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3,9

sur 2144 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ce livre est une ode au vivant et à la nature. Il est rempli d'espoir et d'émotions. Les valeurs libertaires et révolutionnaires présentées sont belles et inspirantes.

Certes, il y a quelques longueurs.
Certes, retranscrire une parole orale à l'écrit n'est pas vraiment pertinent.
Certes, le visuel de l'écriture manque un peu de subtilité.

Mais j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre, à découvrir l'univers qui nous est présenté, à suivre et à croire aux personnages dans leur quête d'une humanité dépassée.
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Dans un monde imaginaire, pas si loin du nôtre puisque l'auteur se projette dans la France de 2040, les villes ont été vendues par l'état au plus offrant, c'est-à-dire des multinationales capables de prendre à leur charge logement, commerce et surtout police car il s'agit comme il se doit d'un monde très "polissé". Parmi elles, le groupe Orange (oui, le célèbre spécialiste des télécommunications) a fait main basse sur la ville du même nom dont il a fait sa vitrine. Les citoyens se répartissent en trois groupes, "standard", "premium" et "excellence" avec des accès limités ou illimités à des niveaux de réalité "augmentée" voire "ultime", selon leur revenu, grâce aux piercings, boucles d'oreilles, lentilles de contact et autres gadgets connectés permettant un contrôle total de la population. Un futur proche à faire frémir, ou jouir, c'est selon. Fort heureusement, la résistance s'organise et la récente découverte d'êtres étranges, habitant notre monde à notre insu depuis des millions d'années mais ayant échappé jusque-là à toute investigation grâce à leur exceptionnelle faculté de se cacher, va changer la donne. Sur cette trame dystopique digne de George Orwell, Aldous Huxley, René Barjavel et quelques d'autres moins célèbres, se greffe l'histoire touchante de Lorca et Sahar Varèse, un couple désuni ne parvenant pas à faire le deuil de leur fille Tishka, mystérieusement disparue à l'âge de trois ans alors qu'elle dormait tranquillement dans sa chambre. le roman est envoûtant, attachant par sa tonalité politique exaltant la révolte, finalement victorieuse, contre l'utilisation des progrès technologiques aux fins d'asservir l'humanité, et le parcours de quelques personnages solaires, Lorca, Sahar et leurs amis. Il s'agit aussi d'un très beau travail sur le langage, avec de superbes envolées poétiques sur le mode du rap et du slam, mais la référence constante aux concepts de la sémiotique et de la linguistique comparée rend la lecture souvent chaotique, au détriment du message politique et l'attachement du lecteur aux personnages et à leur destin contrarié. Dommage…
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Avec les furtifs, Alain Damasio nous entraîne dans une France futuriste où le contrôle à prix le pas sur la liberté et où la technologie ne sert plus qu'à asservir et isoler son utilisateur. Un monde presque sans liberté sauf pour une espèce, les furtifs, vivants dans les zones non contrôlées par l'Homme et se nourrissant intellectuellement des sons émis par l'Homme. Mais toute liberté à un risque, et, pour les furtifs, il s'agit du RECIF qui forme ses chasseurs à éradiquer la menace furtive. Lorca, un de ces chasseurs est bien décidé à les comprendre et à retrouver sa fille disparue et emportée par un mystérieux furtif...

Après la lecture incroyable de la horde du contrevent, j'ai décidé d'enchaîner avec ce livre écrit bien plus tardivement par Damasio. Et je dois dire que l'engouement n'a pas été le même. Il s'agit quasiment de deux histoires qui ont parfois du mal à fusionner : d'un côté la description lente et précise de cette France futuriste assez réaliste et terriblement angoissante et de l'autre la quête désespérée de Lorca. le lien entre les deux : ces zones, ces ZAD, où l'Homme résiste au contrôle toujours grandissant des grands groupes qui dominent les villes et l'Etat. C'est parfois assez poussif, parfois bien arrangeant et au final un peu dommage. J'aurais aimé moins de descriptions de cette dystopie parfois redondantes mais également des sentiments des personnages qui sont répétés de nombreuses fois. Au final cela contribue à rendre le livre beaucoup trop long : plus de 900 pages et un manque de rythme par moments voir de mise bout à bout d'évènements sur la fin.
Gros point positif, Damasio nous montre à nouveau qu'il maitrise parfaitement la langue française et ses jeux de mots, ses déformations, ses imbrications de lettres sont un régal intellectuel !

