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3,9

sur 2129 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Quelle expérience intense que la lecture de ce roman ! L'impression d'avoir entre les mains un livre organique, qui respire, vibre, souffle, palpite, et qui nous communique son flux ; l'incroyable pouvoir des mots de Damasio.
On est en 2041, dans l'antique ville d'Orange "libérée" en 2028 -c'est à dire privatisée et rachetée par... Orange, après sa faillite et le désengagement de l'Etat. La ville est une smart-city qui ferait rêver n'importe quel adepte de la start-up nation, peuplée d'habitants catégorisés selon leur forfait-citoyen : privilège, premium ou standard -les autres étant invités à vivre ailleurs. On suit Lorca, ancien sociologue communard reconverti en chasseur de furtifs, séparé de sa femme Sahar, proferrante dans les quartiers démunis depuis la faillite de l'Education nationale. Leur couple a explosé lorsque leur petite fille, Tishka, a disparu. Mais au fait, qu'est-ce donc qu'un furtif ?
C'est ici que la poésie la plus explosive d'Alain Damasio s'harmonise avec l'anticipation la plus crue. L'auteur invente une nouvelle espèce, une forme de vie d'une beauté absolue que l'oeil humain ne peut pas voir -sous peine de la céramiser (la réduire en poterie) : le furtif. Evidemment, une telle découverte ne peut pas échapper à l'armée, qui a tout intérêt à découvrir le secret de ce pouvoir extraordinaire qu'est la liberté de fuir toute tentative de détection et de traçage.
Sur 900 pages, on suit donc la quête de Lorca et de son équipe de chasseurs, leurs questionnements et remises en question. Impossible d'en dévoiler davantage, si ce n'est que l'on croisera une foule de personnages bizarros, des insurgés épris de liberté dans une société flippante de connectivité, d'intelligence artificielle et de virtualité.
La smart-city imaginée par Damasio me paraît terriblement proche de ce qui nous attend, et j'ai pris plaisir à cette démonstration implacable de l'emprise du néolibéralisme sur notre environnement, notre existence et notre esprit. Heureusement, il y a la beauté transcendante des furtifs -et je me surprends à espérer qu'ils existent vraiment, juste pour rendre la vie plus supportable. Enfin, il y a le style Damasio, qui joue avec les mots et les sons, invente une nouvelle langue et de nouveaux signes, et c'est un enchantement à lire ! J'avais l'impression que mon esprit s'ouvrait et se déployait davantage, au fur et à mesure que je tournais les pages et découvrais une nouvelle poésie-fantaisie des mots et une nouvelle conception du monde, un peu à l'instar des personnages.
Seul bémol : l'histoire d'amour entre Lorca et Sahar, et celle de leur amour fou pour Tishka, qui donnent un petit coup de mou au roman dans son deuxième tiers. du moins, mon âme endurcie y a été moins sensible.
Ca reste néanmoins un livre incroyable de force et d'inventivité, de beauté et de poésie, de folie, de liberté, d'émotion et d'intelligence. Eblouissant.
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Je l'emmènerais sans doute sur une île déserte, ce livre. Il m'aiderait à refaire le monde en sauce liberté, à rêver plus coloré, plus ouvert, à avoir envie de partage...
En plus il est rédigé dans un style si surprenant, qu'à le relire 10 fois je découvrirais encore des choses, des jeux de mots qui m'auraient échappé, des images que je n'aurais pas eu le temps de conscientiser, faute de patience, c'est mon défaut de lectrice, ça, quand c'est trop bien, je ne savoure pas toujours, trop pressée de connaitre la suite, quand c'est rasoir, ben c'est pas mieux, je saute des lignes! Plus qu'un style, j'ai même envie de parler d'une expérience de lecture. le plus frappant aura été cette langue "incandescente" comme c'est écrit au dos du livre, car les mots semblent créer un mouvement, parfois, et de plus en plus au fur et à mesure du livre; Les mots se distordent, changent, évoquent une sensation, créent une musique. C'est un livre qui demande de l'implication! 

C'est un livre esthétique! A cette langue viennent se mêler des signes, une calligraphie originale, différente pour chaque personnage. Je n'avais pas compris, au départ, je chassais points, parenthèses et apostrophes d'un revers de mains, ou tout du moins ça m'en donnait l'envie, le temps de m'installer pour de bon dans cette manière peu commune d'écrire. Ainsi on peut être aussi bien dans "la tête" d'un personnage que dans celle d'un autre, et aussi avoir différentes facettes d'un même moment, c'est très confortable pour le lecteur et il se sent "tout-puissant" (lol).

