Citations sur Mourir au monde (35)
La religieuse, enfin, regarde sa postulante. La jeune fille baisse les yeux. Le froncement de ses sourcils trahit une fonne d'inquiétude.
« C'est tout ? demande Jeanne.
~ Cela vous fait peur ?
- Un peu. C'est éblouissant. J’ai entendu cet appel, ma Sœur. Et si, un jour, je ne l’entendais plus ? Que faudra-t-il que je fasse pour y être fidèle alors que je ne m’en souviens plus ? »
Le jour a maintenant gagné les champs. Au loin, le bruit des voitures qui passent. L’extérieur parle mais elles n’entendent rien. Il n’y a que cette question qui persiste.
«Vous répondez à un appel en vous oubliant, Jeanne. Si vous dites oui au Christ, vous ne vous appartenez plus. Vous perdez votre vie. Ce n'est pas un sacrifice dont vous devez vous enorgueillir. C’est une promesse. »
Il n'y a pas de gloire à en tirer. La vie religieuse sonne une fin.
« C'est mourir au monde. »
Il y a ensuite une renaissance.
A force d’y penser, Jeanne en est venue à la conclusion que la foi est, pour elle, un don. Pour d'autres, elle est ce que l'on espère. Bien que désarçonnée par celle qui aurait dû l'ancrer dans sa nouvelle vie, la postulante choisit de la contempler. Elle soignerait celle qui espère.
Ainsi que les vagues se brisent à l'approche d'une plage, votre élan peut se dissoudre dans le sable de l'habitude.
"Que retient-on de la nuit ?", lui a un jour écrit Sœur Anne. "L'aurore", a répondu Jeanne.
(P.120)
Vous avez répondu à un appel et, aujourd’hui, vous ne l’entendez plus. Le doute a pris le dessus mais il a toujours été là. Simplement, vous aviez jusqu'à présent choisi de croire qu'il existait quelque chose de plus fort. Vous avez fait un acte de foi. Il faut le renouveler.
- Je n'y arrive pas. Peut-être que j'ai bien reçu l’appel de Dieu et que je n'ai plus la force d'y répondre...
- Vous devez avoir confiance. Si vous n'avez plus la force d'y répondre, vous devez prier Dieu. Vous devez Le supplier, même. Si votre cœur Lui appartient toujours, vous discernerez le chemin qu'Il a dessiné pour vous. Sinon, Il n'est ni Dieu, ni Père.
L’éclat des yeux de Jeanne dénote une joie intense. Ce couvent que connaît si bien la religieuse est un trésor pour sa postulante. Peu à peu, elle y invente sa vie. Le soir, elle se le répète : «Je vis ici, désormais, et je suis heureuse. » La tranquillité de son esprit gagne le couvent. Celles qui l’approchent se souviennent de la raison pour laquelle elles sont rentrées. Rencontrer Jeanne revient à renouer avec sa vocation effacée par l'habitude. Sœur Anne, elle, apprend lentement à se soucier d’une autre, et sent poindre une forme d'affection dont le sentiment lui est si étranger qu'elle préfère l'ignorer.
Elle préfère la nuit parce qu'elle ne s'y cache pas. Elle la connaît par cœur. Ses recoins les plus sombres sont ses oasis. Ses silences la bercent. Ses étoiles la dérangent. Elle aime la pénombre absolue, épaisse, secrète. (P.79)
La chapelle est droite, ferme, anguleuse. depuis deux siècles, elle tient bon. Son corps n'a pas vieilli, il est tenace. La couleur de ses vitraux est vive et éclaire la croix de l'autel qui porte la prière des disparues, console le supplice des vivantes et embrasse les autres. Celles qui, le pied sur un fil de soie, titubent. Celles qui entendent le cri des damnés et le rire des bienheureux, et qui ne savent pas choisir. Leurs spectres se confondent dans son ventre géant. La chapelle est une ombre froide. Elle avale l'angoisse et ne la recrache jamais. Elle impose son silence.
Indifférente, Jeanne joue. (P.44)
[...]
"C'est vraiment une jolie mélodie. Vous avez comme réveillé la chapelle. Je ne l'ai jamais vue si vivante."(P.49)
L'orgueil [c'est] de toujours croire qu'on a quelque chose de plus beau à dire que le soleil qui se couche.
Soeur Anne se roule dans les draps,souffle sous cette tenté improvisée. De l'air .De l'air chaud.Il faut remplir, s'entendre respirer.Remplircla nuit.Elle perçoit le sifflement lointain d'un train.
Quelque chose hurle. Une plainte.
Le train entre en gare.Elle entend 《 au revoir》.Sur le quai ,elle est seule ,sa petite valise à la main .Elle est jeune. Elle est belle.Elle sera religieuse.Les wagons défilent ,passent sans que le moindre regard se pose sur elle .La gare est grise .Soeur Anne avance ,sourire aux lèvres, parfaitement convaincue.Sa vie commence.( Page 11).