Une lecture intéressante, qui porte à réflexion, bien écrite mais trop longue à mon goût.
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Encore une fois, Damasio crée un univers dans lequel il nous plonge sans nous demander notre avis, et il le fait parfaitement. C'est le prétexte d'une satire de notre société ultracommunicante, ultrafliquée, ultraconsommatrice et finalement ultrarepliée sur elle-même, qui prend peur. C'est aussi un roman d'amour pour ses enfants, et l'émotion qui se dégage de ce lien est renversante. Une réussite, à l'exception de quelques passages un peu longuets.
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C'est vraiment dommage. J'avais adoré la horde du contrevent. J'ai adoré le début de ce livre également, l'univers créé, la créativité de l'auteur, les personnages qui sont immensément attachants. Malheureusement, l'intrigue politique est sommaire et la description angelique des mouvements protestataires de tous ordres contre le méchant capital oppresseur est assez décevante . Je suis pourtant de gauche mais peut être pas assez France insoumise pour avaler toute cette bien-pensance sur la rébellion. C'est dommage, ça m'a gâché le livre, pourtant à mains égards exceptionnel.

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Dans un futur proche, en France comme dans d'autres pays, la vie est à la fois semblable et bien différente de celle que nous connaissons actuellement. La grande majorité des personnes porte une bague qui à la fois surveille et donne accès à la « réul », la réalité ultime. L'IA est partout et se plie en quatre pour fournir à tout un chacun une expérience optimale suivant ses envies, ses goûts ou ses données biométriques. de la publicité ciblée, à la consommation d'un café ou encore le type de conversation que vous pouvez avoir avec l'intelligence qui conduit le taxi.

Alors oui, selon que vous soyez pauvres ou riches, cette expérience sera sensiblement différente. Aux riches les avenues réservées sans embouteillages, aux pauvres les jardins publics grands comme des timbres-poste et surpeuplés…

Dans la ville d'Orange, qui a été rachetée par la société de téléphonie du même nom, nous faisons connaissance avec Lorca qui achève sa formation militaire de traqueur de Furtifs.

Qu'est-ce qu'un furtif ? Une entité clandestine, dotée de capacités hors-norme : vitesse de déplacement, discrétion, métamorphose, et qui intéresse grandement l'armée. Lorca, ancien sociologue pour communes auto-gérées, a l'intime conviction qu'ils sont la clé qui lui permettra de retrouver Tishka, sa fille de quatre ans qui s'est volatilisée il y a deux ans.

La lecture des Furtifs a été pour moi une expérience en soi, bien loin de ce à quoi je suis habituée. C'est un livre touffu, multiple et foisonnant qui aborde une grande quantité de thèmes et de sujets : la philosophie, les sciences, l'art, la musique, la sociologie. C'est un livre politique car il questionne sur la répartition des richesses, sur nos modèles de société et l'utilisation qui est faite de nos données que nous semons déjà un peu partout.

A l'aide d'une langue très riche, dans son utilisation et sa typographie, peut être parfois trop (?), on est également dans la poésie avec une ode à la vie et à la nature, par opposition au contrôle et aux datas. Si ce roman en a perdu certains ou qu'ils sont restés sur le bord de la route, je peux le comprendre aussi, car ça peut paraître expérimental par certains aspects.

