Après certaines déflagrations, on n’habite plus jamais vraiment avec soi-même.
Comme quand on se rend compte que ce que nous sommes ne suffira jamais et qu'au fond on en sait si peu de l'être avec qui l'on dort..
Ils avaient tous en eux l'espoir que ce ne serait qu'un mauvais rêve, mais en fait, tout cela, ce n'est pas un rêve, tout cela c'est pareil pour tout le monde, tout cela, ce n'est pas grand chose, tout cela ce n'est que la vie, et, finalement, la mort.
On lui ferma la bouche après les yeux. On le déshabilla. On le lava. Puis le corps fut ramené à son domicile. On le recouvrit et on recouvrit tous les miroirs ainsi que les portraits d'un drap blanc. On me tint éloignée de la chambre funéraire.
On déchira un pan de ma chemise de nuit à hauteur du cœur.
Mais personne ne m'a dit que mon père était mort.
Revenir sur ce qui fut le lieu de notre anéantissement n’est pas possible sans se rendre compte avec horreur de l’ampleur de ce à quoi on a survécu.
Insensiblement, Harry, jusque-là tapi dans l’ombre de son frère, se réfugie dans la beauté morte de lectures qui n’intéressent que lui. Tard dans la nuit quand les sept autres camarades avec qui il partage se chambre se chamaillent à voix basse ou, couchés sur le ventre, se frottent, en silence, contre le drap de leur lit, dans le tréfonds obscur de son ennui, Harry attend de pouvoir enfin rentrer dans le vrai monde, rencontrer de vraies grandes personnes, avec qui il pourra avoir les vraies discussions que toujours on lui refuse et, dans cette attente, silencieuse, rageuse, solitaire, il se met à aimer les livres comme on aime les êtres.
Ce qui tue, c'est aussi la condescendance et le mépris de ceux qui pensent que la douleur d'un deuil qui se prolonge relève d'une paresses de la volonté ou d'une faiblesse complaisante.
Ah, celle-là, sa mère est complètement folle, tous les ans elle va faire un séjour chez les dingos, les dingos parce qu'elle est dingo, et elle aussi, la menteuse qui raconte partout qu'elle est une petite princesse juive et que son père est explorateur en Afrique, elle finira dingo chez les dingos.
C’était long l’enfance. Beaucoup trop long. La vraie vie, la grande vie n'arriverait jamais.
On sait ce qu'est la dévalorisation. Plus perçante est la haine de soi. Elle méduse. On se regarde comme les autres vous regardent, comme un être qui aurait tout pour être libre et heureux, et qui rencontre cette haine féroce de soi, dans laquelle toutes vos pensées se réfugient pour vous faire mourir de l'intérieur. Mais ce qui tue, ça n'est pas seulement la douleur morale. Ce qui tue, c'est aussi la condescendance et le mépris de ceux qui pensent que la douleur d'un deuil qui se prolonge relève d'une paresse de la volonté ou d'une faiblesse complaisante.
Alors, elle décide qu’elle ne dépendra jamais de rien, ni de personne. Sa mère, elle la sortira de là, et un jour elle lui fera une vie, entièrement nouvelle, une vie riche, une vie heureuse et belle, coûte que coûte, par n’importe quel moyen, - et peut-être entend-elle déjà le son étrange de cette formule dans sa tête, tout l’avenir inconnu qu’elle est en train de changer en une aiguille à percer les cœurs et les âmes par sa beauté.