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EAN : 9782258153127
1 pages
Presses de la Cité (19/09/2019)
4.07/5   27 notes
Résumé :
Berlin, 1939. Avant que l’Europe plonge dans le chaos, Hannah Rosenthal, douze ans, avait une vie de rêve. À présent, après avoir vu de menaçants drapeaux envahir les rues et assisté à la longue descente aux enfers des siens, elle erre en ville en compagnie de son ami Leo. Survivant tant bien que mal, les deux adolescents et leurs familles cherchent à quitter le Reich par tous les moyens. L’espoir renaît bientôt sous la forme du Saint-Louis, un paquebot transatlanti... >Voir plus
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La Passagère du Saint-Louis est un roman tragique et bouleversant. L'histoire d'Hannah m'a beaucoup touchée, ainsi que celle de son homonyme américaine et contemporaine, Anna.

Deux petites filles de douze ans que soixante-quinze années séparent. Soixante-quinze ans de souffrance pour l'une, seulement douze pour l'autre, s'il est possible de s'exprimer ainsi.

Hannah avait douze ans en 1939, Anna en 2014. Deux petites filles qui souffrent pour des raisons différentes et dont la route va se croiser. Quel est ce lien qui unit leurs destins tourmentés ? J'ai deviné la réponse au fil des pages de ce roman qui m'a captivée et émue tant l'histoire racontée est poignante.

J'ai découvert La Passagère du Saint-Louis grâce à une critique émouvante de mon ami babeliote Kielosa. Je m'attendais donc à une histoire forte mais j'ai été touchée par ce roman au-delà de ce que j'imaginais en le commençant.

Je ne connaissais pas la tragédie des passagers du Saint-Louis et de leur capitaine Gustav Schröder. Passionnée d'Histoire mondiale récente, j'ai eu envie de lire ce livre qui la fait sortir de l'oubli. La honte qui pèse sur les pays concernés (Cuba, les États-Unis et le Canada) explique peut-être ce silence, de même que le désir de ne plus en parler des survivants afin de pouvoir avancer, tenter de tourner la page.

En novembre 1938, après « la nuit de cristal », où les commerces juifs sont attaqués et les citoyens allemands de confession juive battus, arrêtés voire tués, les parents d'Hannah comprennent que l'heure est grave, leur vie est menacée, ils sont indésirables, désignés comme de la vermine, il faut tenter de fuir et acheter des capsules de cyanure, au cas où… pour mourir avec dignité, ne pas laisser le bourreau vous déshumaniser, choisir, affirmer son ultime liberté face à la cruauté de certains êtres humains qui ont pris le pouvoir et érigent de nouvelles lois...

Hannah, du haut de ses douze ans, perçoit les nazis au gouvernement comme des « Ogres », c'est ainsi qu'elle les nomme. du plus profond de son coeur, elle désire vivre une vie normale mais devine que ce n'est pas possible, qu'elle n'a pas le choix.

Armando Lucas Correa n'a pas choisi cet âge au hasard. Douze ans, c'est l'âge où l'on est encore enfant tout en comprenant les horreurs et les abjections du monde des adultes, l'infâme marchandage dont ses parents sont les victimes. S'ils avaient été pauvres, les Ogres les auraient tués tout de suite mais ils ont un appartement, des immeubles etc. S'ils cèdent leurs biens, peut-être auront-ils la vie sauve, ils ont en tout cas le droit d'embarquer sur le Saint-Louis, censé les amener à Cuba. Ils doivent payer aussi le prix du billet retour, alors qu'ils ne sont pas censés revenir…

Tant d'ignominie soulève le coeur ! Que Cuba, les États-Unis et le Canada aient fermé la porte à ces désespérés, promis à une mort certaine, qui erraient dans l'Océan Atlantique, avec pour seule protection le capitaine du navire, ne les honore pas.

