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EAN : 9782021399479
368 pages
Seuil (30/11/-1)
3.55/5   192 notes
Résumé :
Automne 2015. Alors qu’une chaleur inhabituelle s’attarde sur l’Europe, une femme se rend en Autriche pour écrire un article sur les conditions d’accueil des réfugiés. Elle se prénomme Sarah. Elle est aussi psychologue, vit à Paris avec Paul, un intellectuel connu pour ses écrits sur la fin du monde, avec qui elle a un enfant. À Vienne, elle rencontre Richard, un musicien mondialement célébré. Ils se voient. Ils s’aiment. Elle le fuit puis lui écrit, de retour en Fr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (48) Voir plus Ajouter une critique
3,55

sur 192 notes
C'est un roman coup de poing! On en ressort assommé, et il faut un peu de temps pour s'en remettre.
Il faut dire que ce que l'auteur nous confie au cours de ces pages est loin d'être anodin. Certes même si, pour citer Tolstoï,

"Toutes les familles heureuses le sont de la même manière, les familles malheureuses le sont chacune à leur façon."

Le malheur au malheur ressemble et se fonde le plus souvent sur le fonctionnement complexe voire pathologique de ces groupes inventés par la civilisation que sont les familles. Traumatisme de l'enfance, fondé sur des malentendus ou des trop bien entendus, lestés par la maladie, l'hérédité et les flèches du hasard?. Dans ce roman, tout y est, avec comme couvercle de plomb la maladie mentale qui frappe inexorablement les femmes générations après génération. le miroir est monstrueux, superposant à l'infini les portraits féminins.

Mais ce n'est pas là que se situe la prouesse.

Elle est dans l'écriture, riche, juxtaposant les procédés, des lettres, avec leurs révélations violentes, des dialogues , bien ancrés dans le réel, des fragments de conférence, dont le contenu collapsologique crée une mise à distance drastique de tout ce qui constitue la trame du roman, à savoir les blessures individuelles,.

Elle est aussi dans la façon dont est retranscrit le tourbillon des idées et des réflexions qui vont de l'intime à l'universel. Et le lecteur est emporté dans ce maelström vertigineux, qui met en abyme les tourments individuels. Ce qui pourrait être nombrilisme devient partie du tout.

Et le plus étonnant c'est que ce récit n'est pas sombre, il offre une lueur d'espoir, par la voix de la femme qui ose jeter un sort à la malédiction, en l'attaquant avec ses propres armes puisqu'elle devient psychanalyste. Sans oublier que le dernier chapitre est intitulé une fin heureuse.

Lecture forte et marquante.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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🌪Turbulences psychogénéalogiques, historiques, sentimentales et climatologiques.

L'écriture de Sarah Chiche, percutante, flamboyante, nerveuse, excessive et hypnotique laisse à bout de souffle et entraîne des pauses respiratoires.
La narratrice, psychanalyste et journaliste, vivant avec l'homme qu'elle aime, père de sa fille, est irrésistiblement attirée par un violoncelliste de renom, plus âgé, rencontré lors d'un séjour professionnel à Vienne. Attraction partagée.
Impossible de lutter, il envahit son coeur, son corps, sa psyché. La dépendance à l'autre s'installe. le don de soi atteint des extrêmes.
Ils s'aimeront passionnément en parallèle de leurs histoires conjugales respectives de Vienne à Paris.
Engluée dans cette relation adultère, ce double amour va durer et la consumer, elle se morcelle peu à peu.
Mais le roman ne se résume pas à cette passion amoureuse, il est bien plus riche.
L'auteure part enquêter en Autriche sur l'Aktion T4 et son programme d'extermination d'enfants dans les décombres de l'hôpital psychiatrique Otto Wagner.
La Grande Histoire, de la Shoah à la crise politique ivoirienne, va alors se mêler à la sienne. Folie de l'humanité et folies plus intimes entrent en résonance car resurgit sa lourde histoire familiale avec des figures maternelles bancales, frappées de maladie mentale et des profils d'hommes destructeurs (son grand père notamment, ancien déporté).
Elle souffre du mal de mère et du manque de père, décédé alors qu'elle était très jeune.
On discerne aussi la peur de la transmission transgénérationnelle de la folie, sorte d'inconscient familial dont on hériterait et dont l'exploration mènerait à la connaissance de soi et serait un moyen de lutte contre cet atavisme.

