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sur 454 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"Au bout du petit matin"... une île se dévoile, rues en terre battue, cases éparpillées et coqs chantant, avant qu'on ne leur torde le cou. Une île où l'on mange, où l'on travaille, une île odorante, bruyante, vivante, animée par la nature, soufflée par les tornades, brûlée par le soleil.
"Au bout du petit matin"... Aimé Césaire, étudiant à la Sorbonne dans les années 30, loin de son île, prend du recul et écrit sur la Martinique un long poème de révolte, d'espoir et de désarroi, et se fera ainsi le chantre de l'écriture "noire" francophone.
Césaire nous dresse ici un portrait vivant de cette île encore sous le joug de la France, des Blancs. Ce portrait est souvent violent, critique; la population est majoritairement illettrée et pauvre et parfois passive face aux traitements qu'elle subit.
Césaire n'est pas seulement Martiniquais, il est tous les Noirs, tous les peuples opprimés, dominés, soumis à l'esclavage, maltraités, fouettés, humiliés mais aussi ceux qui se sont battus, révoltés, tel Toussaint Louverture.
Ce recueil se voulait manifeste pour la cause des Noirs, contre le colonialisme et toute forme d'oppression. le texte est merveilleusement beau et riche, autant dans les propos que dans l'écriture.
Il faisait partie de la sélection des tous premiers textes imposés en cours de Lettres, en Terminale, au Bac littéraire. Une riche idée, qui ouvre le regard sur la poésie contemporaine mais aussi sur un passé encore tout frais.

(Re)Lu dans le cadre du Challenge Poésie 2014-2015
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C'est avec plaisir et nostalgie que je retrouve mes notes de lecture et d'études de ce monument sur la négritude qu'est le Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire.
La « Négritude » est un mouvement qui rassemble à Paris, dans les années 1930, plusieurs poètes et intellectuels venus des colonies, avec comme figure principale Aimé Césaire et aussi, même s'il les éclipse un peu, Léon-Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor. La négritude francophone a aussi pour origines le mouvement américain Harlem Renaissance porté par les musiciens de jazz autour de Duke Ellington.

Le Cahier d'un retour au pays natal, entre poésie et texte prosaïque, est l'oeuvre la plus célèbre de Césaire ; élaboré dès 1935, le recueil a connu plusieurs versions avant sa publication définitive en 1956. Il s'agit d'un texte vraiment décisif pour la littérature antillaise, qui exprime un cri de révolte et rejette toute la littérature doudouiste. Césaire est en totale rupture avec les clichés paradisiaques sur les Tropiques ; dans ce cahier, il nous parle de la misère matérielle et psychique de la Martinique dans un profond réalisme à la fois métaphorique et flamboyant. Il remet les faits historiques à leur juste place, depuis la traite des esclaves jusqu'à l'Histoire des Antilles françaises, amnésiques, privées de mémoire par des siècles de déni. Il y a dans ce cahier une réelle volonté de rétablir la chronologie historique, de redonner un passé aux anciens esclaves dont l'identité et les origines ont été effacées.

Au niveau de l'écriture et de la forme, je ne peux que citer le poète lui-même, plutôt que d'essayer de la définir : « le Cahier, c'est le premier texte où j'ai commencé à me reconnaître ; je l'ai écrit comme un anti-poème. Il s'agissait pour moi d'attaquer au niveau de la forme la poésie traditionnelle française, d'en bousculer les structures établies ».
Le lecteur est forcément surpris et envouté par le langage châtié, recherché avec des mots qu'il faut chercher dans le dictionnaire et des métaphores alambiquées. On s'est interrogé sur ce choix de la langue française plutôt que du créole ; en fait Césaire voulait aller au-delà de l'oralité et donner à ses mots toute la force de la langue écrite. Ainsi, son long et étrange poème devient-il fondateur car son auteur nous transmet sa profonde confiance dans le potentiel du langage…
Césaire choisit la tonalité de la révolte et de l'invective. Il constate et dénonce, puis met en avant une affirmation identitaire ; je garde toujours en mémoire le passage sur la négritude, véritable définition dynamique, d'abord toute en formulation négative, puis en action et en mouvement : « ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour / ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'oeil mort de la terre / ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale / elle plonge dans la chair rouge du sol / elle plonge dans la chair ardente du ciel / elle troue l'accablement opaque de sa droite patience ».
Je me souviens aussi du lexique de la maladie pour parler de la misère des Martiniquais, de l'alternance entre les passages de révolte et de refus et les envolées lyriques de l'affirmation identitaire, de beaux passages narratifs, de moments contradictoires, d'acceptation des tabous historiques quand il faut bien parler des bateaux négriers et de l'assimilation…
C'est une écriture de la confrontation au traumatisme de l'esclavage et, en ce sens, elle ne peut laisser indemne. le texte propose également une ouverture sur l'avenir, met en avant des postures volontaires et conquérantes : « Vienne le colibri / Vienne l'épervier / Vienne le bris de l'horizon/ Vienne le cynocéphale / Vienne le lotus porteur de monde ».
Il est intéressant de relever le passage progressif du JE au NOUS, du ressenti individuel à la dimension collective et identitaire.

