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Rentrée littéraire 2021 #34

Virginie. Dans une plantation de tabac en déclin comme toutes celles du secteur à la veille de la guerre de Sécession. le mur de l'esclavagisme commence à s'effriter. Les gros propriétaires sudistes, par incompétence et cupidité, ont travaillé leurs terres jusqu'à leur épuisement, réduits à brader leurs esclaves pour maintenir leur vie de luxe oisif. C'est là qu'est né Hiram, d'une esclave et du maître, d'une Asservie et d'un Distingué si l'on reprend le vocabulaire de l'auteur.

« Et c'est le seul endroit où j'aurais pu l'apercevoir, là, sur le pont de pierre, une danseuse drapée de bleu diaphane, parce que c'est ainsi qu'ils avaient dû l'emmener, quand j'étais petit, à l'époque où la terre de Virginie était encore rouge comme la brique et rouge de vie, et, même si d'autres ponts enjambaient la rivière Goose, c'est celui-ci qu'ils avaient dû lui faire traverser, pieds et poings liés, car c'est par ce pont qu'on accédait à la grand-route qui s'enfonçait en serpentant entre les collines vertes jusqu'au bas de la vallée avant de bifurquer dans une direction, une seule, et cette direction était le sud. J'ai toujours évité ce pont, car il était entaché du souvenir des mères, des oncles et des cousins qui avaient disparu sur la route de Natchez. Mais conscient aujourd'hui du formidable pouvoir de la mémoire, conscient qu'il peut ouvrir une porte bleue menant d'un monde à l'autre, (...), conscient que la mémoire est capable de replier la terre comme un morceau de tissu, (...), je sais aujourd'hui que cette histoire, cette Conduction ne pouvait commencer que là, sur ce pont fantastique entre le pays des vivants et le pays des disparus. »

Ce sont les premières lignes et elles m'ont embarquée direct. La plus belle idée de ce roman est de placer la mémoire au coeur de la question raciale. Hiram possède un pouvoir extraordinaire, mystérieux, lié à l'eau : la Conduction qui lui donne la capacité de se transporter magiquement d'un endroit à un autre. Mais pour activer ce pouvoir, il doit puiser dans son passé, il doit déverrouiller des souvenirs d'enfance traumatiques, il doit se souvenir de sa mère qui lui a été arrachée lorsqu'il avait neuf ans. Et il a tout oublié. Dans la majeure partie du roman, Hiram cherche à comprendre ses mécanismes de déclenchement, les explorer pour obtenir une maitrise totale et s'en servir pour libérer d'autres esclaves, à commencer par sa mère adoptive et son grand amour. Des mentors, blancs ou noirs, seront là pour l'aider, en Virginie ou en Pennsylvanie où il intègre le fameux réseau de l'Undergournd railroad.

Ta-Nehisi Coates déploie une imagination très féconde à partir d'un trope similaire à Underground railroad, roman dans lequel Colson Whitehead poussait brillamment la métaphore du chemin de fer clandestin en imaginant littéralement un vrai train souterrain permettant aux esclaves de fuir vers le Nord. Ici, l'auteur part du mythe des Africains volants ou marcheurs sur l'eau ( des esclaves qui sautaient des navires négriers les déportant en Amérique pour éviter leur sort et qui retourneraient sains et saufs en Afrique ) en l'adaptant en téléportation surnaturelle. C'est très très réussi. Cette touche fantastique apporte une énergie presque optimiste laissant entrevoir une possibilité d'échapper à un destin tragique. Comme si la mémoire avait le pouvoir de vous transporter vers la Liberté, comme si la transmission de chants, de danses nés en Afrique pouvaient être un moyen de survie. Pas de naïveté pour autant. Toute la condition de l'esclave est décrite de façon très réaliste, dure, avec l'autre face de la mémoire, plus sombre, celle qui s'apparente à un abyme qui peut vous engloutir dans le désespoir. J'ai rarement lu un roman qui décrit aussi bien l'horreur émotionnelle de l'esclavage qui sépare des familles.