Le tout sur fond de dérèglement climatique paroxysmique conséquence des activités humaines semant le chaos dans un monde à l'agonie avec des descriptions ahurissantes de ses effets.
A signaler quelques scènes de sexe trash qui peuvent déranger mais ajoutent assurément de l'intensité à ce récit tourbillonnant et incandescent proche de la transe qui nous emporte de bout en bout dans un vortex d'images et de mots directs et ardents.

Magnétique.



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Pour parler des Enténébrés il faudrait y voir un peu clair.

Ça commence mal, cette critique, mais je n'y peux rien: le livre tout entier se perd dans les ténèbres du mal, il  commence mal, finit mal, s'ouvre sur des abysses de mal.

Trop c'est trop. Pour reprendre un apophtegme qui m' a valu les foudres divines,   il y a peu:  tout ce qui est excessif est insignifiant.

Difficile de trouver la sortie du labyrinthe, d'exhumer le message d'un  chaos de feu, de cendres et de sang.

 Or, tout dans les Enténébrés est excessif: la passion amoureuse, le délire des sens, la généalogie -compliquée à loisir dans un récit volontairement désordonné- d'une tare mentale portée comme une malédiction familiale, les plongeons dans le passé -la solution finale testée et validée sur les malades mentaux-  les ouvertures vers le futur -l'apocalypse écologique consécutive à la crise climatique en action-,   les irruptions de l'actualité -terrorisme , guerres et génocides, comme s'il en pleuvait.
 
J'ai bien une petite explication à tant de noirceur et à ce maelstrom de ténèbres.. .mais vous me direz que j'ai mauvais esprit: la culpabilité de la narratrice. 

Elle qui a réussi un miracle de résilience , échappant à la fatalité qui a poussé toutes les femmes de sa famille dans la maladie mentale, en retournant à Sainte-Anne, mais du côté des thérapeutes,  dont elle est, on l'a compris, une des plus brillantes représentantes, elle qui a résisté à la mort prématurée d'un père qu'elle n'a pour ainsi dire pas connu, qui a su dépasser et pardonner les mauvais traitements d'une mère toxique, en épousant un homme équilibré,  aimant, la tête sur les épaules, qui l'a faite mère d'une fille adorée,  élevée avec amour, voilà t'y pas que cette femme exceptionnelle, belle, intelligente, lucide, courageuse, aimante - n'en jetez plus!-   rencontre un musicien ( elle qui ne comprend rien à la musique), qui a l'âge d'être son père -tiens, tiens, tiens...- et qu'elle en tombe éperdument amoureuse.

Au point de tout f..en l'air, et pas seulement sa paire de gambettes avec celles de son partenaire.

A part ce qu'il lui fait au lit, on ne voit pas bien comment ce papy autrichien peut déclencher un tel cataclysme auprès d'une héroïne si belle, si intelligente...mais je crois que je me répète.. .

Car cette autofiction, pour être romanesque, a le son du vrai: Sarah Chiche vit , a vécu,  sûrement, une passion adultère destructrice pour tout son entourage.

Acte manqué ou maladresse, elle met, effectivement, toute sa vie en l'air.

Alors, rien de plus efficace qu'un bon cataclysme universel pour noyer son impuissance à choisir, à épargner ses hommes, sa fille. À peine suffisant pour venir à bout d'un ego aussi surdimensionné.

Non? J'exagère? Ah bon...

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Le puzzle reconstitué

Dans son nouveau roman Sarah Chiche explore les failles de l'intime et celles du monde. Une plongée vertigineuse de l'écologie terrestre à l'écologie psychique qui se lit comme l'assemblage d'un puzzle. Fascinant!