Il aura fallu attendre 2009 aux États-Unis et 2011 au Canada pour que cette tragédie honteuse sorte de l'ombre. La Grande-Bretagne, la Belgique et la France avaient finalement accueilli ces exilés politiques. Ceux qui ont débarqué en France ont été raflés et déportés le 16 juillet 1942, lors de la rafle du Vel' d'Hiv', organisée par la gendarmerie française en collaboration avec les autorités allemandes nazies de l'Occupation.

« Tant pis si tout ce que nous avons souffert est oublié. Ça ne m'intéresse pas de me souvenir », dit Hannah. Cette phrase résume assez bien la douleur des survivants et la réponse à la louable proposition du Secrétaire d'État américain, en 2012, qui les invita dans ses bureaux afin qu'ils puissent raconter leur histoire.

Armando Lucas Correa, journaliste et écrivain cubain qui vit à Manhattan, dédie ce roman à ses trois enfants et à deux passagers du Saint-Louis qui avaient l'âge de ses enfants lorsqu'ils ont embarqué dans le port de Hambourg en 1939: Judith Köppel Steel et Herbert Karliner. C'est sa grand-mère qui lui a parlé la première lorsqu'il était lui-même enfant de cette tragédie. Ils avaient un voisin juif, injustement surnommé « le nazi » car il venait d'Allemagne.

Ce roman poignant ne parle pas que de cette traversée. Il est riche de plusieurs thèmes, au-delà de la souffrance et du deuil, il évoque aussi l'amour d'une fille pour son père disparu, les rêves que nous faisons, comme Hannah et son ami Leo, pour tenter de faire face à l'indicible et l'horreur, les promesses qui donnent du courage, les stratagèmes que nous mettons en place pour affronter les rudesses de l'existence, comme lorsque Anna parle à la photo de son père et s'imagine qu'il est toujours là, vivant peut-être sur une île, Cuba…

Armando Lucas Correa est un humaniste qui analyse bien le drame de l'exil, l'écart qui se creuse entre les générations, entre ceux qui vivent dans le passé et ceux qui ne l'ont pas connu et ne se considèrent plus comme des exilés mais comme des citoyens à part entière du pays d'accueil.

Lorsque Gustavo, le frère d'Hannah, s'engage dans la révolution cubaine, Alma, sa mère, ne le comprend pas. de quoi se mêle-t-il ? Elle n'y voit qu'un éternel retour de la violence et un nouveau pouvoir qui désigne lui aussi « les indésirables », la « vermine », cette fois-ci non sur des critères raciaux ou physiques mais intellectuels, il faut rééduquer leur esprit dans des camps. Gustavo ne comprend pas l'immobilisme de sa mère et de sa soeur.

Dans ce roman, j'ai découvert les persécutions dont les témoins de Jéhovah avaient été victimes, aussi bien pendant la Seconde Guerre mondiale, où, dans les camps, ils portaient un triangle violet, qu'après la révolution cubaine où leur religion n'était pas autorisée.

Armando Lucas Correa, en suivant Hannah sur plusieurs générations, de 1939 à 2014, donne une portée à la fois universelle et contemporaine à son roman. L'Histoire n'est-elle qu'un perpétuel recommencement ? Combien de temps encore des enfants devront souffrir à cause de la violence, de la guerre, de la désignation de « l'ennemi à abattre », des « indésirables », de la « vermine » et des manipulations qui consistent à persuader des désespérés que s'ils éliminaient telle cible, tout irait ensuite beaucoup mieux.

Ce roman m'a beaucoup touchée et je me souviendrai longtemps du final poignant qui m'a fait méditer : pourquoi tant de vies gâchées ?
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Sur le dernier paquebot quittant en 1939 Hambourg avec 937 réfugiés à bord, il y avait un Juif autrichien, F.S., que j'ai bien connu personnellement, pendant plusieurs années. Bien que je susse qu'il n'avait pas de parents et qu'il vivait tout seul dans un appartement à Bruxelles, je préfère par respect pour sa mémoire utiliser ici ses initiales. Il était le représentant de différentes organisations internationales dans le secteur des transports et s'est comme tel que j'ai fais sa connaissance et que nous avons sympathisé. Juste avant de mourir, il avait demandé à son assistante particulière d'organiser après son décès dans un des meilleurs restaurants de la capitale belge un repas pour ses meilleurs amis : nous étions cinq, parmi lesquels le haut fonctionnaire d'une institution mondiale, qui était venu spécialement pour l'occasion de New York.

