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Supplément au voyage en Onusie est un petit livre délicieux. Il est l'oeuvre d'Alain Dejammet qui travailla toute sa vie dans le système onusien. Jeune secrétaire d'ambassade à la représentation française à New York à la fin des années 60, il la dirigea trente ans plus tard. Avec la liberté de ton que permettent l'élévation à la dignité d'Ambassadeur de France et la retraite de la vie publique, il livre à la fois un tableau vivant des moeurs onusiennes, dans la lignée du Voyage en Onusie du journaliste Philippe Ben, et un réquisitoire sévère contre l'unilatéralisme américain.
On rit volontiers à la description pince-sans-rire qu'il fait de la vie en Onusie. Lorsqu'il décrit le « sain chauvinisme » (p. 31) qui, tous les quatre ans, s'empare des délégations à l'occasion de la coupe du monde de football, ou les cabines téléphoniques de la salle d'attente du Conseil de Sécurité « qui servent essentiellement à faire savoir aux services d'écoute américaines et britanniques le contraire de ce qu'on se prépare à faire » (p. 29), en passant par les preneurs de notes du Secrétariat, installés au milieu de la table en fer à cheval du Conseil « dont les alternances de fébrilité et de passivité constituent pour les délégués qui les observent un insondable mystère » (p. 57).
Mais l'essentiel n'est pas là. Il est dans la critique, étonnamment hostile, que fait Alain Dejammet du rôle des États-Unis. Ce pays, « jeune dieu Mars, exultant de joyeuse vitalité et encensé d'un bord à l'autre de l'Atlantique par tout ce que le monde comprend de bonne pensance » (p. 176) a choisi d'ignorer l'ONU, qu'il héberge pourtant sur les rives de l'East River depuis cinquante ans. On le vit déjà au Kosovo, avec il est vrai le concours des autres membres permanents. On le vit surtout en Irak où les États-Unis auraient bien aimé obtenir l'aval des Nations-Unies mais s'en sont passés sans états d'âme.
L'unilatéralisme américain doit-il être combattu ? N'est-il pas exercé par une puissance qui, depuis ses origines, est habitée par le désir sincère de bien faire ? Alain Dejammet s'y refuse et, avec lui,
Hubert Védrine qui préface cet ouvrage. « L'excès en tout est déraisonnable » et l'on peut redouter que le pouvoir absolu ne rende absolument fou » (p. 148). Aussi faut-il trouver des contrepoids à la suprématie américaine. L'auteur est très sceptique sur le pouvoir d'influence de l'Union européenne : sans doute existe-t-elle dans le domaine économique, mais elle ne parvient pas à parler d'une seule voix en matière politique, l'épisode irakien l'aura amplement montré. Alors « s'il n'en reste qu'un ? » (p. 158). Ce sera la France, affirme Alain Dejammet, volontiers lyrique : « Ce pays d'Europe occidentale qui ferme comme un goulot l'outre des plaines et des forêts alimentée depuis le fond de l'Asie et qui se remplit de vagues successives de nomades, mongols, romains, grecs, arabes, juifs, chrétiens, n'est pas mal placé pour comprendre beaucoup de monde, pour penser de manière à peu près équilibrée, au fond pour être indépendant. » (p. 170). Et d'ajouter un hymne étonnant au Président Chirac : « Un chef d'Etat qui baille devant la grande peinture religieuse du XVIIème siècle et qui s'emballe pour la barbe à crins d'un masque premier, un chef d'Etat occidental mais un peu a-occidental ne peut pas être entièrement mauvais » (idem).