Au moment d'écrire «quel extraordinaire roman», je me prends à douter. Peut-on vraiment parler de roman? S'agit-il plus précisément d'autofiction? Mais dans ce cas alors Sarah Chiche ne nous cacherait rien de sa vie la plus intime… À moins que finalement la romancière ne vienne prendre le pas sur la biographe pour transcender le réel, l'enrichir, le nourrir de fantasmes, de lectures. C'est cette variante que je crois la plus proche de la vérité, notamment après avoir entendu Sarah Chiche parler de ce roman lors d'une rencontre en librairie.
Sarah mène une vie de famille assez ordinaire, entourée d'un mari qu'elle aime et d'une petite fille adorable. Elle travaille comme psy dans dans un hôpital et aime se plonger dans les livres et écrire. Elle se passionne notamment pour l'oeuvre de Fernando Pessoa. Seulement voilà, ce bel équilibre va soudain être remis en question par les soubresauts de l'Histoire. Quand l'intranquillité, pour reprendre un terme cher à Pessoa, vient bousculer «l'écologie terrestre et l'écologie psychique».
Le choc a lieu en Autriche le 28 septembre 2015: «La gare centrale de Vienne, où je me trouvais cette nuit-là, cette gare n'était plus une gare. C'était le ventre débondé, crevé, excrémentiel de la route des Balkans, recrachant sans cesse, sur ces quais balayés par le vent, des milliers de gens qui descendaient des trains et titubaient hagards, tels des automates, leurs enfants dans les bras, sous les applaudissements des Viennois venus les accueillir, leur porter à manger dans des cantines de métal, ou des plats enveloppés dans du papier d'aluminium, leur distribuer des vêtements, des brosses à dents et des couvertures. Leur bonté, comme l'éclaircie dans l'orage, comme un souffle frais et paradoxal dans le brasier qui s'écroule sur lui- même, ne dura qu'un temps.»
Dans la construction de son roman, Sarah Chiche a choisi de nous livrer les pièces d'un puzzle qui, au fil du récit, vont s'assembler pour nous donner une vision d'ensemble, mais aussi pour démontrer combien une vie s'imbrique dans celle des autres, au fil des rencontres et au fil des événements, des émotions qu'ils suscitent, des failles qu'ils mettent à jour ou, au contraire, qu'ils cicatrisent. Une manière aussi de reprendre la théorie du chaos chère à Edward Lorenz et son effet papillon. Et de l'illustrer. Car si en 2010 le climat de la planète n'avait pas commencé à se dérégler, Sarah ne se serait pas retrouvée dans une chambre d'hôtel à tromper son mari avec Richard, un célèbre violoncelliste. La voici prise au piège, la voici affublée d'une part d'ombre, la voici «enténébrée» à son tour. La romancière a eu jolie formule pour résumer cette liaison: «Sarah et Richard, c'est la rencontre de deux fantômes et de deux fantasmes».
Car ce roman-gigogne nous l'indique dès son titre: tous les personnages que nous allons croiser ici sont des enténébrés qui mènent une double-vie, qui derrière leur façade respectable, ont leur part d'ombre, de souffrance, quand ce ne sont pas des pulsions plus morbides. On voit alors les réfugiés d'aujourd'hui se télescoper avec les déportés d'hier, l'Histoire broyer les destins individuels et laisser des marques indélébiles de génération en génération. Oui les fantômes sont bien présents. Ceux qui viennent hanter la mère de Sarah qui a perdu son mari trop jeune et n'a jamais pu se guérir de cette perte, ceux de ces centaines de victimes ayant servi à des expériences menées par les nazis et qui ont fini dans les sous-sols d'un hôpital, ceux imaginés par Elfriede Jelinek et Robert Musil
Sarah Chiche réussit un roman d'une rare densité. À la manière d'une équilibriste sur une corde raide, elle nous fait partager la peur, nous laisse imaginer que le prochain pas pourrait être fatal. La tension est extrême, mais la «fin heureuse» reste aussi une option.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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L'écriture de Sarah Chiche est fascinante et hypnotisante, je l'avais déjà vivement ressentie à la lecture de : Saturne.
Écouter et voir Sarah Chiche est captivant , les mots qu'elle laisse tomber nous médusent et nous interpellent, ils font mouche.
La lire est cet indispensable complément, on entend sa voix percer les fantômes de la folie, de l'amour triomphant quoi qu'il en coûte.
Les enténébrés nous renvoient à tous ces êtres qui vivent dans l'ombre , dans l'indignité, c'est le cas pour tous ces exilés, ces migrants qui ont fui leur pays pour des raisons diverses et qu'ils les font devenir des sous-hommes loin de leurs racines