Lorsque j'ai lu, en 1977, l'ouvrage de Gordon Thomas et Max Morgan-Witts "Le voyage des damnés" sur l'odyssée du Saint-Louis d'Hambourg à Hambourg, j'avais remarqué le nom de F.S. sur la liste des passagers. Mon ami, dans un premier temps, niait qu'il s'agisse de lui et disait que ce nom était fréquent avant la Deuxième guerre mondiale en Europe centrale. Plus tard, il l'a admis tout en me prévenant qu'il ne souhaitait absolument pas en parler.

Probablement que beaucoup d'entre vous ont vu le film avec le même titre de Stuart Rosenberg de 1976 avec dans les rôles principaux Faye Dunaway, Anthony Higgins, Orson Welles et Fernando Rey. L'acteur suédois, Max von Sydow, y incarnait avec conviction le rôle du courageux Capitaine Gustav Schröder. Si ce n'est pas le cas, je vous conseille vivement de le regarder, il en vaut la peine comme histoire et comme document humain.

En annexe au présent ouvrage figure la liste des passagers du Saint-Louis, telle qu'elle est conservée au musée du mémorial de l'holocauste des États-Unis à Washington. Parmi les Blumenstein, Friedheim, Weil, Schwarz, etc. figure sur les 8 pages de photocopie des signatures des passagers bien celle de mon ami ( à la page 5, 1re rangée).

Quatre mois après la fameuse nuit de cristal du 9 au 10 novembre 1938, où éclatèrent en petits morceaux les vitrines et fenêtres des commerces juifs, la famille du professeur juif, Max Rosenthal à Berlin, réalise qu'il est grand temps de lever l'ancre pour de bon. Une décision qui rend son épouse Alma Strauss malade et contrarie grandement leur unique fille Hannah de 12 ans. Hannah est une petite blonde aux yeux bleus au physique tellement peu juif qu'un beau jour sa photo figure en couverture du magazine de propagande nazie "Das Deutsche Mädel" ou la fille allemande, d'où le titre original du livre "The German Girl".
Son père a perdu son job de prof à l'université de Berlin et sa mère n'ose plus sortir. Heureusement que Hannah a un excellent ami dans la personne de Leo, qui est un vrai boute-en-train et qui a gardé malgré toute la misère environnante un certain sens d'humour.

En fait, l'ouvrage d'Armando Lucas Correa est subdivisé en 2 parts avec des chapitres brefs qui se succèdent. Chaque partie est consacrée à une héroïne. La première à Hannah Rosenthal à Berlin en 1939 et la seconde à Anna, une descendante de 12 ans, à New York en 2014. le voyage proprement dit forme un chapitre à part. le livre compte plus de 350 pages.

C'est à New York qu'habite d'ailleurs l'auteur depuis 1997 avec sa compagne et leurs 3 enfants, mais il est né, en 1959, à Cuba à un endroit de triste réputation à cause des Yankees et leur prison : Guantánamo ! Armando Lucas Correa a une licence en art du théâtre et a déjà une belle carrière derrière lui comme journaliste et critique littéraire entre autres à La Havane. Son nouveau roman vient tout juste de paraître "La hija olvidada" ou la fille oubliée. En Anglais "The Daughter's Tale".

Peu avant le départ, Max Rosenthal est arrêté et malmené au poste des chemises brunes, une tactique pour faire pression sur la riche famille Strauss et préparer le terrain du vol perfide de tous leurs biens.