 Il m'aura fallu un peu de temps pour tout à vrai dire...En examinant le livre avant de me lancer, j'avais des aprioris, la dédicace au départ par exemple, m'avait semblée un brin maniérée, un poil surjouée alors que j'en ressens une fois le livre lu toute l'immense tendresse. Un CD accompagne ce livre , où l'on découvre la voix de l'auteur qui reprend des passages du livre, accompagné d'une voix féminine et d'un guitariste, c'est un cd qui je pense a plus d'impact une fois le livre lu, tel un "flash back" sonore du monde silencieux et pourtant si dense que l'on vient de quitter. C'est en tout cas comme cela que je l'ai appréhendé, et il m'a beaucoup émue. Un beau cadeau de l'auteur de pouvoir découvrir sa voix, sa propre émotion, et de revivre avec une facette encore différente certains moments d'échange entre Sahar et Lorca ou ce moment où leur fille Tishka reprend forme humaine dans une simulation virtuelle. 
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C'est un livre résolument politique. Il évoque une société de masse bien triste, en proie à une recherche exacerbée de confort matériel, où l'intimité est mise à nu au profit de la satisfaction rapide et sans effort. Où la prévention, la sécurité sont de véritables valeurs d'État. La masse manque d'âme, de bruit, de mouvement. Heureusement nous découvrons aussi tout un monde militant, une infinité de groupuscules; et ce chapitre où certains "volent" au-dessus de l'asphalte( chapitre 9 ), par des centaines de câbles au-dessus des toits m'a donné une grande bouffée d'oxygène. 
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Un livre riche et dense qui assure non seulement une dimension stylistique et esthétique, un message politique très fort, et qui enfin ou en plus m'a fait vibrer plus d'une fois la corde émotionnelle. Il évoque avec beaucoup de force ce que peut être la disparition d'un enfant, Alain Damasio. Tout ce que ça peut susciter d'espoir chez Lorca, dont les retrouvailles sont désormais l'unique moteur de vie; alors qu'au contraire pour sa femme Sahar il s'agit de faire un deuil, de respecter une mémoire. Ces personnages sont forts chacun à leur manière et leur histoire est très belle... 
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Tant d'ingrédients que demander de plus à un roman? Peut-être qu'on en saura un peu plus encore sur ces furtifs lors d'un prochain tome, car ils restent malgré tout bien mystérieux,ainsi que leur capacité d'hybridation avec les (le) vivant (s).  
Peut-être aussi qu'après un début qui monte en puissance jusqu'au chapitre 12, j'ai un peu pâti de quelques longueurs, en même temps que Lorca et Sahar qui cherchaient désespérément et en tout sens comment retrouver leur fille. 
N'en demeure rien de moins qu'un livre dont la tendresse m'a transpercée, qui transpire d'humanité, qui transpore de vie.
Et dire qu'il existe une petite merveille d'après vous qui s'appelle "la horde..." , j'en salive déjà. Merci aux babeliotes qui m'ont rendue curieuse de lire du Damasio.
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Dans un futur proche, en France comme dans d'autres pays, la vie est à la fois semblable et bien différente de celle que nous connaissons actuellement. La grande majorité des personnes porte une bague qui à la fois surveille et donne accès à la « réul », la réalité ultime. L'IA est partout et se plie en quatre pour fournir à tout un chacun une expérience optimale suivant ses envies, ses goûts ou ses données biométriques. de la publicité ciblée, à la consommation d'un café ou encore le type de conversation que vous pouvez avoir avec l'intelligence qui conduit le taxi.

Alors oui, selon que vous soyez pauvres ou riches, cette expérience sera sensiblement différente. Aux riches les avenues réservées sans embouteillages, aux pauvres les jardins publics grands comme des timbres-poste et surpeuplés…

Dans la ville d'Orange, qui a été rachetée par la société de téléphonie du même nom, nous faisons connaissance avec Lorca qui achève sa formation militaire de traqueur de Furtifs.

Qu'est-ce qu'un furtif ? Une entité clandestine, dotée de capacités hors-norme : vitesse de déplacement, discrétion, métamorphose, et qui intéresse grandement l'armée. Lorca, ancien sociologue pour communes auto-gérées, a l'intime conviction qu'ils sont la clé qui lui permettra de retrouver Tishka, sa fille de quatre ans qui s'est volatilisée il y a deux ans.

La lecture des Furtifs a été pour moi une expérience en soi, bien loin de ce à quoi je suis habituée. C'est un livre touffu, multiple et foisonnant qui aborde une grande quantité de thèmes et de sujets : la philosophie, les sciences, l'art, la musique, la sociologie. C'est un livre politique car il questionne sur la répartition des richesses, sur nos modèles de société et l'utilisation qui est faite de nos données que nous semons déjà un peu partout.

A l'aide d'une langue très riche, dans son utilisation et sa typographie, peut être parfois trop (?), on est également dans la poésie avec une ode à la vie et à la nature, par opposition au contrôle et aux datas. Si ce roman en a perdu certains ou qu'ils sont restés sur le bord de la route, je peux le comprendre aussi, car ça peut paraître expérimental par certains aspects.

C'est la première fois que je lis du Damasio, il me semble être un auteur qui a une idée, pensée, association d'idée à la seconde et qui les note toutes et arrive ainsi à livrer un ouvrage qui regroupe, fusionne, digère la vie bouillonnante de son esprit.
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Le manège s'arrête. La musique entêtante aussi. Dans l'air, l'odeur de barbe à papa de fin de soirée - celle qui a trop cristallisé sur les bords de la cuve - flotte à la dérive, mêlée à la sueur et au tabac froid.

Le propriétaire psalmodie à son micro avec cette tonalité qui n'appartient qu'aux forains. Entre le disc-jockey et l'animateur commercial : "Pour les courageuuuux, c'est reparti pour un touuuuur dans quelques minutaaaaah". Les barres de sécurité se relèvent instantanément dans un bruit matélique. Je me lève et mes jambes flageolent.

Je ne peux pas dire avec netteté si j'ai totalement aimé ou si j'ai un peu délesté par moments. La légère nausée qui borde mes lièvres ne peut pas tout en dire. J'ai ressenti de belles émotions, des accélérations, de fortes poussées, puis mon intérêt à quelquefois stagné dans de grandes lacunes infestées.

Une profusion des sens m'interdit, un contenu trop riche m'a donné le tournis tant je ne savais plus où tonner de la dette. Damasio a voulu m'ensevelire. J'en ai l'impression.

Peut-être que ce roman était trop petit (688 plages tout de même dans mon édition). Pas assez ample pour y mettre tout cela ? Roman, essai, manifeste, exercice littéraire. Trop de thèmes ? Aliénation technologique, capitalisme 6.0, deuil, langue, puissance de l'audio, militantisme alternatif, cohabitation avec le vivant. Aurait-il fallu le fasciculer en deux ou trois ouvrages ?

J'y ai orpaillé des réflexions très intéressantes sur l'environnement numérique qui nous cannibalise. Ce filtre du réel qui tend à conquérir notre dernier territoire vierge.

Les potards légèrement plus poussés, (Damasio parle de "présent hypertrophié") quelques pas en avant de ce que nous vivons de nos jours ; on se dit que c'est un des sentiers plausibles.

