Voir ce visage sur des épaules si admirables qu’un sculpteur eût sans doute désiré les avoir pour modèle ; avoir été séduit par les gestes discrets et gracieux que laissait deviner la perfection des bras et des jambes, et sentir une véritable répulsion devant l’air et les traits masculins du visage, cela vous donnait une sensation ressemblant étrangement à celle, extrêmement désagréable, que nous connaissons tous, lorsque, pendant notre sommeil, nous ne parvenons pas à nous expliquer les étranges contradictions d’un rêve.
Lire ? Il ne faut pas y songer ; aucun livre ne peut fixer mon attention. Tâchons plutôt d'écrire jusqu'à tomber d'épuisement. Je vais essayer de mettre à jour mon journal délaissé depuis le mariage de Laura.
Le vent souffla avec rage toute la nuit, et l'on entendait d'inquiétants craquements un peu partout dans la maison. Je dormis aussi mal que possible, et c'est de fort mauvaise humeur, le lendemain matin, que je descendis prendre mon petit déjeuner.
« Cette histoire montre avec quel courage une femme peut supporter les épreuves de la vie et ce dont un homme est capable pour arriver à ses fins. » (p. 7)
Nous nous trouvions totalement isolés dans notre cachette, comme si la maison où nous habitions s'était trouvée sur une île déserte et que le lacis des innombrables rues qui l'entouraient, grouillante de monde, eut été une mer infinie.
Qu'avais-je fait ? Aidé à fuir la victime d'un horrible emprisonnement injustifié, ou abandonné aux hasards de la grande ville une pauvre créature incapable de se diriger ? Je n'osais y penser.
Le train me déposa à Welmingham en début d'après-midi. En traversant les rues de cette petite ville morose, je me demandai si elle n'aurait pas pu rivaliser avec succès avec des déserts d'Arabie ou avec les ruines de Palestine, tant elle semblait désolée.
Peu importe son génie, déclara-t-il d’un ton rude, dans notre pays, nous ne voulons pas d’un génie sans respectabilité
Ne voulant en dire plus long, je me suis levée pour sortir. J’étais hantée par des pensées que je n’aurais pu lui cacher plus longtemps et qu’il aurait été dangereux pour elle de connaître. Je restais sous l’emprise de mon cauchemar, et le récit de Laura ne faisait qu’augmenter mon effroi. Je pressentais des choses effroyables qui nous menaçaient, je voyais se dessiner dans la tourmente qui nous environnait ce dessein caché dont m’avait parlé Hartright en rêve. Je le revoyais, lors de nos adieux à Limmeridge ; je le revoyais tel qu’il m’était apparu en songe, et je commençais à me demander à mon tour vers quel abîme les événements nous entraînaient.
Là, derrière moi, au milieu de la route déserte qui se détachait plus claire dans la nuit, se tenais une femme sortie de terre comme par miracle ou bien tombée du ciel. Elle était tout de blanc vêtue et, le visage tendu vers moi d'un air interrogateur et anxieux, elle me montrait de la main la direction de Londres. J'étais bien trop surpris de cette soudaine et étrange apparition pour songer à lui demander ce qu'elle désirait.