Le récit est très riche du point de vue romanesque, empli de personnages, de lieux, de cavales, d'histoires d'amour, de trahisons. Chaque chapitre infuse comme un bouillon qui ne sera pas utilisé immédiatement mais beaucoup plus tard. La construction est parfois un peu alambiquée, avec des personnages secondaires pensés comme des outils pour transmettre des thèses. J'ai parfois eu du mal à suivre les mécaniques de l'intrigue, ce qui a pu m'enlever l'immédiateté de mon plaisir de lecture, ce dernier ressortant très souvent lors de scènes lyrico-poétiques absolument superbes et terriblement sensibles.

Malgré ces quelques réserves, La Danse de l'eau est un roman ambitieux et surprenant qui explore l'héritage de l'esclavage en démontrant puissamment que le crime des Etats-Unis n'est pas seulement d'avoir laissé l'asservissement d'humains se perpétrer dès son origine, mais de refuser de regarder son passé en face en luttant contre ses séquelles contemporaines.

Lu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée
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C'est l'histoire d'un jeune esclave, plus communément appelé un "asservi" dans ce roman.
Fils bâtard du maître et d'une mère esclave dont il a été séparé, il un don.
Un talent mystérieux que le réseau, organisme clandestin qui oeuvre pour libérer les esclave, espère qu'il mettra au profit de leur combat.
D'une écriture envoutante, Ta-Nehisi Coates raconte le destin de ces hommes et femme opprimés, assujettis mais déterminés à trouver la liberté.
Plus que les tortures, la douleur la plus criante est la séparation des familles, des époux, des enfants et des parents.
L'auteur hurle cette souffrance là.
Il a des passages poétiques, presque mystiques.
L'écriture est dense, très dense et élégante.
Ta-Nehisi Coates s'est éloigné de la non fiction pour ce premier roman ; c'est une réussite.

Lu dans le cadre du prix du Livre de Poche 2023
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Hiram est né dans une plantation de tabac en Virginie, ce qui veut dire qu'il n'a aucun droit si ce n'est celui de servir son maître.
Le jour où sa mère est vendue sur l'estrade aux esclaves, il se retrouve seul et va devoir apprendre à se débrouiller, jusqu'à ce que Thena, une vieille domestique, le prenne sous son aile.
Au-delà du destin d'Hiram, qui devenu adulte n'aura de cesse de défendre la liberté, Ta-Nihisi Coates nous raconte l'histoire d'hommes et de femmes qui ont passé leur vie sous le joug de l'asservissement. Il met en lumière les liens qui les unissent à travers de beaux personnages.
Nous assistons à l'effroyable lorsque les mères et les enfants sont vendus et séparés à jamais, à l'impuissance des hommes dans l'incapacité de protéger leur famille.
Ce premier roman est bouleversant, mais jamais larmoyant, l'ambiance est parfois envoûtante et on assite à des parenthèses de joies éphémères, traversées par les rires, rythmées par le son du banjo et les danses autour du feu.
« La danse de l'eau » a plus d'un atout dans ses pages : roman initiatique, histoire de l'esclavage, histoire de survie, de courage, d'amitié, de trahison et par-dessus tout une ode à la liberté.