Le samedi 13 mai 1939, le paquebot quitte Hambourg pour une traversée de l'Atlantique de 2 bonnes semaines. Hannah est contente de retrouver Leo à bord et favorablement impressionnée par le capitaine Schröder.
Pour les jeunes l'aventure sur ce palais flottant avait commencé. Première escale en France : Cherbourg.
En même temps 2 autres bateaux étaient en route pour La Havane avec le même genre de passagers : un britannique "l'Orduña" et un français "Le Flandre". le 15 mai, un câble arriva de la compagnie maritime intimant le capitaine de ne pas traîner, car la situation à Cuba devenait "tense".

Au cours du voyage, les autorités cubaines avaient tout simplement invalidé les certificats de débarquement délivrés par leurs consulats et dûment payés. En plus, les réfugiés devaient payer une espèce de garantie de 500 dollars, somme qui dépassait largement le montant que les nazis leur avaient permis d'exporter. Uniquement une vingtaine a pu débarquer à La Havane et le Saint-Louis a été sommé de partir, le 2 juin 1939. le capitaine a multiplié les efforts en vue de trouver un autre pays centraméricain qui les accepte. Aucun ! le 4 juin, le bateau qui se trouvait dans la mer des Caraïbes fût interdit accès aux États-Unis et au Canada.

Il ne restait comme option que le retour vers l'Europe. Schröder a alors tout fait pour éviter que les Juifs ne soient obligés à retourner en Allemagne, sachant ce qui leur y attendait. le 10 juin, la Belgique fut le premier pays à marquer son accord pour accueillir un nombre d'entre eux. Finalement, l'Angleterre en accepta 282, la France, la Belgique et les Pays-Bas chacun 200. Mon ami a été chanceux de faire partie du contingent britannique et d'avoir pu aller travailler peu après en Amérique.

Je vous ai esquissé le contexte historique de cette affaire dramatique, à vous de découvrir que sont devenus la petite Berlinoise, ses parents et son ami Leo. Puis, il y a l'histoire d'Anna et sa rencontre avec la nonagénaire Hannah. Armando Lucas Correa a des talents de raconteur et captivera votre attention sans problèmes et sans erreurs historiques factuelles.
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«  Mon coeur s'ouvre à ta voix , comme s'ouvrent les fleurs aux baisers de l'aurore » .
«  Cette Bague nous unirait jusqu'au bout , ce petit écrin bleu indigo , jusqu'à ce qu'on ait quatre- vingt - sept ans »....

Deux extraits de ce très beau roman inspiré de faits réels , entre passé et présent , de 1939 à 2014 , deux petites filles de douze ans Hannah en 1939 et Anna en 2014 , que tout sépare pourtant !
L'histoire émouvante , bouleversante , prenante, nous est contée avec brio, tendresse, cette quête d'une terre d'accueil a une portée universelle , symbolique , unique, une terrible odyssée , ode nécessaire , destin d'une famille malmenée, ode à la LIBERTÉ et à la solidarité ...

À l'aide d'une très belle plume , de chapitres brefs , bien construits, nous plongeons au coeur de l'histoire poignante , bouleversante de la famille Rosenthal, ces juifs aisés étaient indésirables , «  les Ogres » leur imposaient de céder leur immeuble , tous leurs biens et quitter le pays, en 1939, à cause de l'hydre nazie , cette nuée de drapeaux menaçants.

L'espoir renaît lorsqu'un paquebot les embarque vers Cuba , puis les Etats - Unis , en principe , le 13 mai 1939 : à son bord 231 membres d'équipage et 899 passagers dont une grande majorité de réfugiés juifs allemands .
À prix d'or Hannah , son père , éminent professeur d'université , sa mère , la belle Alma , son ami Léo embarquent .....

L'exil est leur dernière chance .