Les enténébrés, ce sont aussi les victimes de l'HISTOIRE, que d'émotions et de tristesse en découvrant le sort d'enfants et d'adultes malades mentaux dont le sort a été scellé dans l'asile "Steinhof" en Autriche, tout près de Vienne. Ils serviront de cobayes pour toutes sortes d'expériences scientifiques pendant la seconde guerre mondiale.
Les enténébrés, ce sont aussi des femmes, des enfants qui subissent une malédiction familiale : la folie ou bipolarité de leurs mères les meurtrissant dans leur vie entière.
Sarah Chiche connait bien cet univers-là, elle y a échappé de peu et survit grâce à la psychanalyse qui l'a aidé et aujourd'hui, elle s'en sert pour aider les autres à aller mieux.
Les enténébrés, c'est aussi l'histoire de l'amour, une femme : Sarah aime deux hommes, son compagnon avec qui elle a eu une petite fille et un vieux violoncelliste autrichien qu'elle rencontre par hasard à Vienne . Leur relation amoureuse lui permet de se confronter aux fantômes de sa famille, de son enfance.
" Nous avons beau nous mettre en route vers le monde, sur le chemin de la vie, arrive toujours un moment, une station de notre voyage, où nous sommes ramenés à cette question : mais de quoi sommes -nous la faute ? "
Pour toutes ces raisons , ces absences de réponses, je vous recommande inconditionnellement la lecture des enténébrés.
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critiques presse (4)
Liberation
09 juillet 2019
On peut reprocher à Sarah Chiche une structure narrative complexe [...] Pourtant, ce puzzle rayonne de mille éclats et donne tout son souffle à cette cavalcade hallucinée.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeDevoir
18 mars 2019
Les enténébrés, de Sarah Chiche, est un roman dense et touffu, une réflexion sombre et lucide sur l’amour qui ne nie surtout pas le tragique de l’existence.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LaCroix
04 janvier 2019
Alors que sa vie conjugale est bouleversée par l’arrivée d’un amant, une psychanalyste laisse resurgir son histoire familiale.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
04 janvier 2019
Dans son nouveau roman, l’écrivaine et psychanalyste sonde les gouffres qui la constituent et livre un bloc de littérature et de vérité.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (87) Voir plus Ajouter une citation
Je ne me souviens pas de la voix de mon père, de son regard ni même de ce que pouvait bien être l’entendre rire ou partager un bon repas à ses côtés. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai trouvé à loger mon squelette dans le corps des lettres tracées une à une dans des carnets puis dans des livres. Pour donner une représentation aussi imagée que possible de cette forme de vie : mon centre de gravité ne se trouve ni entre mes jambes ni dans ma tête, mais dans l’abîme où je flotte, jusqu’à devenir l’abîme lui-même quand j’écris ou que j’aime – ce qui, chez moi, revient d’ailleurs au même. Cet abîme n’a pas de genre ni de sexe. Je ne me considère pas comme une femme ni comme un homme. Tout au plus suis-je un personnage au sein duquel vivent d’autres personnages, tous parlant entre eux et formant une constellation dont je ne suis pas l’épicentre. J’ai la plus grande répugnance pour mes faiblesses, mais je vis. Je n’ai pas peur d’être seule – on est toujours seul. Je peux rester interminablement seule du moment que j’écris – c’est quand on m’arrache à cette solitude-là que j’ai mal. Mais toute liberté a sa contrepartie, et toute jouissance qui excède une certaine intensité a son prix. Souvent, il n’y a plus de mots pour dire les choses. Tout simplement parce que jamais nos mots ne peuvent dire exactement les pages inscrites en nous et que tenter de peindre la suffocante beauté du monde aboutit nécessairement à une expérience grotesque, comique, imparfaite et ratée. L’enfant du Polaroid a grandi. Je suis assise à mon bureau, cherchant à décrire les châssis d’une fenêtre, la poussière qui danse dans les rais de lumière, les tortillons laissés par une pelure de poire au bord d’une assiette. Mais, tout à coup, tout est blanc. Tout devient aussi blanc qu’un corps recouvert d’un drap dans la chambre d’un hôpital de banlieue. Un jour, le blanc gagnera. C’est comme ça pour vous, pour moi, pour tout le monde. Peu importe l’endroit, un hôpital, le canapé d’une maison de retraite, devant la télévision, dans une forêt ou une chambre. Un jour, on n’arrive plus à accoster sur les rives de sa propre conscience. Le blanc gagne.
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–Qu’est-ce que tu écris, maman ?
–Tu veux essayer de lire ?