Mal heureux semant.

France 2040.

Des prothèses, bagues, lunettes augmentées deviennent le seul pont de singe qui nous relie aux autres et au monde palpable. En RéUL. Réalité Ultime.

Ultime atome de familles nucléaires pulvérisées par l'explosif du progrès paramétré. Ultimatum avant l'ignition.

L'être humain et sa propension aveugle à se livrer pieds et poings liés, confiant ses datas confites en échange d'un cocon fort, "self-serf vice".

Dissolution de l'individu dans les données. "Le moa". (my own assistant)

Une mercatique de tous les instants, assaillante, intrusive. Qui vous alpague dans les rues, vous c(r)ible. "Ubicité" des villes qui savent où et suivent vos pas. Des bots et "intechtes" colexiquent les conversations, dégageant des mots-clés, des tendances, des profils de consommateurs.

Une publicité personnalisée qui vous susurre à l'oreillette, via un mobilier urbain bavard.

Imaginez.

Assis sur un banc, jambon-beurre, regard noyé. Et la voix qui sort du siège :

"Les gens bons mangent du Herta. Herta, le jambon des gens bien. Ne passez pas à côté des choses. Simple !".

Oui oui. La voix vient bien de sous votre cul.

Puis la déliquescence de l'Etat qui dans ce roman - lugubre futur pioche - abandonne et vend les villes à des groupes privés qui les rebaptisent (rebranding), comme Nestlyon par exemple.

La ville d'Orange, sans avoir à changer de nom elle, devient ainsi le siège de feu France Telecom et son fief banalisé. Propriété à faire fructifier et habitants à traire.

Ces villes rachetées sont alors dites "libérées". Au sens libéral du terme.

La fiscalité se voit remplacée par des forfaits : Standard, Premium, Privilège, dans cet ordre croissant, donnant accès à une expérience de la cité et du quotidien différenciée. Se balader sans limite pour les privilégiés. Rester cantonnés dans des rues borgnes, privés d'avenues et de boulevards pour les standards. Au milieu, une vie "moyenne", équalisée dans un bouillon tiédasse pour les premiums.

Les non bagués, volontaires ou non, sont quant à eux relégués dans la marge.

La technologie, à bas bruit, contrôle de plus en plus finement les hommes, tout en disparaissant dans le même mouvement. Laissant une illusion de liberté factice et de convivialité des outils qui cachent à peine l'intrusion morbide et la fin définitive de l'intime et du vivre ensemble. "Misanthropie molle".

L'éducation privatisée elle aussi, est soumise aux intérêts économiques. Des "proferrants", à l'image des maîtres du moyen âge, braconnent l'enseignement en le dispensant à la volière, sur les places, dans les quartiers délaissés. Pour s'affranchir du récit privatisé du monde. Pour redire le réel.

Car face à ce pouvoir diaphane mais brutal, la résistance s'organise. Des ZAD (Zones A Défendre) ZAG, (Zones Auto Gouvernées) ZOUAVE (Zones Où Apprendre A Vivre Ensemble), des mouvements autonomes, pullulent et se créent en antagonisme pour libérer l'espace, le corps, l'habitat.

Ceci pour le contexte socio-économique de ce monde dans lequel s'inscrit le récit.

Dans cette première grande sphère, voici venir nos Pernods sages. Lorca Varese en particule liée, professeur de sociologie expert en mouvements alternatifs. Sa vie de famille a explosé quelques années auparavant lorsque sa fille,Tishka, a disparu brutalement. Au beau milieu de l'appartement familial. Sans effraction.

Le pater ne se résigne pas. Debout parmi les ruines, il n'accepte pas la perte. Il s'engage dans un service occulte du Ministère de la Défense : le Récif. (Recherche, Etudes, Chasse et Investigations Furtives.)

C'est là, je pense qu'on atteint la vraie belle idée de Damasio. Ce Protée que nous découvrons dès les premières pages : le furtif.

Dans ce monde saturé des traces que nous laissons partout, ces abattures numériques qui délimitent nos sentiers, exposent nos routines et nos passions, il existe des animaux hybrides et extraordinaires qui se lovent, hors cadres, dans les rares endroits où notre regard ne va pas.

Un coin, un plafond, un angle, une bâtisse abandonnée, un abri.

Ils se mettent hors de vue, loin de ce sens hypertrophié, boursouflé d'importance par nos technologies, qui nous fait confondre touvoir et pouvoir.

Pourtant ils vivent bien à notre contact car ils ont un besoin vital de notre bruit, de nos mots, de nos affects. Ils s'en nourissent, en vivent. S'en délectent.

Les furtifs ne peuvent rester dans un schéma corporel défini, ils ont besoin d'assimiler leur environnement constamment. Souvent brutalement. Arrachant un bout d'aile à un pigeon par ci, la carapace en kevlar d'un flic par là. Ils métabolisent sans cesse et muent pour rester vivants.

Ne pensez donc pas pouvoir les exposer dans un zoo, les cartographier dans une nomenclature binomiale ou je ne sais quel taxon.

Autre particularité fondamentale :

Ils son.

Le sonore est la sève qui les irrigue. Ils y réagissent follement. Capables de reproduire n'importe lequel d'entre eux : bruits d'animaux, de moteurs, de klaxons, paroles, musique. Tout fait aliment pour eux. Toute manifestation acoustique les traverse et les fait vibrer pour les garder mobiles et changeants. Jusqu'à la cassure, car chaque furtif possède un ADN sonore - le frisson - qui si il est reproduit peut les mener à la mort.

Ils sont d'une matière instable et labile qui épouse le vivant, avant de bondir, neufs et autres dans le divers. Intensément.

Furtifs par essences. Soit, rapides et dérobés. Voleurs sans butin si ce n'est l'instant tanné. Prompts à se cacher.

Lorca se révèle, à la surprise des militaires goguenards, être un chasseur de furtifs inné bien que peu conventionnel.