Ils sont refusés à Cuba, les autorités cubaines refuseront le droit d'accoster malgré des négociations .
Le bateau n'avait pas d'autre choix que de retraverser l'Atlantique et de regagner Hambourg ....
Mais tout sera tenté pour ne pas renvoyer ces populations en Europe où ils risquaient le pire ...
Au fil des pages se dessine le destin douloureux de la famille Rosenthal, elle est séparée , seule Hannah et sa mère survivront , d'autres réfugiés préféreront se donner le mort, Hannah , jeune adolescente que l'on suivra jusqu'à sa mort dans une vie sans charme qui lui a fait perdre toute chance , son frère Gustavo , il participera aux grands bouleversements de cette île tumultueuse : Cuba, la haine contre les sectes religieuses comme les témoins de Jehovah, déportés à Auschwitz , semblable à la famille de monsieur Albert .
Douleurs , émotions fortes , recherches , l'auteure met en lumière toute une période sombre de l'Histoire .
Un roman instructif , enrichissant à propos de l'exil et de ses difficultés , la rencontre entre tante Hannah, et Anna ......

Un livre magnifique : perte , quête , bouleversements , douleur , froide sérénité , amour filial , adaptation bancale à une nouvelle vie dans un pays que l'on avait pas choisi et bien d'autres contenus essentiels , éclairants , restrictions, haine des étrangers , divisions , rituels, couleurs et odeurs puissantes de la Havane ...révolution , combat ....

Un coup de coeur ,pourtant 409 pages !

«  Je ne crie pas, je ne verse pas une larme ,pas plus que je ne les implore pour rester près de toi, sur le SAINT- LOUIS , le seul endroit où nous ayons été libres et heureux . Cette fois , enfin, je peux te dire SHALOM'! » ...
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Dans la réalité des faits qui ont constitué la tragique histoire du Saint-Louis, l'auteur cubain Armando Lucas Correa donne vie à Hannah, une jeune allemande qui aurait pu fuir Berlin, embarquer sur le paquebot, s'exiler à Cuba et tenter de continuer à vivre malgré toute la haine qui s'était subitement abattue sur son nom : Rosenthal.

Hannah a presque douze ans, sa voix s'élève, abolissant les années qui nous séparent d'elle. 1939 à Berlin. Elle nous raconte son désir de demeurer là où elle est née.
Depuis la nuit de Cristal, sa mère se terre dans leur appartement. Quatre mois d'enfermement avec des pleurs incessants, des cris de colère face au rejet subit des habitants de sa ville, une ville qu'elle aimait pourtant et dont elle était fière. Des réveils en pleine nuit malgré les somnifères. Alors que les Rosenthal sont propriétaires de l'immeuble, les voisins, bien conditionnés par la vague antisémite qui ne cesse de grossir, veulent qu'ils partent au plus vite. le cauchemar est là et la peur est double, celle de rester étroitement liée à celle de partir.

Partir n'est pas et ne sera jamais non plus le rêve d'Hannah.

Comme il est extrêmement douloureux de lire ses mots, de la suivre dans ce Berlin qui la rejette. Elle et son dernier et unique ami Leo parcourent encore leur quartier défiguré par la haine, les bris de verre jonchant encore les trottoirs devant chaque devanture juive. Les drapeaux rouge, blanc et noir s'agitent de plus en plus nombreux aux fenêtres berlinoises. Et les mots cruels fusent.
Comment ne pas se sentir déchirée par l'insulte de sale vermine qui s'abattra sur cette enfant, l'amenant à récurer son corps pour éliminer toute souillure dont on l'accuse ? Un nettoyage tristement dérisoire car elle ne sera jamais prétendument pure comme ceux qu'elle nomme les Ogres avec leur salut hitlérien.

Nous quittons de temps en temps Hannah pour entendre les paroles d'une autre petite Anna, à New York et dans une tout autre époque : 2014. Sa mère aussi a trouvé refuge dans sa chambre et dans les somnifères, refusant d'affronter la vie. le père d'Anna est né à Cuba mais elle n'a pas eu la chance de le connaître car les années passant, d'autres tragédies ravissent la vie des uns et des autres, partout dans le monde. Une enveloppe avec des négatifs et une vieille carte postale d'un paquebot viennent ouvrir la route d'Anna vers ses origines.