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Le sujet de ce roman est vieux comme le monde,et pour cause...Ta_ Nehsi Coates n'est pas le premier à s'en être emparé mais cette Danse de l'eau apporte une vraie nouveauté. Tout d'abord parceque pour une fois l'histoire est racontée par le lion et non le chasseur ! L'esclavagisme dans le Sud des États-Unis prend donc une couleur bien différente,sans mauvais jeu de mots.
D'autre part, le récit s'articule autour du thème de la mémoire. Celle qui fait défaut parce que pour survivre il faut parfois oublier, celle qui est nécessaire parce qu'elle est collective et porte le devoir de résistance, celle qui fait mal mais qu'il est primordial de dompter pour accéder à la liberté. de très belles phrases jalonnent le récit " nous n'avons rien oublié toi et moi,dit Harriet. Oublier c'est demeurer esclave. Oublier c'est mourir." ou "se souvenir mon ami,dit_elle.Car la mémoire est le pont qui permet de quitter la malédiction de l'esclavage pour rejoindre la bénédiction de la liberté."
Et puis, l'auteur apporte un brin de fantastique,de magie à travers Hiram,le narrateur parce qu'il a justement une mémoire hors du commun. Mémoire dont il va découvrir le pouvoir puisqu'elle va lui permettre le don de " conduction" que je traduirais de façon réductrice par la téléportation. Cela pourrait paraître déplacé face au sujet douloureux de l'esclavage,mais l'auteur qui a beaucoup travailler sur ce thème,souligne que la magie faisait partie du monde des "asservis". La nécessité de l'imaginaire pour conserver l'espoir est un bien commun à tous les peuples opprimés.
Le talent de Ta_Neshi Coates est d'avoir su distiller toute la richesse de ses connaissances historiques tout en écrivant une histoire totalement romanesque. On y trouve l'amour,la trahison,la solidarité, l'action,le mystère,tout est en place pour passionner le lecteur. Et puis je trouve que l'auteur a parfaitement réussi à faire ressentir la violence indiscible faite aux familles. On a tous en tête des scènes d'humiliation lors des marchés aux esclaves,des scènes de violence physique mais peut-être moins du déchirement vécu par tant de familles qui assistaient impuissante à leur dislocation parce que femme, homme et enfants pouvaient être séparés pour être vendus sans aucun espoir de retrouvailles.
Je conclue en disant que je suis surprise du peu de lecteur pour ce très beau roman qui constitue l'un de mes coups de coeur 2021.
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Une étrange alchimie nous emmène dans ce livre étonnant. Dans la lignée des romans américains sur l'esclavage, Coates nous fait découvrir le fabuleux destin de Hiram, né d'une mère esclave et du propriétaire d'une plantation de tabac en Virginie. Lorsque sa mère est vendue, il joue le rôle ambigu de serviteur de son demi-frère blanc et se fait remarquer pour son intelligence exceptionnelle et ses capacités de mémorisation. Tout est posé, sans le moindre misérabilisme : les familles dévastées par les séparations, l'indifférence des maîtres qui deviennent barbares lorsqu'ils s'ennuient, le travail éreintant, les conditions de vie insupportables.
Pendant quelques années, Hiram vit entre deux mondes : celui de ceux qu'il appelle les Distingués et celui des Asservis. Jusqu'à la mort de son frère. Lorsqu'il comprend qu'il sera toujours un esclave, à moins de conquérir lui-même sa liberté.

Cette réalité sordide se décline en même temps qu'apparaît, par petites touches, des bribes de magie, de poésie et de surnaturel qui évoquent le courant du réalisme magique, cher aux auteurs sud-américains. Une poétique de l'eau se met en place, autour de l'image d'une mère rêvée exécutant une traditionnelle danse de l'eau africaine. Et l'on découvre ainsi un singulier pouvoir, celui de la Conduction dont Hiram aurait hérité de sa grand mère. Ce pouvoir, métaphore d'un extraordinaire désir de liberté, permettrait de libérer des esclaves et de leur donner le statut d'Affranchis.
Recruté par un réseau clandestin de libération des esclaves, dirigé par une aristocrate blanche, Hiram va se devouer entièrement à cette cause et apprendre à maîtriser son pouvoir.

Si ce livre est magique, c'est qu'il est terriblement ambitieux et terriblement réussi. Il fallait une grande délicatesse, une sensibilité extrême à la poésie pour réussir le tour de force d'un juste équilibre entre le sordide de l'histoire de l'esclavage et le prodige d'un individu aux pouvoirs surnaturels. Cette divagation romanesque aurait pu faire plonger le roman dans le ridicule., mais elle lui donne au contraire une intensité et une dramaturgie singulières.
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Ta-Nehisi Coates situe son roman vers 1850/1860, à la veille de la guerre de sécession (1861 à 1865) en Virginie. Comme tant d'autres autour d'elle, la plantation de tabac Lockless, qui appartient à Mr Walker est déclinante, car la terre exploitée de façon intensive depuis trop d'années est désormais exsangue. Les petits propriétaires terriens souhaitent maintenir leur train de vie et garder leurs domaines. Mais cela se fait souvent au prix de la vente d'esclaves. C'est ainsi que la mère d'Hiram a été vendue à une autre plantation. Mais lui reste à Lockless, car il est aussi le fils du maître.

Hiram Walker devient le gardien de son frère. Mais pas de n'importe quel frère. Si Hiram Walker est un esclave fils d'une esclave et du maître, son frère Maynard est l'héritier de la maison Walker.