Il évolue au sein de sa meute et du Récif dont la raison de vivre et de les capturer et de les étudier. (Meute - Horde, Lorca - Larco Scarsa le Braconnier, ça vous rappelle quelque chose, vous l'avez ?)

Il est convaincu que l'évaporation de Tishka est liée à cette espèce ancienne que les humains ne découvrent qu'à peine, trop occupés à regarder partout sans ne rien "clairvoir". Sur la piste, on le suit avec les membres de son équipe : Nèr l'oeil technologique, Traqueur optique, dresseur de "mécanidés" , Saskia la Traqueuse sonore à l'oreille absolue et Agüero "Che" l'Ouvreur.

Au dessus, aux manettes, Arshavin leur supérieur omniscient.

"Et je coupe le son" comme dirait Philippe Katerine. Je m'arrête ici car il y a trop à dire sur l'histoire en elle même et que je traîne déjà trop en langueur.

Je ne suis pas assez consommateur de science-fiction pour pouvoir bien en juger mais il me semble que la peinture de la dérive technoïde, bien qu'elle m'ait beaucoup intéressé, ne soit pas des plus novatrices. Une série comme "Black Mirror" sur le versant audiovisuel a déjà abordé quelques uns de ces sujets.

Autre mais. Quelquefois la Damasquinure va trop loin pour moi. Je comprends qu'il ait été important de travailler sur la langue pour en faire la lave en fusion qui coule et exprime l'instabilité furtive. Toutefois, à plusieurs reprises la lecture des dialogues de certains personnages comme le sabir franco-espagnol de Che Agüero ou la macédoine indigeste de Tony-tout-fou m'a singulièrement barbé, option crème de rasage palmolive, baume nourissant et serviette chaude. Bien rasé.

Ces anglicismes, ces tournures espagnoles, manouches, l'argot contemporain, persillés dans les interventions de certains interlocuteurs m'ont trop souvent tiré de ma lecture. Et par les pieds. Mon crâne cognant sur chaque marche de l'escalier vertigineux de mon déplaisir. Parce que cela tombe complètement à côté. Cela sonne faux et cela nuit invraisemblablement à la lecture. On obtient un manque de vérité et d'authenticité qui frôle le ridicule. J'en ai presque ri parfois, tellement ça n'allait pas.

L'effort sur la langue est exigeant et culotté mais la forme vient trop souvent parasiter le fond. L'intrusion, que dis-je, l'effraction, le braquage de ces mots discordants, rompt un charme que Damasio maîtrise pourtant parfaitement. Comment n'a-t-il pas entendu ces couacs ? Ces canards assourdissants ? On a tiré sur l'orchestre pourtant !

De même les jeux de mots - dont je suis friand au demeurant - dégénèrent trop souvent et tombent à l'eau dans des "Ploufs" consternants. Et puis le dosage. Des dizaines d'affilée. Un sur vingt qui fait mouche. On dirait une épreuve du combiné nordique avec 2 grammes dans le sang.

"1/g" par exemple. Qui m'a atterré, voire atterri. Je crois même avoir dit à haute voix : "Oh noooon. Il n'a pas osé ? Si ?"

Certains néologismes frisent eux aussi la correctionnelle et des mots-valises se font la malle court-circuitant la narration. Comme une apnée du sommeil nous sort de nos rêves, les fautes de goût nous font faire de douloureuses embardées hors récit.

Le style "flou à lier" dérape donc parfois dans le "flou à lire".

Sur le versant politique, quelques irritations également. J'apprécie peu l'angélisme, quel qu'il soit. Les ailes dans le dos et le froufrou de l'air dans les plumes se conjugue mal à la complexité de ce domaine. La vision romantique et univoque d'un mouvement du côté de la vie, du jeu, de la passion, créatif et jeune ; nef de toutes les libertés face à un pouvoir politique monobloc n'étant que control - alt - sup aura également fini par me brouter un brin l'herbe à choix. Trop binaire.

La grande proximité temporelle de l'histoire avec notre présent et nos enjeux rend tout cela explicitement idéologique. Ma DésilU cynique m'empêche d'acquiescer à tout sans sourciller. Les positions me semblent donc en effet, extrêmement gauches. Un peu maladroites. Et la fin s'épuise en bons sentiments dans une résolution incohérente et bâclée à mon sens.

J'ai été surpris de noter également que plus l'action se rapprochait de moi géographiquement, plus je m'en désintéressais et décrochais dans l'inverse proportion. Porquerolles, Moustiers, La Sainte-Beaume. Puis le final marseillais fade et inintéressant. Ah la cagade !!! Les Furtifs en bas de chez moi té !!

La réalisation de ce roman s'est étalée sur plus de dix ans avec des longues pauses, des stases et des reprises. le début date de 2004 donc proche de "La Horde". 3 ans d'écriture pleine selon l'auteur. Si l'écriture de Damasio a été linéaire, est-ce que cela peut expliquer cette brutale décélaration vers la fin ? Trop éloignée du magma incandescent du "Contrevent" ? Comme une planète trop distante de son orbite et qui se mettrait à dériver. Encombrée de 200 pages ?

Le passage à Porquerolles façon "Waterworld" m'a aussi beaucoup fait souffrir. Les jets-skis étant à la beauferie ce que le sweat sur les épaules noué sur la poitrine est à la tête à cul : un emblème.

Pas vraiment compris non plus ce tropisme balinais. Un peu tombé là comme une mouche dans un gamelan.

Dommage aussi de n'avoir trouvé que "fif" comme diminutif des furtifs. En anglais c'est le terme très élégant dont on insulte les homosexuels.

Voilà pour les points noirs et la peau grasse.

Ça me fait enrager car il y a tellement de bonnes choses par ailleurs. L'idée si futaie qui fait que la typographie, la typoésie, gonfle, enfle au fur et à mesure du récit et dit à quel point la métamorphose (Damasio parle d'"invocation") de certains personnages vers le "furtif" progresse, broussaille et germe.
Cette prolifération - et notamment des diacritiques - épouse également les passages de fuite, de traque comme pour souligner les modifications qui s'accélèrent dans les corps et s'accentuent.

