La préoccupation des démons et des mauvais génies n’a pas eu seulement pour effet de peupler la montagne de fictions plus ou moins terribles ; elle a donné naissance à la sorcellerie. Elle a mis en activité des centaines de sorciers et de sorcières. Elle a occasionné surtout les fameuses réunions nocturnes qui, sous le nom de sabbats ou de chettes, ont laissé chez nous un vivant souvenir.
INTRODUCTION
Le soir, à la montagne, lorsque tout est tranquille sous le chalet bien clos, – quand le feu, qui brille encore sous la noire chaudière, lance dans l’ombre ses vacillantes lueurs, – lorsque le vent des nuits, pareil à une harpe plaintive, fait gémir au loin, dans le val, les rameaux des grands sapins noirs, – quand le solennel silence des solitudes alpestres n’est interrompu que par le sifflement de quelque oiseau nocturne, passant près des hauts rochers déserts, – le pâtre de nos monts, au terme des labeurs et des soucis du jour, aime encore, avant d’aller chercher le sommeil, à s’asseoir un instant près de son foyer.
Remontant les sentiers, déjà bien effacés, des jours disparus, songeant aux légendes et aux vieilles traditions transmises par ses pères, il trouve, pour charmer les moments de ceux qu’il honore de sa confiance et de son amitié, des récits à la fois doux et simples, étranges ou fantastiques, empreints d’une forte poésie et d’une réelle originalité.
Le servan est, dans nos montagnes vaudoises, le nom populaire de l’esprit familier ou du génie de la maison. C’est le lu-tin utile, farceur ou méchant, qui chante les chalets, les étables et les vieilles demeures. Ailleurs, il porte des noms différents. Il est appelé le follaton dans les montagnes du canton de Neuchâtel, – foulia dans le Jura bernois, – coqzwergi en Valais (de Zwerg, un nain, un pygmée), – Bergmännli dans les Grisons, – farfadet, solève, en France, gobelin dans les campagnes nor-mandes, – Kobold, Poltergeist, Heinzelmanchen, dans les pays allemands, – Arvan, dans la mythologie des anciens Prussiens, etc.
En 1515, par exemple, on voit Genève, alors sous son évêque, brûler cinq cents personnes en trois mois. En 1620, les autorités de la ville de Vevey et celles de Berne se disputent pour savoir à qui doivent incomber les frais de bois nécessaire aux bûchers. En 1629, le seul bourg de Stanz compte soixante-deux personnes livrées aux flammes.
« Dans les longues veillées d’hiver passées au chalet de Collatel (au-dessus de Bex), – il y a de cela plus de cinquante ans, – ma grand’mère n’éprouvait pas de plus grand plaisir que de nous faire le récit des farces des servans d’alentour ou des histoires lugubres des revenants.
» L’oreille tendue, nous écoutions ces contes fantastiques parfois avec une telle terreur que nous n’osions plus, ma sœur et moi, aller de nuit à la cuisine.