Hiram a des dons et en particulier une mémoire photographique prodigieuse. Il lui suffit d'entendre ou de voir une fois, et tout est gravé à jamais dans sa mémoire. Éduqué avec le fil du maître, il devient très vite son gardien et son protecteur. Même s'il reste à jamais un asservi, alors que Maynard est un distingué.

Car ici, l'auteur ne parle pas de maître ou d'esclaves, de blanc ou de noir, mais de distingués, ce sont les plus ou moins riches propriétaires des plantations ; de blancs inférieurs, ce sont ceux qui supervisent et contrôlent les esclaves pour les blancs supérieurs ; d'affranchis, ce sont d'anciens esclaves, et enfin d'asservis.

Hiram comprend à l'adolescence qu'il a également un pouvoir très particulier, celui de la conduction. C'est la capacité à se déplacer d'un endroit à l'autre en faisant uniquement appel aux souvenirs. Si les premières années ce pouvoir apparaît lorsqu'il est dans des situations dangereuses ou dramatiques, par la suite il se rend compte qu'il est intiment lié à l'eau, cet élément que domptait déjà sa mère lorsqu'elle pratiquait La Danse de l'eau.

Hiram doit apprivoiser ce don mystérieux lié à l'eau : grâce à la Conduction il peut se transporter d'un endroit à un autre. Mais pour que cela fonctionne, il doit se remémorer les souvenirs traumatiques de son enfance et les moments le plus douloureux de son passé, par exemple à chaque fois lui revient le souvenir de sa mère disparue lorsqu'il avait neuf ans, cette mère qu'il voit pratiquer la danse de l'eau.

L'auteur nous propose un roman initiatique d'un genre tout à fait singulier. Un texte hybride entre récit initiatique, histoire de l'esclavage traitée par le point de vue d'un esclave, mais aussi roman qui montre la puissance de la liberté quand elle permet d'échapper à sa condition.

chronique complète en ligne sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2022/07/04/la-danse-de-leau-ta-nehisi-coates/
Lien : https://domiclire.wordpress...
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Ta-Nehisi Coates est un journaliste afro-américain, chroniqueur pour The Atlantic chroniqueur à The Atlantic, qui est devenu grâce à Une colère Noire , l'un des intellectuels les plus écoutés du moment.

Dans la lignée de cette si rageuse et percutante Colère Noire, l'auteur continuait de creuser le sillon de la question de la négritude aux USA avec le grand combat, formidable roman d'apprentissage mais qui restait dans le domaine de l'autobiographie et de l'essai dans lequel il y raconte la naissance de sa conscience politique, héritée de son père ancien militant des Blacks Panthers dans le West Baltimore des années 1980.
Ta-Nehisi Coates change de braquet avec La danse de l'eau, son premier véritable roman.Celui ci , on le voit dès les premières pages, est moins frontalement engagé et plus romanesque et il s'inscrit largement dans la droite lignée de la littérature américaine sur l'esclavage.

The Water Dancer, sorti aux États-Unis en 2019, est publié en français sous le titre La Danse de l'eau.

La destinée d'Hiram , jeune esclave noir, fils illégitime du propriétaire auquel il appartient et dont la mère fut vendue sous ses yeux. et qui se rend compte que ses souvenirs sont porteurs d'un pouvoir magique, la « conduction », nous tient terriblement en haleine.

La destinée surprenante de ce garçon au pouvoir mystérieux, se dévoile peu à peu grâce à la plume parfaitement maitrisée de l'auteur dont le lecteur se délectera avec beaucoup de plaisir
La force de l'eau c'est un un récit d'apprentissage a priori classique qui montre comment on peut échapper à sa condition mais la dimension surnaturelle apporte une poésie et une belle féérie à un discours qui reste engagé et essentiel sur ce qu'il dit sur le racisme.


,L'auteur très reconnu aux USA nous livre ici un roman très réussi fortement mprégné de magie et de réalisme dans un seul et même élan.

La danse de l'eau nous montre bien à quel point aux Etats-Unis, l'histoire des races et celle de l'esclavage sont une seule et même histoire.

La Danse de l'eau est un roman qui rend hommage au courage incroyables des esclaves ainsi qu'une ode à l'imaginaire et au surnaturel.