Le texte tente donc lui aussi de passer en "mode furtif". Il se camoufle et se dissimule sous cette langue vivante.

Casse-gueule pour le confort de lecture. Mais idée géniale selon moi. Oulipienne. le sujet venant hybrider la forme.

Gros travail sur ce point entre Damasio et Esther Szac, graphiste et typographe, et l'usage extensif de la police Garamond. de manière savoureuse, ce font datant du 16ème siècle, est économe en encre et se veut comme très fluide. Sobre, souple et renaissant. Pas mal pour dézinguer le monde d'apprêt. Et toujours cette exigence dans le choix des signes qui ébauchent des traits saillants de ces personnages.


On peut détecter certaines réflexions autour du "Vif" abordé dans "La Horde" par un Caracole poussées et approfondies ici autour de la notion de "sangue". Pulsation sonore du dit, qui explose en chuintantes, sibilantes, occlusives et donc peut-être aussi en "furtives". Articulation de l'air et de la voix qui naît dans la langue, qui parcourt notre monde comme un jus et le change à l'infini à raison de 24 lettres par seconde. Parole. Entité mutante, elle aussi.

Pour les lecteurs de "La Horde", nous nous retrouvons donc sur un terrain déjà un peu connu. Certains s'en désoleront. D'autres s'en réjouiront.

La narration de groupe et la polyphrénie (la multiplication des voix portée par une seule) réapparaissent. La peau lisse des caractères et le style viennent identifier les différents personnages.

A nouveau aussi l'importance des éléments (air, eau, terre) qui sont des rappels au monde élémentaire du "Contrevent".

J'ai été touché par les dialogues autour de la parentalité et les développements autour de la perte de l'enfant, qui en creux, parlent donc du bonheur simple de côtoyer nos gosses. du présent que l'on doit déguster ou boire avec avidité.

Au détour des pages, de gros blocs d'intelligence et de joie fine. Dolmens fichés au beau milieu. Et c'est pour cela que mon exemplaire est souligné, annoté, glyphé dans tous les sens. Pour m'y retrouver et suivre à rebours mes traces, mes emmerveillements, mes enthousiasmes. Et il y en a. Vent Merci.

Ma récolte a été riche comme souvent avec Alain Damasio. Les mots, le vocabulaire, les créations, les lexiques comme ceux de la marine, de la vénerie dont les tonalités et la poésie me ravissent.

Et surtout, des réflexions qui pointent le bout de leurs mai. Comme ce que nous fait cette "pulsion scopique" du smartphone et de l'écran.
Syndrome de la Gorgone qui nous immobilise, nous fige. Orphée du quotidien qui ne résiste pas à aller voir, scruter, visionner. Ce visuel est décidément trop puissant. Il nous engloutit, nous paralyse et "préhante" nos imaginaires là où le son semble un vecteur plus souple qui permet de laisser respirer. Sous réserve qu'on ne soit pas en boîte ou sur un chantier BTP.


Les marques qui subsistent après nous. Uniquement les Datas que les porcs truffiers reniflent sous nos pseudos couvertures ou autre chose ? L'écrit ? le parlé ? le tagué ? le fait d'art ? le céliglyphe ? Toujours ce lien avec la trace que suit "La Horde", mais cette fois c'est l'aval qui compte. Ce qu'on laisse et non ce que l'on poursuit. Comme dans une deuxième partie de vie ?

Le prédateur devenant la proie qui vient habiter son chasseur dans lequel elle s'incarne, de la traque à la fuite. En pas chassé, latéral. Vice et versa. du "praeda" latin dont les deux découlent.

Ce fut une lecture féconde bien que non exempte d'imperfections. Moins époustouflante que "La Horde" mais peut-être aussi parce que la surprise est moindre après la découverte et le déniaisement.

Ceux et celles qui n'ont pas aimé sentir souffler "Le Contrevent" n'aimeront pas plus poursuivre les furtifs. J'en ai bien peur. Pour les autres, la pente reste raide et les éboulis nombreux. Mais le panorama vaut l'effort et le détour.

Le thème est en prise avec le présent. En effet, je viens de découvrir il y a peu ce qu'ètait le xénogenre. Là encore, furtivement, des échos.

Je vous invite ègalement à jeter un oeil aux fiches personnages de l'auteur (Fiches personnages des furtifs) pour prendre conscience de son travail littéraire, créatif et de son iceberg en grande partie immergé.