C'est la première fois que je lis du Damasio, il me semble être un auteur qui a une idée, pensée, association d'idée à la seconde et qui les note toutes et arrive ainsi à livrer un ouvrage qui regroupe, fusionne, digère la vie bouillonnante de son esprit.
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Pour faire le deuil d'une amie - Marilou -, Alain Damasio nous offre ici un conte dystopique plein d'espoir.
Dans une France ultralibérale dont les principales villes ont été revendues à de grandes multinationale, offrant ainsi aux plus riches des privilèges, un civil rejoint un groupe militaire, le Récif, spécialisé dans la traque des « furtifs », ces êtres invisibles, impalpables mais dont on sent la présence. Un seul regard les transforme en statue de céramique. Lorca Varèse est ce civil. Sa fille, Tishka, a disparu une nuit, son mariage n'a pas survécu. Il est intimement persuadé que sa fille a été enlevée par les furtifs. le Récif, sous la houlette d'Agüero, va se fondre dans la masse des insurgés pour faire éclater ce monde froid et tenter de révéler l'existence de ces êtres insaisissables.

Alain Damasio a pris le parti d'une écriture particulière. Chaque chapitre est narré par plusieurs des protagoniste et, afin de ne pas se perdre, il a « enluminé » de façon particulière chaque personnage, avec des signes diacritiques, des virgules, des puces ou des cils qui se promènent au gré des phrases, qui abondent si le locuteur est sujet à une forte émotion voire devient dyslexique. Assez perturbant au début (on se demande - pour une lecture sur liseuse - si l'écran n'est pas sale ?), on s'y habitue assez vite. Ce pavé nous entraîne pendant de longues heures dans cette aventure rocambolesque mais très addictive. Dommage que certaines fautes ou mauvaises habitudes de l'auteur aient résisté à la relecture (que dal pour que dalle, anagramme est féminin, etc.), que l'usage de termes précieux ou rares parfois plusieurs fois dans le texte ainsi que l'apparition de termes totalement inventés alourdissent encore un peu la lecture parfois pénible à cause de tous ces signes parasites. Mais le résultat est saisissant, on les suit jusqu'au bout, jusqu'à Porquerolles et après. Œuvre de fiction originale, elle vaut vraiment le détour.
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J'ai d'abord eu de la peine à m'immerger dans la narration de l'auteur, dans ses techniques d'écriture fuyant l'ordinaire. Puis j'y ai pris goût. Au-delà de l'histoire même, qui m'a plu sans me transcender, je suis tombée d'amour pour cette poésie sans pareille, ce renouveau des mots et de sens auquel s'attelle Damasio. Grâce à des procédés étranges et innovants (la typographie pour indiquer les changements de points de vue, par exemple), l'auteur porte le récit à un tout autre niveau que la littérature usuelle. La narration ne se suffit plus des mots, déjà riches, mais prend du relief pour se jouer sur de multiples autres plans, à la fois stylistiques et, si je puis dire, cérébraux. L'histoire, bien que passionnante, n'est pas ce qui m'a le plus touchée. La comparaison me vient d'elle-même : de la même manière que le contact des furtifs influe sur les humains, engendrant de graduelles mutations jusque dans le fonctionnement de leur mental (confer l'évolution progressive de leur langage et de leur pensée, dont les lettres changent de position dans les mots, ou la ponctuation qui s'emballe lorsqu'ils perdent pied, à l'image de Ner au moment d'« invoquer » ; confer le déplacement de la conscience sur un autre plan lorsque les capacités furtives se manifestent, comme lorsque Lorca Varèse se découvre capable de se cacher en anticipant le moindre mouvement de ses pisteurs ; confer l'usage déconcertant du conditionnel lorsque ce même personnage se sent sortir de son corps et vivre les événements à la troisième personne, ainsi qu'il le décrit), je suis sortie de cette lecture avec le sentiment d'avoir entamé une mutation : structurellement parlant, je sens parfois mon langage et mes pensées se déplacer sur d'autres plans. En voilà un exemple : je suis absolument fascinée par l'emploi atypique du conditionnel que fait Damasio. Celui-ci révèle une sorte d'état second d'un personnage qui, plutôt que de se trouver dans le rêve ou la projection hypothétique, comme l'exigeraient les règles du conditionnel, reste ancré dans la réalité. Je me suis arrêtée de longs moments durant ma lecture pour le comprendre, non seulement sur le plan intellectuel (il est aisé d'accepter l'idée que ce conditionnel exprime un état altéré), mais également dans ses fondements profonds ; ce que je n'ai pas réussi. Je n'ai pas réussi à sentir, en moi, ce conditionnel couler naturellement, à en ressentir la relevance profonde. Jusqu'à aujourd'hui. M'adonnant à l'écriture par loisir, je suis arrivée à une scène où le protagoniste, profondément chamboulé par un événement qui le dépasse, doit toutefois poursuivre son chemin. Tout ce qui se déroule autour de lui prend alors une nuance de rêve. C'est ainsi que j'ai écrit, tout naturellement : "L'oiseau les porta jusqu'au lac. [...] Alors, elle aurait vu la roselière. Elle se serait laissé tomber dans l'eau miroitante. Elle aurait couru à sa surface." Et ainsi de suite. Cette extension du conditionnel ne se joue pas qu'au niveau esthétique, je la ressens au niveau mental. Je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec les mutations cérébrales initiées par les furtifs. Et je trouve cela absolument fascinant.
J'ai commencé à rédiger ces pensées en cherchant si cet usage du conditionnel était correct, bien que rare, afin de pouvoir le préserver tel qu'il m'était venu dans mon récit. Si quelqu'un peut répondre à cette question, j'en serais très reconnaissante.
Avec mes remerciements, et bonne lecture à ceux qui n'ont pas peur d'évoluer.
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Je ne lis que rarement de la science-fiction mais il s'agit ici plutôt d'un roman d'anticipation basé sur l'actualité. Il traite, en effet, du big data, de la société de contrôlé à partir de l'histoire d'un couple brisé par la disparition de sa fille que le père croit partie avec des furtifs, ces êtres chimériques et insaisissables.
Cet ouvrage est un véritable roman politique ! Cette dystopie est parfaitement crédible et relève plus du conte philosophique que de la fiction. Au-delà des courses poursuites pour capturer des furtifs, Alain Damasio y traite des grandes orientations de notre société dans un futur proche.
J'ai beaucoup aimé son écriture riche, recherchée, truffée de symboles. le rythme est haletant, sauf peut-être les combats avec les furtifs qui, pour moi, traînent un peu en longueur.
Cet auteur, que je découvre, a une imagination féconde et son regard sur notre société est féroce.
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Le manège s'arrête. La musique entêtante aussi. Dans l'air, l'odeur de barbe à papa de fin de soirée - celle qui a trop cristallisé sur les bords de la cuve - flotte à la dérive, mêlée à la sueur et au tabac froid.

