Citations sur Autobiographie d'un épouvantail (40)
Le monde qui revient en lui ( l'épouvantail) ne sera supportable qu'à condition d'être métamorphosé. La poésie, le théâtre ou la philosophie en feront une représentation tolérable.
Face à la perte, à l'adversité, à la souffrance que nous rencontrons tous un jour ou l'autre au cours de notre vie, plusieurs stratégies sont possibles : soit s'abandonner à la souffrance et faire une carrière de victime, soit faire quelque chose de sa souffrance et la transcender
Une ombre ce n’est pas la vraie vue, ce qui compte c’est l’homme et le soleil qui l’éclaire.
"Un jour, je suis devenu un épouvantail." Avant, j'étais enfant, ado ou femme, une personne, quoi. Je cheminais tant bien que mal quand je suis mort, pas tout à fait. Je me suis mis à vivre comme vivent les épouvantails, du bois dans l'âme et de la paille aux mains. Ce n'est pas grave, vous savez, un épouvantail souffre moins qu'un humain dont il est la caricature.
Dans une catastrophe humaine, quand toute relation authentique devient impossible, deux points d'appui permettront plus tard une reprise résiliente: la rêverie et l'espoir de témoigner.
Quand un blessé a du mal à s'exprimer ou simplement à dire: "Voilà ce qui m'est arrivé", il peut en faire un conte que tout le monde écoute avec respect.
Une des plus grandes chances que l'on puisse avoir dans la vie est de ne pas avoir été heureux dans son enfance.
La pensée paresseuse est avantageuse parce qu'elle donne une vision claire du monde, une certitude qui mène au pouvoir. Le verbe est l'outil préféré de cette pensée nonchalante qui donne le plaisir de la récitation. Mais ce n'est pas un travail de la pensée qui cafouille et balbutie dans une recherche incertaine. L'orthodoxie facilite le laisser-aller qui évite le souci de la réflexion puisqu'un Autre vénéré a déjà pensé pour nous. La conviction de dire le vrai en récitant les mots du Maître procure une force d'affirmation, une tranquille certitude.
Un épouvantail, lui, s'applique à ne pas penser, c'est trop douloureux de bâtir un monde intime rempli de représentations atroces. On souffre moins quand on a du bois à la place du cœur et de la paille sous le chapeau. Mais il suffit qu'un épouvantail rencontre un homme vivant qui lui insuffle une âme, pour qu'il soit à nouveau tenté par la douleur de vivre.
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« Autobiographie d'un épouvantail », Boris Cyrulnik, éd. Odile Jacob © 2008
ÉPILOGUE
L'évolution est vagabonde, elle n'est pas linéaire, elle bouillonne comme la vie et repart en tous sens. Elle prend des formes différentes, erratiques, imprévisibles et pourtant déterminées par mille pressions du contexte. Tout développement est une aventure, je ne vois pas pourquoi un néo-développement résilient ne serait pas une épopée. Il est comme la masse bouillonnante d'une tempête où chaque goutte d'eau ne peut pas être ailleurs qu'à la place qui lui a été assignée par la force des vagues qui, l'ayant prise à un endroit, l'entraîne irrésistiblement dans une direction. Ce bouillonnement de déterminismes explique pourquoi nous sommes capables de donner sens à un tout petit moment de la condition humaine et incapables de donner sens à la condition humaine.
Nous sommes tellement contraints à nous fabriquer une vision cohérente du monde que nous n'hésitons pas à généraliser nos misérables vérités jusqu'à ce qu'absurdité s'ensuive. C'est ainsi que nous raisonnons quand nous voulons tout expliquer par une seule théorie qui contiendrait la vérité entière.
p. 272
Un récit non partageable déchire les relations.
Pour provoquer un processus de résilience chez une personne trouée dans son identité et déchirée dans ses liens, il faut d'abord agir sur les récits d'alentour afin de préparer l'entourage à entendre ces récits intimes, si difficiles à dire. On ne peut pas parler n'importe quand, n'importe où ni n'importe comment. Nos récits de soi doivent s'harmoniser avec les récits du contexte. Ce n'est qu'à cette condition, à ce moment sensible de nos histoires conjuguées, qu'on s'étonnera de pouvoir transformer tant de douleurs en tant de plaisir.
p. 237