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D'abord une certaine adaptation est requise dès les premières pages : un langage truffé de néologismes technos, mâtiné d'argot français et de verlan, de brusques changements de narrateur dont l'identification repose de prime abord sur des signes typologiques et un début plutôt déroutant. Ensuite, la force de ce roman d'anticipation repose sur sa grande originalité et l'inventivité de son auteur, Alain Damasio.
L'intrigue paraît simple : un père, Lorca Varèse, recherche sa fillette de quatre ans, Tishka, disparue sans laisser de traces il y a deux ans. Séparé de la mère Sahar, il traîne son obsession de retrouvailles, persuadé qu'elle se cache parmi les êtres furtifs qui peuplent le monde.
Mais derrière cette quête de parents éperdus, Alain Damasio nous dépeint avec génie un monde futur (2040) dans lequel les villes sont rachetées par des intérêts privés, hyperconnectées du trottoir au mobilier urbain, où les citoyens, bague au doigt, ne peuvent échapper à la « visibilité féroce de la ville », et dont les habitations dans de hautes tours sont régulées par la domotique. Cependant, une frange de la société tente de briser ce cercle insidieux de la connexion et souhaite « sortir des radars, devenir invisible ». D'où l'intérêt grandissant pour ces « furtifs », une espèce mi-animale, mi-végétale, que l'armée étudie en secret mais qu'un concours de circonstances dévoilera au monde entier.
Damasio joue brillamment avec les mots, les fait pirouetter et virevolter dans un récit où la musique et les sons sont omniprésents, en plus d'imposer une sérieuse réflexion sur la qualité des rapports humains dans nos sociétés de plus en plus branchées.
Le seul élément qui m'ait fait tiqué, c'est la tournure utopiste babacool hippie, à la limite naïve, prise par les opposants en réponse à l'hyperconnexion de leurs cités. Mais dans l'ensemble, ça demeure un énorme roman de science-fiction rédigé en français qu'il faut lire absolument!
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La dernière fois que je me suis autant emballée avec un récit Sf, c'était avec "La horde du contre-vent " du même Alain Damasio... Ici le récit n'est pas outre-monde mais bien dystopiquement proche et se déroule dans une France ultra-privatisée et terriblement connectée. Dans cet univers de vraies-fausses réalités, vivraient des furtifs créatures vivaces et polymorphes impossibles à saisir et suicidaires sous le regard humain. C'est parmi eux que Lorca Varèse, ex-sociologue devenu militaire est prêt à chercher Tishka, sa fille adorée et disparue, contre l'avis de on épouse Sahar, proferante dans les cités.
Un vrai roman d'aventures (un poil long tout de même) passionnant où l'auteur utilise à nouveau des signes diacritiques pour différencier la parole des ses protagonistes, ce qui permet des changements de point de vue rapides et des voix multiples et variées.
L'auteur propose aussi un magnifique travail linguistique sur les modifications de mots, de sonorités pour un texte multiple et des interprétations quasi physiques des phonèmes. Les furtifs seraient-ils musique?
Dans ce titre Alain Damasio aussi revient sur les dérives du tout-numérique et de l'ultraprivatisation (des milieux scolaires, des forces de l'ordre, des voies publiques, etc.) mais il n'est pas vieux bougon sans solution, au contraire il prône un usage raisonné de la technologie avec un vrai retour à la connexion humaine, à l'écoute de la nature, au lien social en citant Deleuze et en illustrant des petites actions du quotidien. A la fois récit endiablé et manifeste politique, "Les furtifs" séduit par son intelligence et sa multiplicité, car comme un Fif jamais il ne se fige...
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Depuis le temps qu'Alain Damasio n'avait rien sorti, ce livre était très attendu par les fans de la Horde du contrevent. Et pour tout dire même par ceux qui n'ont pas réussi à dépasser les 150 premières pages de la Horde malgré 3 tentatives. Je voulais savoir si c'était l'histoire qui me posait problème ou l'auteur. J'ai ma réponse c'était l'histoire ! Ne m'en veuillez pas mais j'ai tellement de choses à dire sur ce livre que j'ai un peu de mal à mettre les choses en ordre. J'ai donc décidé n'étant pas vraiment un critique de vous livrer tout ça un peu comme ça vient en essayant de ne pas trop en dévoiler.

Ce livre est un mixte de thriller, d'essai politique, d'exercice de style et de science fiction.

Point important, c'est un livre chorale, c'est à dire que l'on passe d'un paragraphe à l'autre, tout en restant à la première personne, d'un personnage à un autre. Ce qui peut paraître casse gueule comme idée, est superbement géré grâce à l'insertion dans les lignes d'écritures de ponctuations différentes pour chaque acteur majeur. Un peu dans la même idée que pour la horde mais en plus immersif et intuitif. L'apparition de ces ponctuations plus ou moins fréquentes dans les lignes indique aussi l'état d'esprit de celui qui parle, sont état physique, son excitation.
La façon de s'exprimer varie aussi en fonction du personnage, chacun ayant sa voix propre et aisément reconnaissable. La langue, quelle utilisation magistrale Damasio en fait ici. Il nous entraine dans une farandole, il impose son rythme, tantôt doux quand les sentiments sont en jeu, tantôt trépidant dans les scènes d'actions, toujours très musical quand les furtifs sont dans le coin. le mélange des mots, des lettres, pour en créer de nouveaux, au sens plus pertinent, à la sonorité plus adéquate est la cerise sur le gâteau.

Les scènes d'actions parlons-en, j'étais en permanence complétement happé dans ces parties, impossible de m'en extraire tant je me sentais impliqué (la lutte de Porquerolles m'a marquée).

Ce livre est une ode à la parentalité, et en tant que père je dirais même à la paternité. L'auteur a su à merveille exprimer l'amour d'un père pour son enfant et j'ai pu sans le moindre mal me mettre à sa place. Les relations de la famille Varèse mon toujours parlé, tout m'a semblé logique, sans fausseté.

La partie politique du livre, en lien direct avec l'avenir que nous imagine Alain Damasio, que l'on partage ses idées (pour moi libertaires et/ou proche de l'Anarchie) ou pas donnent forcément à réfléchir. Que ce soit la partie dystopique (omniprésence et omnipotence des entreprises, aliénation consentie à la technologie ...) que la partie utopique (villes en gestion expérimentales de toutes sortes, gratuité, l'échange comme monnaie, le rapprochement de notre naturalité animale....) tout est là pour éveiller un questionnement et se demander de quel côté notre coeur balance.
Et c'est là où parfois l'auteur est un peu maladroit, plutôt que de faire porter cela par l'histoire, ce sont les personnages par de longs monologues qui s'y collent. Ça m'a fait sortir un grand nombre de fois de l'histoire et il m'a fallu dans ces cas là ramer pour y revenir. Mais dès que les petits bouts de nez de Tishka et des furtifs se pointaient j'étais de nouveau dedans.

Bref un livre exigeant, qui demande de l'implication dans la lecture, qui parfois m'a noyé (Varech si tu m'entends tu m'en as fait voir !!), mais tellement rempli d'amour (pour le genre humain et entre les personnages), de poésie, de musicalité, de prouesses linguistiques et d'idées qu'il serait dommage de passer à côté.