Un très beau livre de cette rentrée en littérature américaine! Merci à Babelio et aux éditions Fayard !!
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Avant de participer au prix Audiolib, je n'avais jamais entendu parler de ce roman qui m'a fait forte impression, que ce soit en raison des thématiques abordées, des personnages ou de la plume de l'auteur aux qualités littéraires indéniables. Car sans jouer sur le pathos tout en restant proche des protagonistes, et donc des lecteurs, Ta-Nehisi Coates arrive à nous faire ressentir une large et intense gamme d'émotions, de la révolte pure, à l'admiration en passant par la compassion, mais aussi le dégoût de ces hommes qui se sont arrogé le droit de vie et de mort sur d'autres en raison de leur couleur de peau.

Dans ce roman, l'auteur dépeint toute l'horreur d'un système esclavagiste basé sur l'exploitation des Noirs par les Blancs. Des Blancs qui traitent les Noirs comme des bêtes immatures tout juste bonnes à travailler encore et encore pour qu'eux puissent se baigner dans la luxure et l'oisiveté. À cet égard, le demi-frère mal dégrossi d'Hiram est un symbole à part entière. Blanc et fils légitime, il jouit de tous les privilèges que sa couleur de peau lui octroie quand Hiram, fils d'une esclave, doit se contenter de le servir et de veiller sur lui. Une injustice parmi tant d'autres qui m'a révoltée et brisé le coeur.

Racisme, trahisons, mensonges, chasses à l'homme, viols, violences physiques et morales, la pire étant peut-être celle consistant à séparer des familles afin de répondre à la loi de l'offre et la demande comme si un être humain était une marchandise comme les autres… D'ailleurs, ne parle-t-on pas de titre de propriété dans les plantations où sont enchaînés tant d'hommes, de femmes et d'enfants ? Certaines choses sont très dures à entendre, a fortiori quand on sait qu'elles sont tirées d'une histoire pas si lointaine que cela, et que le roman est basé sur la vie d'une famille ayant réellement existé. La danse de l'eau contient néanmoins aussi de beaux moments emplis d'amitié, de solidarité, de complicité, d'amour sous différentes formes, de connivence, d'échanges…

Parmi les personnages, j'ai été particulièrement touchée par Hiram, ce jeune homme courageux et droit qui fera de son mieux pour faire avancer la condition des gens qu'il aime, mais aussi des autres esclaves. Ainsi, après des péripéties et des désillusions, il va intégrer un mouvement clandestin abolitionniste qui n'est pas parfait, mais qui apportera un vent de révolte nécessaire pour briser le mur de l'oppression. Il y rencontrera notamment une figure de la lutte contre l'esclavage, Harriet Tubman impressionnante de détermination ! le réseau permettra également à Hiram de prendre la pleine mesure de sa force et de l'étendue de son surprenant don. Car sa mémoire prodigieuse, qui lui permet de tout retenir, n'est pas son seul et plus grand atout…

Je n'en dirai pas plus sur cet élément original que je n'avais jamais rencontré dans un roman, mais j'ai adoré en apprendre plus sur celui-ci, en tester les limites et découvrir comment il va aider Hiram dans sa lutte pour la liberté. Au fil des pages, le jeune homme gagne en force, mais finit également par réaliser l'importance d'aimer sans avoir envie de posséder, grâce, entre autres, à une jeune femme tout aussi résiliente et déterminée que lui. D'ailleurs, si Hiram se révèle attachant bien qu'avare quand il s'agit de partager ses sentiments, la galerie de personnages secondaires ne manque pas d'intérêt. J'ai, pour ma part, été très touchée par une femme en apparence froide, mais bien plus tendre qu'on pourrait le penser. Plus on en apprend sur elle, son passé et toutes ces épreuves que les Blancs lui ont fait vivre, plus on se prend d'affection pour cette survivante d'un système qui broie tout sur son passage !