Cette poésie m'a d'abord profondément touchée par ses rythmes et sonorités, ses formules anaphoriques et incantatoires et ses ambiances…
L'étude de sa complexité, de ses mots à double-sens, de ses métaphores et de son caractère épique est venue après. Toutes les pages de mon exemplaire sont annotées, notamment par les définitions des mots rares et inconnus…
Pour celles et ceux que ce texte difficile pourrait rebuter, je recommande la reprise de quelques passages par Arthur H. et Nicolas Repac dans l'album « L'Or Noir ».
Je conclurai mon billet comme je l'ai introduit : ce cahier est un monument…
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Sans doute le texte le plus fort de la "négritude". Puissance toujours renouvelée.

Publié en 1939, ce poème de 75 pages est probablement la réalisation littéraire la plus puissante conçue dans le mouvement de la négritude, à partir de 1934.

Sans doute moins académique et ampoulé que Senghor, plus ample que Damas, le texte fondateur de Césaire se lit et se scande à voix haute, alternant des moments calmes d'énergie ramassée, concentrée, rassemblée en un poing fermé prêt à frapper, et des moments d'exorde libérateur, de rage déversée, orientée, tumultueuse, pour clamer la différence revendiquée de l'homme noir, son refus des canons imposés par les canonnières, et son rêve éveillé d'une histoire autre, qui n'a jamais signifié l'absence d'histoire - comme certains dirigeants européens particulièrement réfractaires à l'inteliigence pouvaient encore vouloir le proclamer à Dakar en 2007...

Relu attentivement à plus de vingt ans de distance à l'occasion d'une soirée 'Littératures antillaises" à la librairie Charybde, le texte porte une force toujours renouvelée. À peine sa lecture achevée monte désormais une envie difficilement répressible de s'y plonger à nouveau, de se baigner dans cette langue riche, précise, affûtée où même les affèteries occasionnelles semblent porter un sens caché.

Une très grande oeuvre (dont on peut aussi goûter plusieurs extraits superbement mis en musique et en voix par Arthur H et Nicolas Repac dans l'album de poésie "L'or noir").

"Tiède petit matin de chaleur et de peur ancestrales je tremble maintenant du commun tremblement que notre sang docile chante dans le madrépore.

Et ces têtards en moi éclos de mon ascendance prodigieuse !
Ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité
ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance
ceux qui n'ont connu de voyages que de déracinements
ceux qui se sont assouplis aux agenouillements
ceux qu'on domestiqua et christianisa
ceux qu'on inocula d'abâtardissement
tam-tams de mains vides
tam-tams inanes de plaies sonores
tam-tams burlesques de trahisons tabides

Tiède petit matin de chaleurs et de peurs ancestrales
par-dessus bord mes richesses pérégrines
par-dessus bord mes faussetés authentiques
Mais quel étrange orgueil tout soudain m'illumine ?
vienne le colibri
vienne l'épervier
vienne le bris de l'horizon
vienne le cynocéphale
vienne le lotus porteur du monde
vienne de dauphins une insurrection perlière brisant la coquille de la mer
vienne un plongeon d'îles
vienne la disparition des jours de chair morte dans la chaux vive des rapaces
viennent les ovaires de l'eau où le futur agite ses petites têtes
viennent les loups qui pâturent dans les orifices sauvages du corps à l'heure où à l'auberge écliptique se rencontrent ma lune et ton soleil

il y a sous la réserve de ma luette une bauge de sangliers
il y a tes yeux qui sont sous la pierre grise du jour un conglomérat frémissant de coccinelles