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J'ai été bouleversée par ma lecture de la Horde de Contrevent à ma première lecture, mais aussi à toutes mes relectures. J'étais donc émerveillée d'avance par ce nouveau roman d'Alain Damasio, mais j'ai finalement été tout à la fois agacée et renversée.
Des défauts voire des problèmes, oui. Une difficulté pour rentrer dans le récit d'abord, car le style " actions échevelées de façon cinématographique "ne me plaisait pas : l'auteur vaut mieux que des tirs de militaires façon super-héros américains. Mais je me doutais qu'il y aurait plus que ça. Autre problème, le gadget typographique. Dans la Horde, l'écriture et les signes sur la page avaient un sens, retranscrire le vent. Ici, je le qualifie de gadget, car cela ne sert pas directement l'intrigue, et on identifie vite les personnages. Et j'en viens à un autre problème : ces personnages ressemblent énormément à certains de la Horde. Sahar a la grâce physique et l'intelligence d'Oroshi, Agüero a en lui la hargne de Golgoth, Toni la fougue de Caracole moins sa poésie - et avec un langage "banlieue" parfois exaspérant, Ner ressemble à Erg à une lettre près, Arshavin a la noblesse de Pietro... Tous ressemblent donc trop à leurs aînés littéraires.
Enfin, autre problème pour moi, l'aspect politique. Les convictions personnelles de l'auteur prennent trop de place, puisqu'elles ne sont pas au coeur de l'intrigue. Certes, c'est de l'anticipation, mais les idées sur le contrôle omniprésent, la reconnaissance faciale, l'usage commercial de nos données, la marchandisation des relations humaines... ne sont pas si originales : Black Mirror et le gouvernement chinois sont passés par-là. Elles permettent d'établir le cadre, mais auraient pu rester un cadre. Cependant, les passages sur le politicien prêt à tout, à n'importe quelle manoeuvre électorale avec son storytelling, étaient plus convaincants. La fin est peut-être trop longue, trop optimiste et positive d'ailleurs, et aurait pu arriver plus tôt dans le récit.
Mais finalement, pourquoi ai-je trouvé ce roman si fort, et si bouleversant ? Pour l'écriture de Damasio, ses trouvailles, ses slogans qui claquent, ses scènes d'amour et de sexe qui sont à la fois poétiques et expressives, les chants de Saskia. Ses furtifs aussi et surtout, qui, s'ils ressemblent aux Chrones de la Horde, se révèlent si riches et mystérieux.
Et surtout, surtout, pour tous les passages sur les relations parentales, l'amour paternel et l'amour maternel. J'ai plusieurs fois eu les larmes aux yeux, j'ai pleuré aussi, reposant le livre pour souffler avant de pouvoir continuer. Quiconque a connu un deuil peut se reconnaître dans ses douleurs. Victor Hugo a élevé les Contemplations comme tombeau pour sa fille Léopoldine, Lorca et Sahar sont prêts à tout pour Tishka. C'est un roman d'amour, un cri d'amour polyphonique. Retrouvons l'enfant qui est en nous, pour être plus vif et plus heureux. Tiskha, son père et sa mère, m'accompagneront longtemps, et sont bien plus importants que les défauts du livre.
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Dans un monde imaginaire, pas si loin du nôtre puisque l'auteur se projette dans la France de 2040, les villes ont été vendues par l'état au plus offrant, c'est-à-dire des multinationales capables de prendre à leur charge logement, commerce et surtout police car il s'agit comme il se doit d'un monde très "polissé". Parmi elles, le groupe Orange (oui, le célèbre spécialiste des télécommunications) a fait main basse sur la ville du même nom dont il a fait sa vitrine. Les citoyens se répartissent en trois groupes, "standard", "premium" et "excellence" avec des accès limités ou illimités à des niveaux de réalité "augmentée" voire "ultime", selon leur revenu, grâce aux piercings, boucles d'oreilles, lentilles de contact et autres gadgets connectés permettant un contrôle total de la population. Un futur proche à faire frémir, ou jouir, c'est selon. Fort heureusement, la résistance s'organise et la récente découverte d'êtres étranges, habitant notre monde à notre insu depuis des millions d'années mais ayant échappé jusque-là à toute investigation grâce à leur exceptionnelle faculté de se cacher, va changer la donne. Sur cette trame dystopique digne de George Orwell, Aldous Huxley, René Barjavel et quelques d'autres moins célèbres, se greffe l'histoire touchante de Lorca et Sahar Varèse, un couple désuni ne parvenant pas à faire le deuil de leur fille Tishka, mystérieusement disparue à l'âge de trois ans alors qu'elle dormait tranquillement dans sa chambre. le roman est envoûtant, attachant par sa tonalité politique exaltant la révolte, finalement victorieuse, contre l'utilisation des progrès technologiques aux fins d'asservir l'humanité, et le parcours de quelques personnages solaires, Lorca, Sahar et leurs amis. Il s'agit aussi d'un très beau travail sur le langage, avec de superbes envolées poétiques sur le mode du rap et du slam, mais la référence constante aux concepts de la sémiotique et de la linguistique comparée rend la lecture souvent chaotique, au détriment du message politique et l'attachement du lecteur aux personnages et à leur destin contrarié. Dommage…
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Après l'éblouissement qu'a été "La Horde du Contrevent", je ne pouvais pas en rester là avec M. Damasio. Et malgré les nombreux avis comparant à son désavantage "Les furtifs" à "La Horde...", malgré les signalements, même, d'abandons, j'ai décidé de voir par moi-même. Et j'ai bien fait…
Alors oui, ma lecture des "Furtifs" a parfois été laborieuse parce que c'est un roman dense, voire par moments exigeant, et je garde une préférence pour La Horde, qui nous emmène dans un univers inédit, source d'un intense dépaysement. Mais c'est bel et bien un coup de coeur tout de même que j'ai eu pour ce roman d'une richesse inouïe.

