(...) je crois que nous nous sommes blotties l'une contre l'autre à l'intérieur d'un amour vital, énorme et bizarre dont nous n'avions aucune idée. Un amour indispensable pour remplacer le corps de la mère devenu demeure dévastée.
Aujourd'hui je me dis que ce doit être terrible d'être l'enfant de quelqu'un dont on a honte sans savoir pourquoi ; et pourtant de l'aimer ; sans savoir pourquoi non plus. Sinon qu'il est le père.
Quand on part, je m'en souviens, on voudrait que l'autre évolue en même temps que soi, qu'il ait envie de fuir lui aussi, dans le sens opposé si possible, qu'il change de décor, d'hémisphère... on voudrait poser des pansements magiques sur ses douleurs, sur sa bouche, qu'il se taise enfin et n'aille pas réveiller par ses lamentations la honte que l'on a de l'abandonner. (p.134)
On a moins peur, pas vrai, de ce que l'on croit "reconnaître" à travers le prisme des ressemblances, qui, ne nous le cachons pas, sont le plus souvent des failles, des inachèvements. (p.119)
Les pierres qui vous pèsent sur le cœur, il ne faut pas les lancer comme des pierres, ça fait trop mal et peut tuer. Il faut les transformer en mots et se les échanger. Parler, manier le langage. Les silences sont des pierres qui tuent. (p.78)
On ne rit jamais autant qu'entre personnes désespérées. (p.13)
Plus tard j'allais comprendre que l'on n'est pas forcément esclave des ressemblances, du moment où l'on veut bien les identifier et s'en dégager. Cela demande un certain travail, c'est bien le moins.
C'est étrange. Il y a un moment où les livres vous font signe, alors les mots que vous y trouvez sont ceux dont vous avez besoin, à ce moment-là. (p.85)
Ceux et celles qui écrivent me comprendront, les manuscrits sont des enfants que l'on présent au temple, la peur au ventre. Si l'enfant est rejeté, ce n'est pas un drame, c'est un deuil. On s'en relève mais ça dépend. (p.12)
En fait chacun est pris dans ses propres histoires et n'écoute pas celles des autres. Ou bien les écoute et puis les oublie. Après tout, c'est normal. (p.9)