Citations sur Médée chérie (28)
"Tu fuis la beauté, tu t'en défends, moi je la traque, je l'exhume, elle apparaît souvent où on ne l'attend pas, au coeur de ce qui est informe, détruit ou abîmé, hors d'usage...Ce qu'on ne voit même pas...qui demeure invisible pour l'oeil seul (...) L'intuition de la beauté , pas son évidence. " (p. 47)
Les traces trop apparentes du malheur sont pour ceux qui les portent une source d'isolement supplémentaire, et les condamnent à une telle relégation que souvent la folie assumée devient pour eux une manière de dire leur rejet de ceux qui les excluent. (p. 116)
"Tu espères qu'il va revenir ?" demande Tanya. " Non, répond Médée, il est vraiment parti, et je n'espère rien, mais il m'a rendue étrangère à moi-même. Je ne sais plus dire mon histoire, ma mémoire me trahit, je ne sais plus ce que j'ai vécu" . (p. 100)
(...) ils se sont quittés trois jours plus tôt, après qu'elle l'a convaincu de partager ce projet d'une statuaire pour dire ce qui n'est plus mais qui continue d'être toujours tant qu sont vivants ceux qui gardent en mémoire ce qui a disparu dans la violence de la guerre, la désaffection de l'amour, l'oubli organisé par la nécessité de survivre, au sein d'un monde pressé d'effacer les traces des perdants, faisant précisément de la perte une sorte d'opprobre dont il convient d'éviter poliment l'évocation (...) (p. 127)
Elle avait toujours refusé d'exposer ou de vendre cette sculpture, comme si ce qui s'y disait d'amour et de plénitude eût pu souffrir d'une telle mise à nu, souscrivant inconsciemment à cette idée que les grands bonheurs sont si fragiles qu'un regard malintentionné suffirait à les faire voler en éclats. (p. 22)
La nuit d’une mère est un abime pour ses enfants, s’ils l’effleurent, elle leur colle à l’ame pour le restant de leurs jours.
Elle est immobile,
ses mains sont posées l’une sur l’autre, rapprochées
de son buste comme pour parer le coup, elle
est appliquée à les garder ainsi, sa respiration est
lente, elle ne sait ce qu’ils attendent d’elle, la dévisageant
anxieusement, le frère et la soeur en face
d’elle dans ce café où deux heures plus tôt Ismaïl
a refusé de s’arrêter, dédaignant l’espace légèrement
graisseux envahi par les vrombissements de
la machine à café, les voyageurs fourbus ; le soleil
éclabousse d’un scintillement tiède le bar chromé,
fait luire les particules enserrées dans le plateau
de la table en formica où gisent les tasses pleines
du café amer déposées quelques instants plus tôt
par Adam.
Qui n'est pas réfugiée de quelque part ? D'une enfance, d'un amour, de sa propre jeunesse enfouie, des liens cassés, d'un pays en guerre, d'une perte qui n'a pas de nom ?
"Oui, répond Médée. Nous survivons. Je vois déjà en moi le début d'un après. (...) Nous sommes si promptes à organiser la vie sur les décombres de ce qui est perdu, n'est-ce pas là le comble de la folie ?
L'amour sans limite nous tient debout au milieu des cendres, alors que nous voudrions mourir là, mais il suffit que le chat de la maison ait survécu, nous voilà entêtées à lui porter du lait, l'éclat d'une prunelle d'enfant nous remet dans le devoir du jour. (...)
Pourquoi devenons-nous les héritières des guerres que nous n'avons pas menées, ni voulues ? " (p. 101)
Souvent Samia cherchait le regard d'Ismaïl, et ils souriaient, unis dans une même incrédulité, une même impatience peut-être, évaluant la silhouette menue de Médée, son visage lumineux, où puisait-elle cette énergie qui traversait la matière créant des liens improbables entre la dureté du marbre et la transparence de la résine, la mollesse de la cire et la violence de l'acier... Et toujours cet acharnement à suturer l'espace, luttant farouchement contre la distance, l'éloignement, la séparation des créatures déroutantes qui voyaient le jour sous le labeur de ses paumes calleuses, de ses doigts pleins de coupures, de cicatrices, traces de son obstination à s'inscrire en dehors d'elle et d 'eux. [ ses travaux de sculptures](p. 22)