–Non, je veux pas. Je sais pas lire. Je saurai jamais lire. Léa et Arwa, elles savent déjà, et moi, j’ai l’impression que je saurai jamais.
–C’est se priver de grandes joies de croire que c’est mal de ne pas savoir une chose. En réalité tu as beaucoup de chance.
–De la chance ?
–Oui, parce que tu ne sais pas encore. C’est merveilleux de ne pas savoir encore. C’est une promesse. Le jour où ça viendra, le jour où tu sauras lire, tu ressentiras une joie immense, la joie de te rendre compte que l’instant d’avant, tu ne connaissais pas encore une chose, et que soudain, tu l’as trouvée.
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...car peut-être ne vivons-nous tout à fait que quand nous rêvons, parfaitement heureux et parfaitement inertes, contre la personne que nous aimons et avec qui nous venons de faire l’amour, le reste, tout le reste du temps n’étant consacré qu’à tenter de nous fondre dans le troupeau de l’espèce animale humaine, en attendant que la nuit nous avale tous, un par un, et à gesticuler sous les étoiles avec une certaine dignité, certains s’essayant même à « laisser une trace », alors qu’il n’y a aucune différence entre la trace que laisse un lichen arraché du mur et nous, sauf qu’il est un lichen accroché à un mur et que nous nous figurons que les gargouillis de notre âme produisent une certaine harmonie et ont donc une certaine importance, alors que, de toute évidence, nous avons le même destin qu’un lichen qui un jour se met à pousser sur un mur, puis un jour en est arraché. Ce n’est pas vrai que nous nous desséchons en prenant de l’âge. Nous nous détachons simplement de ce qui, pour nous, n’était pas une question de vie ou de mort. Je tente de me rappeler la personne que j’étais avant que l’amour me fasse m’abolir. Je ne m’en souviens plus.
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Je m’allonge. Le sang coule. De plus en plus fort. La douleur monte. Le jour tombe.
La douleur, atroce, me poignarde le ventre puis le dos, comme si mes os étaient comprimés dans un étau. Je me précipite dans la salle de bains, pliée en deux. Je saisis une serviette. Je mords dedans pour ne pas hurler. Je colle mon front contre l’émail froid de la baignoire. J’attrape le petit sac luisant qui vient de tomber de mon ventre. Je crois deviner l’esquisse d’une tête, la forme d’une main. Je le tiens serré contre moi. Longtemps. Je le remercie pour les six semaines passées ensemble où j’ai cru de toutes mes forces à la possibilité de son sourire. Mais cette chanson que je lui ai chantée avant de tirer la chasse d’eau, aujourd’hui encore je ne peux plus l’entendre, car malgré la merveilleuse petite fille qui est arrivée plus tard, il n’y aura jamais de mots pour dire cette horreur-là.
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Je ne me souviens pas de la voix de mon père, de son regard ni même de ce que pouvait bien être l’entendre rire ou partager un bon repas à ses côtés. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai trouvé à loger mon squelette dans le corps des lettres tracées une à une dans des carnets puis dans des livres. Pour donner une représentation aussi imagée que possible de cette forme de vie : mon centre de gravité ne se trouve ni entre mes jambes ni dans ma tête, mais dans l’abîme où je flotte, jusqu’à devenir l’abîme lui-même quand j’écris ou que j’aime - ce qui, chez moi, revient d’ailleurs au même. Cet abîme n’a pas de genre ni de sexe. Je ne me considère pas comme une femme ni comme un homme. Tout au plus suis-je un personnage au sein duquel vivent d’autres personnages, tous parlant entre eux et formant une constellation dont je ne connais pas l’épicentre.
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Lecture par l'autrice Rencontre animée par Alain Nicolas
Camille Cambron est médecin légiste. Elle vit penchée sur des corps démunis et tenus au silence, tout comme finirent par l'être ceux de ses parents, d'éminents neurologues morts tragiquement lors d'une plongée lorsqu'elle était adolescente. Un mail va stopper net l'héroïne : il y est question du crâne volé du peintre Goya que les parents et le parrain de Camille cherchaient inlassablement… Quête et enquête : s'y dévoilent la figure de ces dingues passionnés et passionnants, aimants et troubles, déraisonnables et brûlants. Camille va enfin pouvoir regarder en face un héritage qui l'agissait mais lui échappait jusque-là. le romanesque souffle haut dans Les alchimies, et c'est captivant de bout en bout.
À lire – Sarah Chiche, Les alchimies, Seuil, 2023.
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