église ? Est-ce le surnom ironico-caustique que Louis-Ferdinand Céline attribue au gros machin, à l'institution SDN avec laquelle il s'est colleté ?…

Je vous avoue que même après une lecture que je crois attentive, je n'en sais absolument rien et vous laisse donc méditer là-dessus, si vous en avez le coeur ou l'envie. Pour le reste, ceci n'est que mon avis, effroyablement subjectif, comme à chaque fois, autrement dit, pas beaucoup plus qu'une chiure de mouche nichée pile au confluent d'une nef et d'un transept, autant dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          13312



Ont apprécié cette critique (129)voir plus




{* *}