Ce roman bouleversant traite avec beaucoup de sensibilité l'exil forcé d'Hannah et la quête identitaire paternelle d'Anna. Toutes deux s'adressent à nous et bousculent, chacune à leur époque, nos sentiments de tristesse.
La petite New Yorkaise converse depuis toujours avec la photo de son père et s'attache aux clichés reçus, vieux de soixante-dix ans, pour tenter de saisir un fil qui la relierait à ce père disparu.
Mais par-dessus tout, on a du mal à accepter que la tragédie du paquebot Saint Louis soit véridique. Ces familles, majoritairement aisées, ont dû abandonner toutes leurs possessions pour embarquer sur ce navire et financer les permis de débarquer à Cuba puis aux États-Unis. Ils ont été escroqués de la plus vile manière, leur départ ignominieusement planifié par des hommes cupides et haineux. le généreux Capitaine qui devait mener ces passagers en fuite vers leur salut a vu l'horizon s'assombrir suite aux câbles en provenance de la Havane crachant leurs nouveaux décrets, leurs nouveaux rejets. Pour Hannah, la traversée de l'Atlantique signera ses derniers instants de bonheur. L'exil pour les rares passagers autorisés à débarquer ne sera plus qu'un abîme. Ce sont des vies qui continueront mais qui seront irrémédiablement perdues.

Ce roman se veut le témoin de la douleur de ne plus jamais se sentir chez soi, d'être perçus comme indésirables même sur la terre d'exil qui restera donc étrangère.

Je comprends tout à fait l'obsession de l'auteur pour cette tragique page d'histoire. La trame véridique de cette aventure donne à ce roman une forme d'authenticité. Il nous serre le coeur lorsqu'on compatit à la souffrance de ces gens et nous le soulève lorsqu'on songe à toutes les formes de racisme qui ont jalonné l'Histoire et entraîné autant d'horreurs. Je suis profondément marquée, plusieurs jours encore après avoir refermé ce livre et le drame de cette condamnation abjecte me hantera certainement pour longtemps.
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Ce roman, entrelaçant deux époques et inspiré de faits réels, retrace un chapitre tragique de l'Histoire, triste et terrible épisode à l'aube de la Seconde Guerre Mondiale.

BERLIN – 1939 – une jeune fille Hannah Rosenthal et son ami Leo voient leur ville envahie de drapeaux rouge et noir, les « ogres et cerbères » guettent et traquent. La nuit de Cristal est proche. L'enfer s'immisce peu à peu dans leur quotidien tel un film d'horreur. Leurs familles projettent de fuir le Reich.

Une lueur d'espoir renaît avec le Saint-Louis, paquebot qui bientôt entamera son voyage transatlantique vers Cuba, avec d'autres juifs à bord.
Seuls quelques « privilégiés » réussissent à payer des billets et visas très couteux.

Le Saint-Louis quittera le port d'Hambourg le 13 mai 1939 avec à bord près de mille juifs allemands qui, pour échapper à l'enfer nazi, tenteront une aventure chèrement payée qui s'avèrera funeste et tournera au désastre.

« Les seuls papiers qui nous accompagneraient dans notre aventure cubaine étaient à présent frappés d'un infâme J rouge. Comme une cicatrice indélébile. Nous ferions à jamais partie des exilés, de ces gens dont personne ne voulait et qui depuis la nuit des temps étaient chassés de chez eux ».

Tout près du but, l'atmosphère à bord oscille entre espoir et désespoir, en effet Cuba déclare les permis de débarquer des passagers « invalides ».
Le Saint-Louis ne pourra pas accoster à La Havane et sera forcé de repartir en Europe.
Quelques-uns des passagers auront pu malgré tout débarquer, leur vie n'en sera pas moins déchirée.

