Ce type est de ceux qui sont assez stupides pour juger un peuple d'après ses exploits militaires. Pour ces gens-là, plus des individus ont tués, plus ils sont dignes de respect, d'admiration. Je crois bien que c'est Balzac qui nomme la gloire le soleil des morts. Eh bien mon vieux, je préfère ma peau intacte d'ivrogne crasseux dans l'ombre fraîche d'un tonneau, à la plus glorieuse des carcasses desséchées par le bain de soleil que nous propose ce grand sifflet en culotte de peau ! Ce gaillard-là, c'est le traîneur de sabre modèle 1912, revu 1942.
L'erreur, la sottise, l'absurdité, ce n'est pas la mort de Carento, c'est la guerre. La guerre en soi, dans sa totalité. Carento, comme toutes les victimes de la guerre, est mort pour des industriels, pour des chefs d'Etat, pour des fous d'orgueil... Tu vois qu'il n'est pas mort pour rien. Chaque soldat qui meurt a reçu dans le corps un morceau de ferraille qui a rapporté de l'argent à un fabricant de canons; avec chaque cadavre on enterre un uniforme qui a permis à un père Riter de faire marcher un métier à tisser. La guerre c'est ça.
Avant la première descente, ils se retournèrent. Le vieux n'avait pas bougé. La tête rentrée dans les épaules, le corps légèrement voûté et les genoux fléchis, il avait l'air d'un tronc très court et ébranché, oublié sous les arbres au bord du chemin dont les ornières étaient deux serpents de ciel immobiles sur la terre morte.
Il y avait donc partout, sur chaque coin de terre, un homme que l'autre guerre avait marqué ainsi; un homme qui racontait sans haine véritable, sans tristesse; un homme qui portait, en lui, une guerre vivante, mais une guerre avec laquelle il avait fait amitié comme un malade se lie avec une vieille douleur.
J'ai trop peiné et la fatigue a gagné ma mémoire, qui n'a retenu que l'essentiel de ceux que j'ai trouvés sur ma route : leur mort et ce qui l'annonçait.
Jean Reverzy
Tu sais, dit Carento, j'ai fait la connaissance de plusieurs civils.
Je les ai vus. Ils prétendent que les Boches vont nous ramasser, qu'on est livrés d'avance.
Ils disent qu'à présent on ne peut plus passer par l'Espagne à cause des SS qui gardent la frontière, mais qu'il faut foutre le camp se cacher dans la montagne. Il parait que pas mal de gars sont déjà partis.
Tu sais, dit Carento, j'ai fait la connaissance de plusieurs civils.
Je les ai vus. Ils prétendent que les Boches vont nous ramasser, qu'on est livrés d'avance.
Ils disent qu'à présent on ne peut plus passer par l'Espagne à cause des SS qui gardent la frontière, mais qu'il faut foutre le camp se cacher dans la montagne. Il parait que pas mal de gars sont déjà partis.