Le propriétaire psalmodie à son micro avec cette tonalité qui n'appartient qu'aux forains. Entre le disc-jockey et l'animateur commercial : "Pour les courageuuuux, c'est reparti pour un touuuuur dans quelques minutaaaaah". Les barres de sécurité se relèvent instantanément dans un bruit matélique. Je me lève et mes jambes flageolent.

Je ne peux pas dire avec netteté si j'ai totalement aimé ou si j'ai un peu délesté par moments. La légère nausée qui borde mes lièvres ne peut pas tout en dire. J'ai ressenti de belles émotions, des accélérations, de fortes poussées, puis mon intérêt à quelquefois stagné dans de grandes lacunes infestées.

Une profusion des sens m'interdit, un contenu trop riche m'a donné le tournis tant je ne savais plus où tonner de la dette. Damasio a voulu m'ensevelire. J'en ai l'impression.

Peut-être que ce roman était trop petit (688 plages tout de même dans mon édition). Pas assez ample pour y mettre tout cela ? Roman, essai, manifeste, exercice littéraire. Trop de thèmes ? Aliénation technologique, capitalisme 6.0, deuil, langue, puissance de l'audio, militantisme alternatif, cohabitation avec le vivant. Aurait-il fallu le fasciculer en deux ou trois ouvrages ?

J'y ai orpaillé des réflexions très intéressantes sur l'environnement numérique qui nous cannibalise. Ce filtre du réel qui tend à conquérir notre dernier territoire vierge.

Les potards légèrement plus poussés, (Damasio parle de "présent hypertrophié") quelques pas en avant de ce que nous vivons de nos jours ; on se dit que c'est un des sentiers plausibles.

Mal heureux semant.

France 2040.