Quant à la voix du narrateur, je l'ai trouvée extrêmement fidèle à la représentation que je me suis faite d'Hiram au fil des pages. À moins que ce ne soit le ton posé, mais ferme d'Alex Fondja qui m'ait aidée à former une image précise d'un jeune homme courageux qui s'affranchira d'un système oppressif pour venir souffler un vent de liberté communicatif…

En conclusion, La danse de l'eau est un roman puissant dont le titre prend tout son sens à mesure que l'on se plonge dans l'histoire d'Hiram, un jeune esclave qui va affronter bien des épreuves avant de s'approprier son don unique et un passé qui s'était dérobé à sa mémoire. Intense et parfois très dur de par la violence historique à laquelle il nous confronte, ce roman n'en demeure pas moins porteur d'espoir et de beaux instants d'amitiés et d'amour sous différentes formes. Une histoire de courage conjuguée au pluriel et de lutte pour la liberté !
Lien : https://lightandsmell.wordpr..
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Si je commence par vous dire que ce roman est un roman sur l'esclavage, vous risquez de me dire, « un de plus ». Et c'est vrai la littérature américaine s'est emparé du sujet depuis longtemps. Pourtant Ta-Neishi Coates réussit le pari d'apporter quelque chose de nouveau. Lui que l'on connait pour ses essais passe de la non-fiction à la fiction avec beaucoup d'ambition.

Nous sommes dans la Virginie d'avant-guerre civile, dans une plantation de tabac appelée Lockless. La splendeur de Lockless et de ses voisines commence à pâlir : les propriétaires, par un mélange d'incompétence et d'appât du gain, ont travaillé leurs terres jusqu'à épuisement et ils en sont désormais réduits à brader leurs esclaves pour maintenir leur train de vie.
C'est un monde très hiérarchisé. Au sommet se trouvent les Distingués, propriétaires de terres et d'esclaves sur lesquels ils ont le pouvoir de vie et de mort. Viennent ensuite les blancs inférieurs, pour la plupart sans instruction, employés par les Distingués pour superviser les plantations et contrôler les esclaves. Après eux, il y a les Affranchis, d'anciens esclaves qui ont pu acheter leur propre liberté. Tout en bas se trouvent les Asservis, les esclaves.
Hiram Walker, est un Asservi. Enfant d'une esclave et du propriétaire de Lockless.
Il a le don de mémoire, la capacité à se souvenir de tout ce qu'il voit, entend et lit. Pourtant il ne se souvient pas de sa mère, vendue par son père quand il avait neuf ans. Mais Hiram a un autre don. Un don qu'il a du mal à comprendre et à maitriser, le don de la « conduction ». Au contact de l'eau, Hiram peut se transporter et transporter d'autres personnes sur de grandes distances.
Engagé par le réseau clandestin de libération des esclaves, Hiram va vivre de nombreuses aventures et petit à petit apprendre à apprivoiser la « conduction ».

Ta-Neishi Coates introduit une part de réalisme magique dans les récits habituels sur l'esclavage et met l'accent tout au long de son roman sur la séparation déchirante des enfants de leurs mères, des maris et des femmes, des familles de façon générale.

L'invocation de sentiments personnels, de foi ou de mémoire pour accéder à des pouvoirs surnaturels est un trope déjà vu en fantasy mais rarement dans de la littérature blanche. Et pour Coates, se souvenir n'est pas seulement un processus personnel - cela implique de puiser dans le collectif, dans la douleur des générations.

L'auteur nous offre un tableau subtil de l'esclavagisme dont les répercussions continuent de tourmenter l'Amérique contemporaine.
J'ai vu des symboles partout dans ce roman, à commencer par le nom du personnage principal (si vous ne savez pas qui est Hiram, je vous laisse faire vos petites recherches personnelles).

Magnifiquement écrit, « La danse de l'eau » est un premier roman remarquable, au rythme soutenu et avec un petit quelque chose de différent qui le distingue vraiment de tout ce que j'ai pu lire sur le sujet auparavant. On comprend aisément à sa lecture que Brad Pitt travaille à l'adaptation cinématographique et je suis vraiment surprise de l'avoir peu vu chroniqué sur Babelio..

Traduit par Pierre Demarty
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Mémoire, identité et liberté

Il fallait faire preuve d'une grande originalité pour écrire sur un thème maintes fois martelé.
En introduisant une dose de fantastique en hommage aux contes et légendes africaines, Ta-Nehisi Coates réussit parfaitement son pari.
Il parvient ainsi à capter notre attention sur les ravages de l'esclavagisme à l'aube de la guerre de sécession.
Un roman bien documenté notamment sur les réseaux clandestins qui ont beaucoup oeuvré pour rendre leur liberté aux esclaves mais qui interroge surtout sur l'intégration de toute une communauté dans la société américaine contemporaine.










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