Elles sont « la première fois » de l’une et de l’autre, et cela a quelque chose d’imprévisible. Amantes qui ne connaissent pas la chair et sœurs qui ne partagent pas le même sang : que peuvent-elles faire de cela ? Elles se découvrent, chaque jour.
Jeanne porte le collier à ses lèvres et l'embrasse.
"Votre nom a connu chacun de ses grains", murmure la religieuse.
Ni l'une ni l'autre ne réfléchissent à la nature de leur lien. Il est unique, et peut-être d'un autre monde.
Je n'ai pas connu le coup de foudre, ce rapt dont tous les livres parlent. Vous êtes venue sur la pointe des pieds me rendre visite. Votre apparition a été, pour moi, une chose à la fois attendue et surprenante. Sans doute est-ce ce qui définit la « rencontre » : je ne vous connaissais pas mais vous m'aviez manqué.
C'est la nuit.Elle respire avec peine.Les draps ont chevillé son corps et une peur familière s'est emparée de sa gorge.Sa trachée est un amas de noeuds,l'air s'engouffre dans quelques passages qu'il lui reste.Elle appelle mais le couvent dort.Soeur Anne tape contre le mur et le rebord de son lit.Ses pieds écrasent le matelas et les larmes l'oreiller.Soeur Irène,sa voisine de chambre lui apporte un verre d'eau.C'est une vieille soeur qui connaît ces terreurs.Elle n'est pas surprise de voir que rien n'y fait.Les larmes couleront jusqu'au bleu du petit matin.À l'étage Jeanne l'écoute.
L'heure défile,les pleurs ont cessé mais la postulante reste allongée sur le sol,l'oreille contre le bois qui grince,et guette.Les sanglots de soeur Anne résonnent encore.Jeanne décide de tremper l'un des gants pliés dans son armoire et de la rejoindre.Les gonds crissent et elle croit réveiller la terre entière.( Page 78/79).