Des prothèses, bagues, lunettes augmentées deviennent le seul pont de singe qui nous relie aux autres et au monde palpable. En RéUL. Réalité Ultime.

Ultime atome de familles nucléaires pulvérisées par l'explosif du progrès paramétré. Ultimatum avant l'ignition.

L'être humain et sa propension aveugle à se livrer pieds et poings liés, confiant ses datas confites en échange d'un cocon fort, "self-serf vice".

Dissolution de l'individu dans les données. "Le moa". (my own assistant)

Une mercatique de tous les instants, assaillante, intrusive. Qui vous alpague dans les rues, vous c(r)ible. "Ubicité" des villes qui savent où et suivent vos pas. Des bots et "intechtes" colexiquent les conversations, dégageant des mots-clés, des tendances, des profils de consommateurs.

Une publicité personnalisée qui vous susurre à l'oreillette, via un mobilier urbain bavard.

Imaginez.

Assis sur un banc, jambon-beurre, regard noyé. Et la voix qui sort du siège :

"Les gens bons mangent du Herta. Herta, le jambon des gens bien. Ne passez pas à côté des choses. Simple !".

Oui oui. La voix vient bien de sous votre cul.

Puis la déliquescence de l'Etat qui dans ce roman - lugubre futur pioche - abandonne et vend les villes à des groupes privés qui les rebaptisent (rebranding), comme Nestlyon par exemple.

La ville d'Orange, sans avoir à changer de nom elle, devient ainsi le siège de feu France Telecom et son fief banalisé. Propriété à faire fructifier et habitants à traire.

Ces villes rachetées sont alors dites "libérées". Au sens libéral du terme.

La fiscalité se voit remplacée par des forfaits : Standard, Premium, Privilège, dans cet ordre croissant, donnant accès à une expérience de la cité et du quotidien différenciée. Se balader sans limite pour les privilégiés. Rester cantonnés dans des rues borgnes, privés d'avenues et de boulevards pour les standards. Au milieu, une vie "moyenne", équalisée dans un bouillon tiédasse pour les premiums.

Les non bagués, volontaires ou non, sont quant à eux relégués dans la marge.

La technologie, à bas bruit, contrôle de plus en plus finement les hommes, tout en disparaissant dans le même mouvement. Laissant une illusion de liberté factice et de convivialité des outils qui cachent à peine l'intrusion morbide et la fin définitive de l'intime et du vivre ensemble. "Misanthropie molle".

L'éducation privatisée elle aussi, est soumise aux intérêts économiques. Des "proferrants", à l'image des maîtres du moyen âge, braconnent l'enseignement en le dispensant à la volière, sur les places, dans les quartiers délaissés. Pour s'affranchir du récit privatisé du monde. Pour redire le réel.

Car face à ce pouvoir diaphane mais brutal, la résistance s'organise. Des ZAD (Zones A Défendre) ZAG, (Zones Auto Gouvernées) ZOUAVE (Zones Où Apprendre A Vivre Ensemble), des mouvements autonomes, pullulent et se créent en antagonisme pour libérer l'espace, le corps, l'habitat.

Ceci pour le contexte socio-économique de ce monde dans lequel s'inscrit le récit.

Dans cette première grande sphère, voici venir nos Pernods sages. Lorca Varese en particule liée, professeur de sociologie expert en mouvements alternatifs. Sa vie de famille a explosé quelques années auparavant lorsque sa fille,Tishka, a disparu brutalement. Au beau milieu de l'appartement familial. Sans effraction.

Le pater ne se résigne pas. Debout parmi les ruines, il n'accepte pas la perte. Il s'engage dans un service occulte du Ministère de la Défense : le Récif. (Recherche, Etudes, Chasse et Investigations Furtives.)

C'est là, je pense qu'on atteint la vraie belle idée de Damasio. Ce Protée que nous découvrons dès les premières pages : le furtif.

Dans ce monde saturé des traces que nous laissons partout, ces abattures numériques qui délimitent nos sentiers, exposent nos routines et nos passions, il existe des animaux hybrides et extraordinaires qui se lovent, hors cadres, dans les rares endroits où notre regard ne va pas.

