Citations sur Homère est morte... (15)
Finalement, c'était une belle nuit.
E.- Qu'est-ce qu'on peut faire, quand on est si vieux? Je ne suis plus rien.
H.- La nuit tu fais beaucoup de bruit.Beaucoup pipi.
E.- J'ai pas d'autre chose à faire. ( Un temps.) Dommage.
Dommage, ai-je pensé. Nous nous sommes battues cote à côte. Dans une autre pièce, le jour nous aurait trouvées allongées dan les bras l'une de l'autre, pensai-je.
Maintenant ma mère craint ma nuit. On voit rien. C'est pas très clair. Voilà que nous nous figurons tous les deux qu'"Elle" viendra la nuit.
"Tu me laisses pas tomber ! dit ma mère. Tu me laisses pas seule!" Maintenant j'ai aussi peur de la nuit que du jour. Je la laisse calmement endormie à 23 heures, je dors à une allure folle, à 5 heures je parcours le petit couloir, étroit conduit peuplé de spectre et d'illusions, je murmure "maman", que dis-je! "maman" c'est moi, si ma mère vit encore. C'est seulement si j'avais perdu mon vieil enfant que maman ce serait celle que j'appelle à mon secours pour me déterrer de cette enterrement vivante.
Je suis au bord du Temps comme un pêcheur, je surveille ma ligne. On doit cesser de dormir. Rien ne distingue l'heure des autres heures. Comment la reconnaître ? C'est une seconde d'oubli. Un clin d'heure. En vérité c'est celle qui n'a pas lieu. J'imagine qu'elle produit quand même un petit signe de reconnaissance. Je veux saisir l'éclipse. Je scrute. Je ne sais quoi.
Ce matin c'est à la boîte à couture assise dans ton armoire que je me suis désaltérée. Je l'ai ouverte. Elle est pleine de ton fatras antique grands boutons jamais vains, écheveaux fatigués, deux dés, que je passe à mon doigt pour y retrouver ton doigt, vieille alliance en faïence. La boîte est extérieurement en bon état, vieux chien sage qui ne fait pas son âge. Dedans c'est un cerveau qui a perdu le sens de l'ouvrage du temps : on amasse des brins de fils, des épingles, une pression, des bouts de galons, comme si l'on s'attendait à une disette. Ou comme si l'on recueillait compulsivement de pauvres orphelins.
Elle m'aimait. Et voilà qu'elle était elle-même la cause de mes peines et le secours perdu.
Oubli est-il le nom de ce brasier qui me dévore le cœur, et au milieu duquel je pleure ?
la ville d'Osnabrück cesserait de ressusciter, peu à peu je ne pourrai plus y retourner avec délices, Homère est morte
Lorsqu'on écrit Lord Jim ou Macbeth, ce n'est pas dans l'espoir d'inventer les mers multitudineuses pour laver la souillure. C'est pour ériger un monument à la faute, afin de ne pas la fuir dans le péché suivant, la deuxième lâcheté.
La mort ! Je ne savais pas. Cet égarement, cette hagardise du temps, cette goutte qui tombera, la dernière fibre de la corde qui est en condition de rupture fibre à fibre depuis des années, la dernière fibre et c'est encore toute la vie et c'est déjà la mort, une minime oscillation, et l'on sent chacune des milliers de dernières secondes non pas passer, mais éclater, se briser. Ça va si lentement.
La vie cède par millimètre, par jour mince comme une lame de couteau. Cette usure est imperceptible.
Dans ces scènes, la mère c'est la fille, on est à l'envers, celle qui était la mère est l'enfant, la fille c'est la mère qui est encore la fille, la mère est la fille, on naît à l'envers...