«
La rumeur le fracas » est un recueil de poèmes que j'ai pu lire grâce à une opération Masse Critique. Il a été écrit par
Jean-Louis Clarac.
Le recueil se découpe en 4 volets, autant de déclinaisons d'une dialectique tendue entre rumeur et fracas, 4 temps fondés à la fois sur une permanence — 3 éléments « ciel, eau et terre » communs à chacun — et un paysage exploré qui varie : la forêt tout d'abord, le vent, le soleil ensuite, la nuit et le jour pour finir. La première déclinaison nous entraîne dans le sillage d'un marcheur, « à la lisière des pins et des chênes-lièges » (p. 9) La rumeur ou le fracas sont ceux de la mer et l'on parlera de l'un ou l'autre « selon l'écart entre l'eau et nous / le son dans le ton / le mot viendra après » (p. 9) Cela posé, nous explorons l'écart, disséquons la surface et l'envers de la mer, à l'appui de diverses sensorialités.
Ici, l'épure est reine, tant dans le fond que la forme. Cette dernière se veut sobre comme le souligne en toute fin la note qui présente la collection dans laquelle prend place le recueil — « collection poésie XXI » : une typographie dépourvue d'artifices mais mise en valeur — seule concession à la sobriété — par un papier ivoiré et bouffant qui permet « aux mots de reposer sur une surface douce, profonde et bienveillante ». L'auteur écrit une poésie accessible, tissée de mots choisis et agencés avec soin. Sous sa plume, le monde oscille entre rumeur ou fracas et de l'entrechoquement des mots, l'espace qui les sépare ou les relie, les silences qu'ils peignent, naît une vision singulière, un jaillissement de sens, l'inattendu du beau qui se dévoile au détour d'une image.
Après la forêt, sa matérialité qui invite au voyage, le vent, deuxième déclinaison, guide les pas du poète qui l'ont conduit vers une île ; une île et son phare remués par le fracas, rencontre et mariage tonitruants de l'air et de l'eau. Puis le soleil, troisième déclinaison, prend le relai dans sa blancheur minérale, sa torpeur qui fond les éléments et les couleurs en une même unité. Enfin, et c'est là la quatrième déclinaison, la nuit et le jour se fondent et s'emmêlent, peignant une nouvelle dualité dans laquelle rumeur et fracas revêtent d'autres habits.
En toile de fond, fil conducteur en surface et dans les profondeurs marines, s'écrit et s'entend une révolte, sourde et forte à la fois. le poète l'expose page 44 : « Pourquoi écrire seulement mû / Par la beauté des êtres celle des paysages / Est-il seulement pensable de / Taire ou dire que femmes et hommes / Sont écorchés / Par les actions mortifères de l'Homme / Pourquoi dire cela / Oui dire aussi cela » Et sous sa plume prennent vie les migrants, ballotés sur les flots dans de fragiles esquifs, eux qui ont remis leur vie à d'autres mains, des migrants qui pour certains continueront à vivre, pour d'autres mourront, la mer pour seul tombeau, témoin muet de désastres infinis. Entre vie et mort se tient, pour finir le voyage, la mémoire, figure de « Mnémosyne / Blottie / En chacun de nous » (p. 89)
C'est un voyage émouvant auquel nous convie
Jean-Louis Clarac, d'une beauté singulière ; son écriture fait naître en nous de belles fulgurances, entre souvenirs et invitations, élans vers d'autres contrées. L'humain s'invite en creux des paysages dans son ambivalence fondatrice : entre beauté et puissance délétère, la vie s'inscrit et le désir demeure, permanence chevillée au coeur de l'impermanence du monde.
Je tiens à remercier Babelio et
Jacques André éditeur pour ce beau voyage près de la mer, de ses tempêtes et de celles qui chavirent les hommes… en ce compris les lecteurs.