Un coin, un plafond, un angle, une bâtisse abandonnée, un abri.

Ils se mettent hors de vue, loin de ce sens hypertrophié, boursouflé d'importance par nos technologies, qui nous fait confondre touvoir et pouvoir.

Pourtant ils vivent bien à notre contact car ils ont un besoin vital de notre bruit, de nos mots, de nos affects. Ils s'en nourissent, en vivent. S'en délectent.

Les furtifs ne peuvent rester dans un schéma corporel défini, ils ont besoin d'assimiler leur environnement constamment. Souvent brutalement. Arrachant un bout d'aile à un pigeon par ci, la carapace en kevlar d'un flic par là. Ils métabolisent sans cesse et muent pour rester vivants.

Ne pensez donc pas pouvoir les exposer dans un zoo, les cartographier dans une nomenclature binomiale ou je ne sais quel taxon.

Autre particularité fondamentale :

Ils son.

Le sonore est la sève qui les irrigue. Ils y réagissent follement. Capables de reproduire n'importe lequel d'entre eux : bruits d'animaux, de moteurs, de klaxons, paroles, musique. Tout fait aliment pour eux. Toute manifestation acoustique les traverse et les fait vibrer pour les garder mobiles et changeants. Jusqu'à la cassure, car chaque furtif possède un ADN sonore - le frisson - qui si il est reproduit peut les mener à la mort.

Ils sont d'une matière instable et labile qui épouse le vivant, avant de bondir, neufs et autres dans le divers. Intensément.

Furtifs par essences. Soit, rapides et dérobés. Voleurs sans butin si ce n'est l'instant tanné. Prompts à se cacher.

Lorca se révèle, à la surprise des militaires goguenards, être un chasseur de furtifs inné bien que peu conventionnel.

Il évolue au sein de sa meute et du Récif dont la raison de vivre et de les capturer et de les étudier. (Meute - Horde, Lorca - Larco Scarsa le Braconnier, ça vous rappelle quelque chose, vous l'avez ?)

Il est convaincu que l'évaporation de Tishka est liée à cette espèce ancienne que les humains ne découvrent qu'à peine, trop occupés à regarder partout sans ne rien "clairvoir". Sur la piste, on le suit avec les membres de son équipe : Nèr l'oeil technologique, Traqueur optique, dresseur de "mécanidés" , Saskia la Traqueuse sonore à l'oreille absolue et Agüero "Che" l'Ouvreur.

Au dessus, aux manettes, Arshavin leur supérieur omniscient.

"Et je coupe le son" comme dirait Philippe Katerine. Je m'arrête ici car il y a trop à dire sur l'histoire en elle même et que je traîne déjà trop en langueur.

Je ne suis pas assez consommateur de science-fiction pour pouvoir bien en juger mais il me semble que la peinture de la dérive technoïde, bien qu'elle m'ait beaucoup intéressé, ne soit pas des plus novatrices. Une série comme "Black Mirror" sur le versant audiovisuel a déjà abordé quelques uns de ces sujets.

Autre mais. Quelquefois la Damasquinure va trop loin pour moi. Je comprends qu'il ait été important de travailler sur la langue pour en faire la lave en fusion qui coule et exprime l'instabilité furtive. Toutefois, à plusieurs reprises la lecture des dialogues de certains personnages comme le sabir franco-espagnol de Che Agüero ou la macédoine indigeste de Tony-tout-fou m'a singulièrement barbé, option crème de rasage palmolive, baume nourissant et serviette chaude. Bien rasé.

Ces anglicismes, ces tournures espagnoles, manouches, l'argot contemporain, persillés dans les interventions de certains interlocuteurs m'ont trop souvent tiré de ma lecture. Et par les pieds. Mon crâne cognant sur chaque marche de l'escalier vertigineux de mon déplaisir. Parce que cela tombe complètement à côté. Cela sonne faux et cela nuit invraisemblablement à la lecture. On obtient un manque de vérité et d'authenticité qui frôle le ridicule. J'en ai presque ri parfois, tellement ça n'allait pas.

