« Les troisièmes parties n'ont jamais été bonnes » dit un adage espagnol. C'est bien le sentiment que j'ai eu en lisant ce troisième volet de la trilogie
Terra Alta qui, d'ailleurs, a été un échec en librairie. J'ai essayé d'en comprendre les raisons mais plutôt que d'en faire une analyse, je vais laisser la parole à l'écrivain et chacun jugera.
♦On trouve dans son roman des délices littéraires telles que ces ineffables récits :
« En face de lui, Salom ronfle doucement, les mains croisées sur son ventre pendant que son thorax se soulève et s'abaisse au rythme de sa respiration ; l'air qui pénètre dans ses fosses nasales berce comme une brise les poils de sa moustache. » Beurk!
« Avant 7 heures il arrive à l'aéroport de El Prat. Il gare sa voiture sur le parking du terminal 2, passe les contrôles de sécurité avec son billet électronique et le voilà assis à une table du Starbucks située en face de la porte d'embarquement B22, avec devant lui un express double et une madeleine aux myrtilles. » Miam !
♦On y relève des événements de cette importance :
« Chez un glacier il acheta un cornet de glace de deux boules - une à la fraise, l'autre à la noix de coco- et les lécha jusqu'au moment où, à la hauteur d'une placette ombragée, la glace finit par fondre dans ses mains ; alors il fit demi-tour et s'en retourna. » Pas de bol!
♦De la belle poésie du genre :
« À trente mètres à peine devant lui, la surface de la mer, éblouissante, évoque une plaque d'aluminium tremblante ; plus près encore, au bord de l'eau, des grappes de baigneurs s'exposent au soleil vertical de midi. » Cette « plaque » métallique qui, un peu plus loin, va devenir «une plaque de verre étamé » .
« Le jour s'est levé aussi sombre que sa fille. Souffle un vent mauvais qui agite les branches des arbres mais qui ne parvient pas à balayer les nuages du ciel de Collserola qui défilent au-dessus de leur tête comme un cortège funèbre . » Ah le bel exemple d' anthropomorphisme que voilà ! Javier s'entraînerait-il pour écrire une quatrième partie en vers libres ? C'est à la mode !
♦Des observations aussi fines et pénétrantes que celle-ci :
« C'est une après-midi sans vent et, au loin, sur les crêtes de la sierra de Fontarella, les éoliennes se profilent sur le bleu cobalt du ciel, immobiles comme de gigantesques insectes endormis. »
« Le jour s'est levé, sombre et couvert. Bien que les fenêtres du salon restent ouvertes, les lampes du plafond sont allumées. »
♦Des aphorismes à n'en plus finir et d'une grande profondeur :
« Ceux qui cherchent la vérité méritent de la trouver comme punition. »
« Parfois il faut échouer un peu pour pouvoir réussir ensuite. »
« Haïr quelqu'un c'est comme boire un verre de poison en pensant que tu vas tuer celui que tu hais. »
♦Et pour ceux qui aiment l'art du délayage et du remplissage, sachez que J. Cercas en est le maître absolu. Je me garderai bien d'en fournir des exemples : 200 pages y suffiraient à peine.
Voilà pour la forme. Reste l'histoire. Elle est simple et se lit sans ennui : c'est un bon point. Sans en révéler le contenu, je dirai simplement que ce thriller tourne autour du thème du mensonge, de la corruption, des abus sexuels chez les puissants et de la vengeance. Cependant la trame en est faible et la fin décevante, en partie bâclée.
Les trois quarts du récit ne sont guère que du blabla qui alterne avec des dialogues de machos, bourrés de vulgarités et de grossièretés. Il faut pratiquement attendre la dernière partie pour que l'action débute enfin. Cependant l'assaut de la demeure du méchant est bâclée, précipitée et invraisemblable.
Bref, la seule chose que j'ai appréciée dans ce roman ce sont les relations touchantes entre Melchor et sa fille, Cosette, la bien nommée.
Ce roman noir laisse son auteur à des années-lumière de ce qu'il nous avait montré dans
Les soldats de Salamine et
Les lois de la frontière. Souhaitons qu'après cette littérature économique il revienne à ses premières amours : le thriller, ce n'est pas pour lui.
PS: la traduction de ces quelques extraits est personnelle.