"Pensez à ce que je vous ai dit : je DOIS être blond. Je DOIS avoir les yeux bleus. Je DOIS être vif. Elancé. Dur. Coriace. De l'acier de Krupp. Je suis l'enfant du futur. L'enfant conçu sans amour. Sans Dieu. Sans Loi. Sans rien d'autre que la force et la rage. Heil Hitler!"
19 avril 1936. Bientôt minuit. Je vais naître dans une minute exactement. Je vais voir le jour le 20 avril. Date anniversaire de notre Führer. Je serai ainsi béni des dieux germaniques et l'on verra en moi le premier-né de la race suprême. La race aryenne. Celle qui désormais règnera en maître sur le monde. Je suis l'enfant du futur. Conçu sans amour. Sans Dieu. Sans Loi. Sans rien d'autre que la force et la rage. Je mordrai au lieu de téter. Je hurlerai au lieu de gazouiller. Je haïrai au lieu d'aimer. Heil Hitler !
Je sais qui sont ces bébés. Je sais comment ils ont été fabriqués. Je sais qui les a fabriqués, qui a demandé qu'on les fabrique, qui les a triés pour ne garder que les plus réussis. Je sais où vos soldats peuvent en trouver d'autres. Je sais tout. J'ai été le premier de ces bébés.
« Je suis l’enfant du futur. L’enfant conçu sans amour. Sans Dieu. Sans loi. Sans rien d’autre que la force et la rage.
Heil Hitler! »
Exercice de maniement du couteau. La cible sur laquelle nous nous exerçons n'est pas un disque où sont tracés une succession de cercles concentriques. L'instructeur en a fait fabriquer une spécialement pour notre groupe, afin de nous motiver tout en nous amusant. C'est une silhouette d'homme, grandeur nature. Elle représente un Juif. Un vieux Juif au nez plongeant sur la bouche, vêtu de hardes noires et crasseuses, aux doigts crochus en forme de pinces. Il a un abdomen difforme et, à la place du coeur, une grosse pièce d'or. C'est bien évidemment cette pièce que nous devons viser si nous voulons réussir notre tir. (p. 294)
- Hé ! Tête de Mort ! Tu sais ce que c'est, une librairie ?... Tu sais à quoi ça sert, les livres ? Ça sert à être lus, pas à être brûlés comme le font tes potes en hurlant comme des sauvages.
-Je crois bien que... que c'était ta mère, murmure Lukas d'une voix brisée. J'ai... J'ai beaucoup de chagrin pour toi.
-...
Je réfléchis. Est-ce que j'ai du chagrin ?
Non.
Elles crèvent toutes, les mères ! Celles qui ont élevé leurs enfants, comme Lukas et Manfred, et celles à qui on a enlevé leur enfant.
Les mères sont kaputt !
C'est la guerre.
"Avant l'arrivée des Russes, on tremblait. On se les figurait comme des monstres. Or, ce sont juste des hommes. (Peut-être après tout que "homme" et "monstre", c'est la même chose ?)"
Mon petit bras droit était tendu comme un arc. Et je prononçai enfin mes premiers mots :
- Seig Heil !
Et je crois bien qu'en temps de guerre, pour un enfant, les années comptent double. (p. 469)