L'effort sur la langue est exigeant et culotté mais la forme vient trop souvent parasiter le fond. L'intrusion, que dis-je, l'effraction, le braquage de ces mots discordants, rompt un charme que Damasio maîtrise pourtant parfaitement. Comment n'a-t-il pas entendu ces couacs ? Ces canards assourdissants ? On a tiré sur l'orchestre pourtant !

De même les jeux de mots - dont je suis friand au demeurant - dégénèrent trop souvent et tombent à l'eau dans des "Ploufs" consternants. Et puis le dosage. Des dizaines d'affilée. Un sur vingt qui fait mouche. On dirait une épreuve du combiné nordique avec 2 grammes dans le sang.

"1/g" par exemple. Qui m'a atterré, voire atterri. Je crois même avoir dit à haute voix : "Oh noooon. Il n'a pas osé ? Si ?"

Certains néologismes frisent eux aussi la correctionnelle et des mots-valises se font la malle court-circuitant la narration. Comme une apnée du sommeil nous sort de nos rêves, les fautes de goût nous font faire de douloureuses embardées hors récit.

Le style "flou à lier" dérape donc parfois dans le "flou à lire".

Sur le versant politique, quelques irritations également. J'apprécie peu l'angélisme, quel qu'il soit. Les ailes dans le dos et le froufrou de l'air dans les plumes se conjugue mal à la complexité de ce domaine. La vision romantique et univoque d'un mouvement du côté de la vie, du jeu, de la passion, créatif et jeune ; nef de toutes les libertés face à un pouvoir politique monobloc n'étant que control - alt - sup aura également fini par me brouter un brin l'herbe à choix. Trop binaire.

La grande proximité temporelle de l'histoire avec notre présent et nos enjeux rend tout cela explicitement idéologique. Ma DésilU cynique m'empêche d'acquiescer à tout sans sourciller. Les positions me semblent donc en effet, extrêmement gauches. Un peu maladroites. Et la fin s'épuise en bons sentiments dans une résolution incohérente et bâclée à mon sens.

J'ai été surpris de noter également que plus l'action se rapprochait de moi géographiquement, plus je m'en désintéressais et décrochais dans l'inverse proportion. Porquerolles, Moustiers, La Sainte-Beaume. Puis le final marseillais fade et inintéressant. Ah la cagade !!! Les Furtifs en bas de chez moi té !!

La réalisation de ce roman s'est étalée sur plus de dix ans avec des longues pauses, des stases et des reprises. le début date de 2004 donc proche de "La Horde". 3 ans d'écriture pleine selon l'auteur. Si l'écriture de Damasio a été linéaire, est-ce que cela peut expliquer cette brutale décélaration vers la fin ? Trop éloignée du magma incandescent du "Contrevent" ? Comme une planète trop distante de son orbite et qui se mettrait à dériver. Encombrée de 200 pages ?

Le passage à Porquerolles façon "Waterworld" m'a aussi beaucoup fait souffrir. Les jets-skis étant à la beauferie ce que le sweat sur les épaules noué sur la poitrine est à la tête à cul : un emblème.

Pas vraiment compris non plus ce tropisme balinais. Un peu tombé là comme une mouche dans un gamelan.

Dommage aussi de n'avoir trouvé que "fif" comme diminutif des furtifs. En anglais c'est le terme très élégant dont on insulte les homosexuels.

Voilà pour les points noirs et la peau grasse.

Ça me fait enrager car il y a tellement de bonnes choses par ailleurs. L'idée si futaie qui fait que la typographie, la typoésie, gonfle, enfle au fur et à mesure du récit et dit à quel point la métamorphose (Damasio parle d'"invocation") de certains personnages vers le "furtif" progresse, broussaille et germe.
Cette prolifération - et notamment des diacritiques - épouse également les passages de fuite, de traque comme pour souligner les modifications qui s'accélèrent dans les corps et s'accentuent.

Le texte tente donc lui aussi de passer en "mode furtif". Il se camoufle et se dissimule sous cette langue vivante.

Casse-gueule pour le confort de lecture. Mais idée géniale selon moi. Oulipienne. le sujet venant hybrider la forme.

