Attention ! Charme addictif pour ce roman graphique original, puissant, somptueux, poétique ! Tout simplement BEAU !
Pourtant, en découvrant un texte en alexandrins, un graphique très coloré, très contrasté, je suis sceptique… Il ne correspond pas du tout à ce que j'apprécie habituellement.
Et…. je me suis laissée embarquer par la musicalité du texte, par les dessins inspirés des miniatures persanes et de l'iconographie orthodoxe, avec des couleurs primaires, aux tons très contrastés.
Séduite, subjuguée par cette harmonie parfaite entre poésie et graphisme.
Le portrait de Leïli :
« Leïli, quant à elle, avait en héritage
Des paupières battant comme ailes de colombe,
Des lèvres de rubis, la lune pour visage,
Des collines pour seins, un val au creux des lombes. »
L'histoire est inspirée d'un poème persan du 12ème siècle de Nizami
Qaïs, appelé Majnoun (celui qui devient fou par amour) et Leïli s'aiment passionnément. Leurs familles respectives vont s'opposer à cet amour.
« Mais les deux tribus, d'un avis unanime,
Séparèrent la rose de son rossignol,
Tranchèrent violemment entre racine et cime,
Cachèrent le soleil aux yeux du rossignol. »
Majnoun se réfugie alors dans le désert pour chanter son amour et sera sauvé de la mort par les animaux sauvages qui l'entourent et le protègent. Cri de l'amour, de la vérité que les animaux perçoivent.
« La compassion de l'homme envers les malheureux
N'est souvent qu'un fardeau, un joug supplémentaire,
L'animal, lui, sait être un ami silencieux
Parfois, pour consoler, il faut d'abord se taire. »
Le thème de la condition de la femme est traduit de façon très juste et sensible. Car Majnoun exprime son amour, mais Leïli ne peut que se taire, qu'obéir à ses parents, et souffrir en silence :
« Et elle aussi souffrait, mais d'une autre manière.
Sa détresse restait enclose dans son âme.
Car pudeur et honneur sont une muselière
Dont l'homme a recouvert la bouche de la femme ».
Thème intemporel de l'amour que rien ne peut endiguer.
Et d'ailleurs, j'ai trouvé que
Yann Damezin le sublimait de la même façon qu'un roman pourtant très moderne, de 2023 : «
le soldat désaccordé » de
Gilles Marchand, prix des Libraires. Les contextes sont complètement différents et la puissance du sentiment est également démontrée parfaitement.
Thème intemporel de la mort. C'est là, où la légende orientale se dissocie de Tristan et Yseult, de Roméo et Juliette. Malgré l'appel de l'être aimé qui est mort, doit-on le rejoindre, ou au contraire poursuivre la vie pour pérenniser son souvenir et cet amour ?
Un roman graphique difficile à résumer car il est très riche, tant au niveau du texte, que du graphisme. En le reprenant, je m'aperçois que je n'ai pas bien retransmis la beauté de la calligraphie et des planches. A chaque relecture, je découvre autre chose. Chaque page est un tableau.
J'avais adoré « Hoka Hey » de Neyef, un autre finaliste du prix Orange de la BD, mais
Yann Damezin m'a accrochée dans ses filets poétiques et colorés, pour mon plus grand plaisir.
Comme quoi, on sort de nos sentiers battus, de nos habitudes avec la lecture !
A lire, à offrir pour un trop bon moment de lecture !
BD lue dans le cadre du prix BD Orange 2023.
Merci à la fondation Orange, aux Éditions La boîte à Bulles qui ont pris le risque de sortir un ouvrage « hors cadres » par rapport aux autres.
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