Lorsque les androïdes progressivement se substituent aux êtres humains, nous assistons à la naissance d'un nouvel ordre mondial.
C'est une des thématiques du roman si novateur de
Fabrice Defferrard.
La firme AndroCorp, dans cette fiction sociétale à la limite de la dystopie, devient le maillon fort de l'organisation étatique : c'est elle qui planifie la fabrication des robots, les rend opérationnels et au final leur permet de se substituer aux humains.
Nouvelle grammaire de la sociologie urbaine : ces mégapoles que l'auteur décrit avec une précision terrifiante, laissent place à une criminalité hyperbolique. le lieutenant Smog a pour mission de lutter contre cette tendance, du moins son supérieur hiérarchique le capitaine Eleven l'y incite fortement, car Smog semble désabusé.
A ce propos, le constat de l'auteur est sans appel :
« Le crime était commis intra-muros et par conséquent dans un environnement qui autorisait aussi bien l'étude que la répression. La prévention n'existait plus. Cela coûtait trop cher… la peine de mort rétablie était exécutée par foudroiement cérébral pour les homicides intentionnels, la torture suivie de mort et les viols collectifs. »
Mais quand l'avocat en chef d'AndroCorp, Reinh Brokop, est sauvagement assassiné, le capitaine Eleven met la pression sur Smog pour qu'il se saisisse du dossier et diligente une enquête avec la plus grande attention. Pression d'autant plus justifiée puisque Brokop était un proche conseiller de la patronne d'AndroCorp, Anna Faralone.
Crime d'autant plus grave, que Brokop se trouvait, lors de son assassinat, au pied de la borne 70 alpha, dans le secteur des prostituées androïdes. C'est alors que le lieutenant Jairie Skye invite Smog à la rejoindre sur une enquête concernant Fair Play for Humans, un groupuscule anti-robots. En effet leur « manifeste politique prônait une hostilité ouverte et idéologiquement structurée contre les machines et leurs propriétaires. »
Or Smog, entre-temps, est devenu le protecteur d'une androïde, S'hin, qu'il avait aidée à sortir de la prostitution, celle-ci lui ayant fourni des indices décisifs sur le décès de Reinh Brokop. Toutefois il ne pouvait révéler ces informations à sa hiérarchie car S'hin, suite au grand nettoyage numérique de la firme AndroCorp – l'opération de déphasage général, aurait dû être reformatée.
Bien d'autres péripéties dans cet opus magistral de
Fabrice Defferrard, mais je vous ne les dévoilerai pas pour vous laisser le plaisir de les découvrir. En tout cas mon ressenti est extrêmement positif car l'auteur a su trouver une écriture très novatrice qui nous immerge dans un nouveau paradigme : celui d'une science-fiction devenue plausible et pour ainsi dire réelle.
Comment y parvient-il ?
Déjà par une culture très pointue sur les technologies d'avant-garde. Ensuite, Fabrice enroule notre imaginaire dans les volutes de l'esprit de l'inspecteur Smog : ça tombe bien « smog » veut dire brouillard de fumée dans la langue de
Shakespeare ! Enfin, par un dosage dramaturgique subtil, il distille touche par touche des indices sur ses personnages, laissant la porte du doute toujours entrouverte, celle de la véracité à demi fermée.
Je soulignerai aussi son alchimie des paramètres psychologiques, cette attirance dichotomique entre Smog et S'hin : ils se séduisent, s'éloignent, se rejoignent, toujours avec élégance et mystère ; dans une sorte de ballet d'ombres et de lumière.
Au final je recommande de façon inconditionnelle «
Criminodroïdes », un des plus beaux fleurons des éditions ExAequo. Mais rassurez-vous, cette maison indépendante, créée par Laurence Schwalm il y a près de 20 ans, recèle de nombreuses pépites et ne nous a pas encore livré tous ses joyaux.
« Stay tuned », comme disent les Américains…
aux éditions ExAequo, collection ATLANTÉÏS
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