NEW-YORK – 2014 – Anna Rosen vit avec sa mère et se questionne beaucoup sur son père qu'elle n'a pas connu. Elles reçoivent un jour un paquet en provenance de Cuba. A la découverte de ce qu'il contient, elles décident de partir pour La Havane.
*
De l'espoir d'une vie sauve à l'étau d'une issue fatale.
Des destins bouleversés.
« Nous n'étions qu'un tas d'indésirables bons à jeter à la mer ou à renvoyer vers l'enfer des ogres ».

Ode poignante à la liberté.
Une histoire bouleversante que je ne connaissais pas et qui m'a énormément touchée.

« Les souvenirs, c'est ce qu'on ne veut plus se rappeler ».
*
Le film-reportage diffusé récemment sur Arte « Les indésirables – l'errance du Saint-Louis » apporte un éclairage supplémentaire et enrichissant sur ce chapitre tragique de l'Histoire.

Le Saint-Louis, une chimère d'espoir perdu, angoisse et désarroi pour près d'un millier de passagers, juifs allemands, ballotés, renvoyés en Europe.
Aucune compassion de la part des autorités cubaines. Inaction des gouvernements. Imbroglios politiques dans un océan de corruption.

Le capitaine du navire Gustav Schröder aura tout tenté pour protéger les passagers du Saint-Louis et trouver un port non allemand où débarquer. Après maintes tentatives et négociations, ce sont la Belgique, les Pays-Bas, la France et la Grande-Bretagne qui accueilleront ces réfugiés. Mais la guerre a éclaté, et la plupart finiront dans les camps d'extermination.

Gustav Schröder le commandant de bord dira de cette mission confiée par la Compagnie la HAPAG, qu'elle l'a ébranlé davantage qu'un typhon des mers du Sud.
Ce n'est qu'en 2009 que le Sénat américain a reconnu officiellement que les souffrances de ces réfugiés avaient résulté du refus des gouvernements cubain, américain et canadien de leur offrir l'asile politique.
En 2012 des excuses publiques ont conduit quelques survivants du Saint-Louis à raconter leur histoire.

« N'oublions jamais les terribles épreuves et le sort tragique des passagers du Saint-Louis, et qu'ils servent d'avertissement à l'humanité, afin que plus jamais la cruauté et la barbarie ne trouvent de place en ce monde » (G. Schröder – 1949).
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
«  Le grand nettoyage avait commencé à Berlin , la ville la plus souillée d’Europe . De puissants jets d’eau étaient sur le point de nous asperger pour nous débarrasser de notre crasse .
Nous sentions mauvais. Nous volions l’argent. Nous réduisions en esclavage les moins fortunés que nous. Nous détruisions le Patrimoine National. Nous vénérions des dieux différents . Nous étions des corbeaux. Nous étions impurs .
On ne nous aimait pas . Personne ne nous aimait .
Il était temps pour «  Les Ogres » de broyer les Indésirables, les brûler , les étouffer jusqu’à ce qu’il n’en reste plus un seul de vivant » ....
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Je pense parfois que se retirer du monde était le seul moyen qu’elle ait trouvé de supporter la douleur. Pas seulement celle d’avoir perdu papa, mais aussi celle de ne pas lui avoir dit qu’elle était enceinte. Qu’il allait devenir père.
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- Partir où, Alma ? a-t-elle répliqué. Nous ne pouvons pas refaire indéfiniment notre vie. Une génération passe et nous détruit. On reconstruit tout et la génération suivante nous détruit encore. Est-ce là notre destin?
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«  Nous courions à contresens du vent , des drapeaux et des voitures , et je m’efforçais de suivre Léo tandis qu’il se faufilait habilement à travers cette foule de gens qui se considéraient comme purs et invincibles.
Quand j’étais avec lui , il y avait des moments où je n’entendais plus le bruit des haut- parleurs , ni les cris et les chants des hommes marchant au pas.
Il me semblait impossible d’être plus heureuse , même si je savais que cela ne durerait pas » ....
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Chacun doit savoir d'où il vient. Chacun doit savoir comment faire la paix avec le passé.
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