Il y a les livres d'histoires. Et puis ceux de personnages. Je classe ce roman d'
Eric Cherrière clairement dans la seconde catégorie.
Non pas qu'il n'ait rien à raconter, bien au contraire ! Mais ce sont vraiment les protagonistes qui sont mis en première ligne. le récit sert avant tout les personnages et non le contraire. Avec un fond qui se dévoile peu à peu.
Voilà un titre de roman qui plante à la fois le décor ainsi que le caractère de Maud, 15 ans, très intelligente, asociale. L'écrivain dresse le portrait de cette adolescente certes différente, mais que rien ne prédisposait à être mise en lumière dans une société qui se noie sous l'uniformité.
C'est un peu l'âge de tous les espoirs et de tous les dangers, là où on se construit. L'âge où on pense déjà tout comprendre, tout maîtriser. Où tout change, selon le terreau dans lequel pousse cette adolescence.
Le livre est l'histoire de cette quête de repères, de cette construction sur des fondations branlantes sur lesquelles Maud plante ses piquets.
Avec ces trois mots-titres, le futur lecteur pourrait vite s'imaginer qu'elle vit dans une famille dysfonctionnelle, comme on en voit tant, sans amour. Ce n'est pas le cas, son environnement est certes singulier et précaire, mais ils sont comme les cinq doigts d'une main (ce qui ne les empêchent pas de s'entrechoquer régulièrement). Ce père, cette mère, ce frère et ce grand-père sont tous très différents les uns des autres, mais l'affection qui les lie, aussi atypique soit-il, reste une force pour Maud.
Oui, clairement une histoire de personnages (au pluriel).
Cette famille qui vit de peu, survit un peu, avait tout pour passer inaperçue. La misère quotidienne n'est pas vendeuse. C'était sans compter sur Maud, son caractère trempé et sa curiosité. Et ses idées insensées pour sortir du marasme. L'aventure dans laquelle elle va embarquer les siens va les sortir de l'ordinaire pour les plonger dans l'extraordinaire. Au risque qu'ils se brûlent tous les ailes.
A une époque où la bien-pensance, le conformisme deviennent de plus en plus la norme et donne des lignes jaunes à ne pas dépasser, le roman raconte un espace de liberté créé de toutes pièces. Quitte à ce que la frontière entre bien et mal soit totalement brouillée.
Le roman d'
Eric Cherrière est amoral. Rien n'est jamais tout blanc ou tout noir, surtout pas quand l'adolescence se construit, encore moins quand on a une personnalité aussi vive. Excessive même.
C'est tout le sel de cette histoire noire, qui donne une intrigue étonnante, choquante parfois, attachante assurément aussi.
Le livre est construit en trois parties. Chacune plus surprenante que la précédente. La dernière plongera le lecteur dans une horreur (tout sauf factice) qui dépasse très largement les pérégrinations d'une jeune fille.
Les préoccupations de l'auteur se retrouvent là, comme dans son précédent roman,
Mon coeur restera de glace. Dans ce livre passé, il contait certaines atrocités en pleine deuxième guerre mondiale. Dans ce nouveau roman, l'inhumanité est actuelle. Certains passages donnent des frissons, emportés par une écriture formidable, qui sait autant sublimer le quotidien que raconter l'ineffable.
Avec ses mots, souvent pleins de poésie noire, l'écrivain magnifie les émotions, avec autant de dureté que de subtilité, sans avoir peur de heurter.
Gamine, Guerrière, Sauvage, trois mots qui résument un tempérament. Loin du béni-oui-oui, dans un monde où trouver ses valeurs devient de plus en plus délicat voire illusoire.
Eric Cherrière signe un roman unique, ancré dans notre société, au plus près des émotions, même les plus dures et les plus ambivalentes. le genre de livre à la personnalité marquée qui pousse à la réflexion tout en se lisant avec les tripes. Et qui reste, au final, gravé quelque part.
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