il y a dans le regard du désordre cette hirondelle de menthe et de genêt qui fond pour toujours renaître dans le raz-de-marée de ta lumière
(Calme et berce ô ma parole l'enfant qui ne sait pas que la carte du printemps est toujours à refaire)"
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Aimé Césaire écrit sa Martinique, qui semble vivre et revivre par sa plume. Il écrit l'exil. Il écrit l'Europe et sa représentation de l'homme noir.
Cette voix qui s'élève évoque par des images fortes ou innatendues l'un des plus grand malheurs qui ont frappé la vie des Hommes : le colonialisme, l'esclavage...
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Poème encensé par André Breton mais, contrairement à certaines remarques, qui n'a rien de surréaliste. La référence serait plutôt à chercher du côté de Lautréamont et de ses Chants de Maldoror. Il y a de la rage, une envie de briser enfin les chaînes de la soumission intellectuelle des Noirs face à l'arrogance de la civilisation occidentale. Mais ce Cahier d'un retour au pays natal n'est pas seulement un cri ébranlant les préjugés, c'est aussi, dans sa dernière partie, un chant d'espoir, une ode où la définition de l'universalisme comprendrait toutes les sources d'une humanité multiple et foisonnante.
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Difficile d'attaquer un monument, un texte fondateur, surtout venant d'un si grand poète qu'était Aimé Césaire (1913-2008).
Cahier d'un retour au pays natal, 1939 (Revue Volontés), 1947 (Bordas), 1956 (Présence Africaine) est un texte à plusieurs visages.
Un cri d'amour pour son pays où il revient et les hommes qui le peuplent, mais aussi une critique des comportements humains, à propos de l'Europe, la colonisation, mais aussi à propos des Noirs en majorité illettrés et aux comportements stupides et soumis. Il n'y a pas d'aigreur dans ses mots, un constat parfois cinglant, violent, parfois empli d'humour, mais toujours juste et plein d'amour.
Césaire prône l'égalité des hommes, tous les hommes, avec leurs faiblesses, leurs erreurs, leurs errances.
Difficile aussi de parler de la forme de ce texte, long poème libre au vocabulaire très riche, trop parfois, qui rend le fil compliqué à suivre. Les lieux, les objets, la nature, tout y est vie. Ses mots sont une explosion de sons, d'images, de sentiments qui nous concernent tous, même si nous ne sommes ni de ce pays-là ni de ce temps, car Césaire est intemporel.
On peut sentir toute la force poétique de Césaire, même si elle nous échappe parfois. J'ai eu parfois l'impression d'être sur un grand 8, de ne pas tout suivre, mais de ressentir les émotions en filigrane.
Ce livre est la fondation de son oeuvre où l'on retrouvera des traces comme de l'ensemble de ses propos tout au long de sa vie.
Lien : https://dominiquelin.overblo..
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J'aime beaucoup cette poésie engagée qui me fait découvrir un auteur que je ne connaissais pas et un mouvement (la négritude) qui m'était inconnue jusqu'à il y a peu.
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Un cri laborieux en quête d'humanité.

Aimé Césaire reprend dans son livre le mouvement de la négritude, une défense de l'égalité de tous les hommes et une remise en question des valeurs coloniales.

D'un point de vue strictement formel, Cahier d'un retour au pays natal présente une ponctuation très dépouillée qui donne une forte dimension orale. C'est un livre très court, rapide et rythmé. C'est une chanson pour le retour aux libertés individuelles propre à tout homme.
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Encore une oeuvre d'Aimé Césaire dont on ne peut ressortir indemne tant la violence et la passion de ses mots nous prennent aux tripes!
Cahier d'un retour au pays natal c'est tout simplement l'Histoire d'un Homme tiraillé par son identité à la fois caribéenne et française d'adoption.
C'est la dénonciation du racisme, de la colonisation, de l'Européanisation et d'une histoire originelle dont les détails sordides et les siècles de souffrance sont encore trop peu contés.
C'est aussi la mise en exergue du silence de son peuple qui a trop vite renoncé, subit sans presque trop broncher pour accepter un sort complètement surréaliste.
Mais c'est aussi une ôde à l'Espoir. Un poème tourné vers l'avenir, comme un éveil, une quête de sens d'un peuple qui n'oubliera pas son Histoire et à fortiori s'en servira pour grandir "au bout de chaque petit matin"!
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Aimé Césaire évoque dans ce texte alternant vers et prose la situation de soumission de son peuple, les Martiniquais, face aux blancs oppresseurs. Puis peu à peu, il invite ce même peuple à passer outre son passé d'esclave et à revendiquer sa fierté à être noir. ---
3 raisons de lire ce texte :
- Un texte à l'origine du concept de la "négritude".
- Un long poème en vers libres, aux accents parfois surréalistes dans les images.
- Une puissance exceptionnelle de la langue, toute en incantations, alliant le vocabulaire le plus familier au plus pointu. Un cri de révolte coup de poing.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
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