Une famille de prolos. Lui a fait de la prison. Elle a eu son premier enfant très jeune. La société n'aide pas, surtout l'administration arc-boutée sur ses règlements incompréhensibles. Alors, forcément, déjà que ce n'est pas la joie, ça ne va clairement pas aller en s'arrangeant. Et je ne parle pas seulement de la vie de ces malheureux : les situations se succèdent telles qu'on s'attend à les lire, et le choix d'une double temporalité incongrue masque difficilement la litanie des clichés. Il faut attendre la toute fin pour que le récit se fasse nerveux et inquiétant, à la manière de la Nuit du chasseur.
Alors, certes, les petits durs, les mères-enfants, les exclus de la société et les fonctionnaires obtus, ça existe. Mais pourquoi en parler si c'est seulement pour raconter ce que tout le monde sait déjà ?
Et puis surtout, s'il y a quelque chose qui m'énerve encore plus que les prolos glauques figés dans la désespérance, c'est bien la dénonciation de la virilité toxique.
Tiens, rien que de l'avoir écrit, ça me donne des boutons.
J'en ai jusque là des auteurs qui s'excusent d'être des hommes en se flagellant.
Et del Amo sur ce coup remporte sûrement le pompon.
Parce que si les hommes sont méchants, c'est la fatalité. Non seulement del Amo va chercher
Sénèque pour l'affirmer mais il remonte même à la préhistoire, les chasseurs-cueilleurs bien obligés d'enseigner à leurs fils les gestes qui tuent (et qui a dû s'escrimer sur une boîte de cassoulet récalcitrante sait bien que cette violence solidement ancrée dans notre cerveau reptilien est toujours prête à resurgir).
Et le corollaire à la violence des hommes, c'est que les femmes sont des victimes de toute éternité aussi bien sûr. En effet, la femme est du côté de la nature (l'homme s'affaire à construire sa maison tandis que la femme batifole dans les champs et les bois avec son fils). Elle l'est d'autant plus qu'elle porte l'Enfant, c'est sa Grandeur et son Tourment. Donc, forcément, elle se sacrifie pour lui car elle est semblable à la terre matricielle (Organique ta mère).
Alors, puisque del Amo aime la tragédie, allons donc faire un tour du côté de Racine. Andromaque est sous la coupe d'un pervers narcissique qui utilise son fils pour obtenir ses faveurs. Et cinq actes plus tard c'est Pyrrhus qui meurt et Andromaque est reine d'Epire. Chez Racine, la victime n'est pas genrée et l'utérus n'empêche pas d'être badass.
Et en plus Racine ne se croit pas obligé de parler de « vessie natatoire », de « blancheur irisée » et d' « orbe lumineux » pour nous prouver qu'il est un grand écrivain.