Il existe une lutte ancienne entre la poussière et les montres, à qui mesurera le mieux le temps.
- Je sais élever les corbeaux. Mais ils ont l'instinct de la liberté et je dois les laisser partir au bout de quelques années.
Ils tiennent compagnie, ils jouent, ce sont des personnes intelligentes.
- Pour toi les animaux sont des personnes.
- Pas pour toi ?
- Non. Peut-être parce que je ne les connais pas.
- C’est quoi être vieux ?
- C’est quand on te parle et qu’on glisse le mot « encore ». Vous travaillez encore ? Vous campez encore, vous faites encore ça et ça ?
(Page 58)
- Tu parles bien italien.
- Je parle cinq langues. Je ne sais pas lire.
- On ne vous apprend pas ?
- Il suffit qu'un seul sache lire et il informe les autres.
- Vous n'avez pas de livres ?
- Chez nous, les histoires se racontent le soir et changent un peu chaque fois.
La voix fait arriver les histoires. Et puis il y a les mains qui font voir, les gestes, les peurs, les rires.
- Qu’est ce que tu fais tout ce temps ? Tu penses à la mort ?
- Les jeunes y pensent. Les vieux y ont déjà pensé.
(page 17)
La poussière dérègle les montres parce qu'elle veut être celle qui mesure le temps.
— Tu dis gitans et pas romanichels ou tsiganes, ni Rom ou Sinté.
— Je préfère le mot gitan en italien, un peuple qui est toujours en voyage. Ça les met à leur avantage. Que fait ce peuple ? On ne sait pas, il est en voyage.
(Pages 86 et 87)
Nous sommes tous bizarres quand les sentiments s'en mêlent.
p33
— C'est comment d'être vieux ?
— C'est quand on te parle et qu'on glisse le mot « encore». Vous travaillez encore ? Vous campez encore, vous faites encore ça et ça ?
Alors mon mot préféré est devenu « encore».
Si on me demande comment je vais, je réponds :
« Encore, je suis encore là.»
Et puis être vieux c'est comme bivouaquer tout en haut du bois, là où les arbres sont moins denses et où il y a plus de lumière.
Que veux-tu faire dans les prochains jours ?
— Je ne sais pas. Attendre, de toute façon.
— Je viens d'avoir une idée. Je veux te montrer la mer. Tu as dit que la mer arrête les gitans, qui ne sont pas des marins. C'est un endroit où tu ne risques pas de rencontrer les tiens.
En bas dans la vallée passe une piste cyclable qui va jusqu'à la mer Adriatique. Tu sais faire du vélo ?
— Nous en avons eu un et nous avons tous appris.
— Ça te plairait de voir comment c'est ?
— Un endroit sans gitans, ça me va. Je n'ai pas d'argent pour un vélo.
— C'est moi qui les prendrai.
(Pages 58 et 59)
Il arrive qu'un événement se fiche comme un clou dans le bois au cours d'une brève période détachée du flux de la vie. Ce point oriente ensuite tout l'espace environnant. C'est un centre qui, au moment où il se produit, ne prévient pas qu'il sera immuable. [...] Il en est de même dans la vie des gens. Tu as été ce clou fiché dans mon temps.