Je ne connais pas cet auteur, mais le hasard des algo-rythmes m'a fait mettre les mains sur ce premier roman. Je découvre depuis que l'auteur a produit plusieurs livres, sur la musique et surtout le chant, sujet qui me passionne.
Je vais donc vous exposer les raisons pour lesquelles je vous recommande à l'achat
le Golfeur du Temple.
Le roman démarre avec humour, dans une autodérision et une modestie plutôt rassurantes. J'aurais pu être intimidé par l'auteur et son très haut niveau d'érudition sans sa désinvolture à vagabonder parmi les sujets les plus délicieux, l'art pictural, le cinéma culte, la sculpture de la Grèce antique ! C'est un style littéraire qui me plait, un style survolté, moderne, avec des dialogues de notre temps ; le tout avec l'élégance d'un TGV imaginaire en habit Art Déco. Avec son énergie, sa plume électrique,
Jacques Chuilon enjambe rapidement un sujet puis un autre, sautant souvent dans les flashbacks vers une adolescence difficile avec des histoires absurdes ou inexplicables, garnies d'avalanches de savoir, qui rendent le livre passionnant à tout moment.
Le narrateur est apparemment un peintre passé la cinquantaine. Il habite le Marais. Dans sa vie solitaire, handicapé par la timidité, ses rencontres sociales sont limitées, difficiles. On découvre, avec lui, le sourire maléfique du Golfeur, le beau caissier, gérant d'une mini-buvette, le moment exact où celui-ci prend dans sa main une pièce de monnaie... C'est la madeleine de
Proust de l'histoire : ainsi défilent à travers un amour qui existe et qui n'a jamais existé entre ces deux individus, les souvenirs, les blessures, les déceptions, les rejets qui ont marqués son existence. Ils reprennent vie comme s'ils attendaient la catalyse de ce personnage d'une beauté captivante. Mais reviennent aussi l'incandescence d'images inoubliables de grands films : acteurs et auteurs l'inspirent, et lui permettent de continuer à exister.
Son homosexualité, composante développée dans l'histoire, génère confrontations, hostilité, haine, mais aussi chaleur et tendresse d'hommes qu'il obtient pour le prix d'entrée dans un lieu de rencontres spécialisé : un endroit fréquenté par des gays, des athlètes noirs et musclés, mais aussi par des hommes mariés. L'auteur se sert de ces pièces du puzzle pour nous présenter des points de vue bien argumentés, avec sagesse, sur les problématiques de notre temps : l'égalité, le droit de parole, la trahison, l'acceptation du mariage gay. Sa douleur est exprimée d'une manière que je trouve très touchante, parlant aussi au plus grand nombre, pas uniquement aux homos. Cependant, ce texte restera pour adultes avertis.
Une partie du roman prend l'aspect d'un journal intime dans un déroulement inexorable, mais vers la fin, devenu fantastique, il se débride. Par désespoir ? La dernière possibilité de trouver l'amour ? le lecteur est renvoyé à ses interrogations, ses doutes. Une cérémonie inoubliable, accompagnée de musique, une mise à mort digne des tragédies antiques, me semble témoigner d'une foi inébranlable dans le rituel, dans l'Art. Je pense qu'ils recherchent tous les deux - et le narrateur et l'auteur - la justice et le droit de parole. Pour le narrateur, son témoignage doit être sa véritable récompense. Pour
Jacques Chuilon, sa revanche serait un amour qu'assurément il trouvera auprès de ses lecteurs, que j'espère nombreux.
Laurent Ducasse.