Gros travail sur ce point entre Damasio et Esther Szac, graphiste et typographe, et l'usage extensif de la police Garamond. de manière savoureuse, ce font datant du 16ème siècle, est économe en encre et se veut comme très fluide. Sobre, souple et renaissant. Pas mal pour dézinguer le monde d'apprêt. Et toujours cette exigence dans le choix des signes qui ébauchent des traits saillants de ces personnages.


On peut détecter certaines réflexions autour du "Vif" abordé dans "La Horde" par un Caracole poussées et approfondies ici autour de la notion de "sangue". Pulsation sonore du dit, qui explose en chuintantes, sibilantes, occlusives et donc peut-être aussi en "furtives". Articulation de l'air et de la voix qui naît dans la langue, qui parcourt notre monde comme un jus et le change à l'infini à raison de 24 lettres par seconde. Parole. Entité mutante, elle aussi.

Pour les lecteurs de "La Horde", nous nous retrouvons donc sur un terrain déjà un peu connu. Certains s'en désoleront. D'autres s'en réjouiront.

La narration de groupe et la polyphrénie (la multiplication des voix portée par une seule) réapparaissent. La peau lisse des caractères et le style viennent identifier les différents personnages.

A nouveau aussi l'importance des éléments (air, eau, terre) qui sont des rappels au monde élémentaire du "Contrevent".

J'ai été touché par les dialogues autour de la parentalité et les développements autour de la perte de l'enfant, qui en creux, parlent donc du bonheur simple de côtoyer nos gosses. du présent que l'on doit déguster ou boire avec avidité.

Au détour des pages, de gros blocs d'intelligence et de joie fine. Dolmens fichés au beau milieu. Et c'est pour cela que mon exemplaire est souligné, annoté, glyphé dans tous les sens. Pour m'y retrouver et suivre à rebours mes traces, mes emmerveillements, mes enthousiasmes. Et il y en a. Vent Merci.

Ma récolte a été riche comme souvent avec Alain Damasio. Les mots, le vocabulaire, les créations, les lexiques comme ceux de la marine, de la vénerie dont les tonalités et la poésie me ravissent.

Et surtout, des réflexions qui pointent le bout de leurs mai. Comme ce que nous fait cette "pulsion scopique" du smartphone et de l'écran.
Syndrome de la Gorgone qui nous immobilise, nous fige. Orphée du quotidien qui ne résiste pas à aller voir, scruter, visionner. Ce visuel est décidément trop puissant. Il nous engloutit, nous paralyse et "préhante" nos imaginaires là où le son semble un vecteur plus souple qui permet de laisser respirer. Sous réserve qu'on ne soit pas en boîte ou sur un chantier BTP.


Les marques qui subsistent après nous. Uniquement les Datas que les porcs truffiers reniflent sous nos pseudos couvertures ou autre chose ? L'écrit ? le parlé ? le tagué ? le fait d'art ? le céliglyphe ? Toujours ce lien avec la trace que suit "La Horde", mais cette fois c'est l'aval qui compte. Ce qu'on laisse et non ce que l'on poursuit. Comme dans une deuxième partie de vie ?

Le prédateur devenant la proie qui vient habiter son chasseur dans lequel elle s'incarne, de la traque à la fuite. En pas chassé, latéral. Vice et versa. du "praeda" latin dont les deux découlent.

Ce fut une lecture féconde bien que non exempte d'imperfections. Moins époustouflante que "La Horde" mais peut-être aussi parce que la surprise est moindre après la découverte et le déniaisement.

Ceux et celles qui n'ont pas aimé sentir souffler "Le Contrevent" n'aimeront pas plus poursuivre les furtifs. J'en ai bien peur. Pour les autres, la pente reste raide et les éboulis nombreux. Mais le panorama vaut l'effort et le détour.

Le thème est en prise avec le présent. En effet, je viens de découvrir il y a peu ce qu'ètait le xénogenre. Là encore, furtivement, des échos.

Je vous invite ègalement à jeter un oeil aux fiches personnages de l'auteur (Fiches personnages des furtifs) pour prendre conscience de son travail littéraire, créatif et de son iceberg en grande partie immergé.


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