2040. Les progrès technologiques dans le domaine de la défense militaire ont quasiment délivré le monde de tout conflit. Faut-il s'en réjouir ? Sans doute… ceci dit, le monde que nous fait explorer Alain Damasio -qui n'est pas si éloigné du nôtre, dont il n'est finalement qu'une extrapolation très fortement inspirée de l'orientation prise par nos modes de vie actuels- ne fait pas très envie. Les nations ont basculé dans la seule guerre mondiale résiduelle, celle des marchés. Les grandes villes de France, en faillite, ont été vendues à des multinationales, à l'instar d'Orange, où se déroule l'intrigue, rachetée par le groupe de télécommunications du même nom.

Les communes ainsi privatisées sont gérées selon ce que l'on pourrait comparer à un système de castes, la population se divisant en trois catégories de citoyens dont seuls les plus riches peuvent accéder aux territoires les mieux aménagés, les plus sécurisés de leurs villes, par ailleurs débarrassées d'une bonne partie de la population la plus pauvre grâce à la suppression des aides sociales.

C'est un monde où tout se paye -les services publics n'y sont plus qu'un lointain souvenir -, ultra digitalisé, efficace et aseptisé dont l'organisation sur le modèle de l'open-space permet une visibilité maximum. Tout -les déplacements, les communications, les émotions- y est scanné, tracé, par un système d'intelligence ambiante permettant à l'informatique d'essaimer partout : en plein air, dans les rues, sur le mobilier urbain, dans les services rendus aux habitants ou encore dans le système de gestion des transports. Il n'y a plus d'intimité ni d'anonymat, et le harcèlement commercial est constant.

Une dictature, en somme ? Pas vraiment, dans la mesure où ce système est majoritairement accepté, avalisé par les citoyens, car il répond à leurs rêves d'un monde bienveillant, attentif à leurs corps et à leurs esprits stressés. En les protégeant, en les choyant, en les assistant, en corrigeant leurs erreurs, il crée, par le confort et le bien-être qu'il procure, une addiction, et alimente l'engrenage d'un cercle vicieux. L'interfaçage extrême des rapports que les individus entretiennent avec leur environnement les coupe du monde, les réduit à n'être plus que des îlots dans un océan de données, provoquant un manque qu'ils compensent à l'aide d'encore plus de technologie, par le lien à des objets, en parlant à dispositifs qui rassurent, et distancent en même temps davantage… le repli dans ce techno-cocon qui offre l'absence de toute confrontation à la frustration plonge dans un état de béatitude passive, mortifère, et annihile toute imagination.

On compte pourtant quelques rétifs à ce mode de vie, les membres de rares communautés subsistant coupées de la technologie et entretenant des rapports non lucratifs, basés sur la bienveillance et la confiance, des activistes nomades qui parcourent la ville dans la clandestinité : tagueurs couvrant les murs de leur art ou squatteurs poétisant pour exprimer d'autres possibles par leur liberté joyeuse et transgressive.

Lorca Varèse a fait partie de ces "dissidents". Ce quadragénaire ouvert et liant a longtemps oeuvré à la constitution de petites collectivités vivant détachées du système. Son ex-compagne Sahar s'investit quant à elle en faisant oeuvre de "proferrance", dispensant en plein air -et illégalement- un enseignement gratuit et itinérant à ceux qui n'ont pas les moyens de fréquenter une école devenue hors d'atteinte.

Mais Lorca et Sahar sont séparés, leur couple n'a pas survécu au traumatisme de l'inexplicable disparition de Tishka, leur fille de cinq ans. Sahar, portée par la volonté de faire un deuil dont dépend sa survie, ne comprend pas la folle obsession de Lorca, persuadé que sa fille s'est faite furtive… dans l'espoir -insensé- de la retrouver, il a intégré le Récif, seul centre spécialisé dans la chasse aux Furtifs, où il vient de terminer sa formation.

Nous y voilà enfin ! Car vous vous demandez surement, vous impatientant de ce long préambule, qui sont donc ces fameux furtifs…

Eh bien disons qu'ils sont eux aussi, intrinsèquement, des rétifs à ce monde d'ultra contrôle. Ce sont des êtres libres et invisibles, qui se nichent dans les angles morts de tout environnement, dans lequel ils se fondent avec une perfection qui relève de l'osmose. D'une mobilité inatteignable par l'homme, ils ont une faculté à surprendre, à innover, qui en persuadent certains qu'ils sont l'ultime étape de l'évolution du vivant, dont ils incarnent la forme la plus élevée car ils ont renoncé à la forme parfaite. Ils sont en tous cas les seuls êtres capables d'échapper à ce monde de l'hyper traçage, se métamorphosant sans cesse. Ce sont des forces, plus que des substances, et ils représentent l'essence de ce que beaucoup de nombreux hommes ont perdu en se soumettant aux diktats de la technologie.

Pour beaucoup, les Furtifs ne sont qu'une légende urbaine. Mais bientôt, la rumeur de la preuve de leur existence les met en danger, car rien ni personne ne doit pouvoir se cacher…

J'en ai dit à la fois beaucoup et bien peu, et ce n'est qu'en le lisant que vous prendrez la mesure de ce roman foisonnant, à l'intrigue haletante, dont les thématiques, qu'elles soient sociétales ou individuelles -la perte, le deuil, l'amour parental- sont traitées avec sensibilité et profondeur. La forme est comme le fond d'une extraordinaire richesse, le texte étant porté par plusieurs voix, toutes singulières, l'auteur nous gratifiant d'une verve inventive et flexible mais parfaitement maîtrisée, quitte à se réapproprier les mots et à les tordre pour en faire dégorger le sens.

C'est beau et énergique, moderne et poétique, débordant de sons, de couleurs, d'émotions, comme une ode passionnée à la vie et à son imperfection, que menacent notre mépris du vivant et notre phobie de l'imprévisible.
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